Laure Hillerin
Ce vague malaise qu’elle avait ressenti à l’église et au cimetière, lorsqu’elle s’était retrouvée, anonyme, au milieu de tous ces éminents indifférents, s’est mué en une terrible et foudroyante évidence : la mort de Monsieur Proust la laisse bien pis qu’orpheline – déracinée et comme apatride, étrangère entre deux mondes. Elle n’est plus « la Céleste » du moulin d’Auxillac ; elle s’est détachée à jamais du monde simple et prosaïque de son enfance. Car elle est ineffaçable, l’empreinte de dix années vécues auprès d’un génie, dans un milieu pétri de culture et de raffinement. Elle est devenue « la belle Céleste », cajolée par la fine fleur de l’intelligentsia et du gra- tin parisien parce qu’elle était la voix, l’émissaire, la sentinelle, l’ange gardien de son maître. Mais, dans cette société, elle n’a été admise que provisoirement, par le hasard des circons- tances. Elle n’est pas, elle ne sera jamais l’une des leurs, elle qui a gardé l’accent chantant et le langage agreste de son village ; elle qui s’exprime avec des mots choisis mais ignore superbement les règles élémentaires de l’orthographe.
Elle a trente et un ans, un mari attentionné, une sœur dévouée, la vie devant elle. Mais jamais plus elle ne pourra se satisfaire d’une existence « normale », parmi des gens « normaux ».
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