Huma arrête de manger, c'est sa seule arme, et elle est exaltante, cette sensation de maîtrise totale de son corps. C'est comme si on commandait à l'univers. Elle devient presque transparente. (...) Elle se dit que plus elle s'effacera, plus elle commandera à la parole d'advenir. Elle aura enfin des explications. Mais rien ne répond aux blessures. (p. 211)
En réalité, ils ne savent rien l'un de l'autre. La fille est une sorte d'organe en plus pour le père, un avorton de son propre tronc. Un avatar dont il peut se vanter, à l'occasion. Pas un individu. Huma a toujours attendu le jour où elle serait enfin, dans ses yeux. Sans complément, sans adjectif. Juste être. (p. 243)
Après la débâcle, Huma se demande quel sera son héritage. Il ne sera ni de terre, ni de pierre, ni de bois, ni d'argent. Elle est à présent une insulaire sans terre, une Corse errante. (p. 239)
La grand-mère est le loup. Le conte aurait dû l'avouer, nul besoin d'un détour par la forêt, et les présents ne la comblent ni ne la tempèrent. (p. 162)
Elle est bien obligée de se remettre à manger, un beau matin, pour ne pas perdre sa voix, pour que la parole soit un jour possible. (p. 212)
Je me demande ce qui m'effraie à ce point, pourquoi le chemin est si tortueux. Comme si raconter allait guérir quelque chose que je ne voulais pas guérir. Il faut peut-être le reconnaître. On chérit certaines souffrances. (p. 13)
Elle [Huma ] se sent responsable de tout, même de choses qui ne la concernent pas, pense à la moindre conséquence du plus infime de ses actes, se perd en conjectures, a l'empathie à fleur de peau. L'exact inverse de son père, en somme. (p. 249)
Selon la légende, Avalokiteshvara fit le voeu qu'il ne se reposerait pas jusqu'à ce qu'il ait libéré tous les êtres de la souffrance. Mais devant l'ampleur de la tâche et l'intensité des tourments, sa tête explosa. Le bouddha Amitabha ramassa les morceaux et en fit onze nouvelles têtes. En réponse au souhait d'aider toutes les créatures, il lui poussa mille bras...

Ceux qui disent : « Moi aussi j’ai mal à la tête des fois, je suis obligé de prendre du Codoliprane », « Attends, c’est un très bon champagne bio, ça ne peut pas te faire de mal ! », « T’es chiante avec tes maux de tête, quand même », « Encore ! mais c’est vachement souvent dis-donc ! », « On ne voit pas du tout que tu es malade », « Toi ? tu as eu une migraine hier ? Mais ça ne se voit pas ! », « Tu as l’air en super forme, pourtant… », « Et si c’était une tumeur ? », « Tu as fait des tests, quand même, pour vérifier si… tu vois quoi… il n’y aurait pas une grosseur… », « Comment ça ? Mais tu m’avais promis de venir ! », « Tu ne peux pas refuser, c’est la vieille prune que fait ma tante », « Tu ne bois pas de vin, OK, mais au moins un digestif ! », « Dans ces circonstances, je comprends, mais j’aimerais quand même beaucoup que tu viennes, c’est important pour moi. Si tu préfères rester chez toi avec ton mal de tête… », « Tu ne bois pas ?... Mais alors HIIIIIIIIIIIIIII !! », « Tu pourrais faire un effort, quand même », « Tu ne peux pas marcher plus vite ? », « Comment ça tu es fatiguée ? », « Attends, je regarde sur Google si on peut se défoncer avec ton Imiject. Même pas. C’est pas cool », « Mais c’est pas un peu handicapant ces migraines ? », « T’en as pas un peu marre de ces migraines ? », « J’ai un super ostéo, je te file son numéro ? », « Mais pourquoi tu n’essaies pas l’acupuncture ? », « Mais pourquoi tu n’essaies pas l’homéopathie ? », « Mais pourquoi tu n’essaies pas la méditation transcendantale ? », « J’ai entendu parler d’un étiopathe… », « Tu devrais épouser un neurologue », « Et les macarons au camphre, vous avez tenté ? », « T’es allée voir un psy ? », « Tu vois, t’as toujours été contre la psychanalyse, eh ben voilà », « J’ai un pote qui connaît un mec, on ne sait pas trop ce qu’il fait, mais ça aurait marché sur la cousine d’une amie qui s’était cassé la jambe », « La première fois que ça t’est arrivé, tu ne te serais pas disputée avec ton frère ?... Parce que la migraine… la mi-graine, quoi… la moitié de la graine… Ou alors un avortement ? », « T’es sûre que ça fait aussi mal que ça ? », « Ca ne serait pas un peu psychologique ton truc ? », « Et l’hypnose ? », « Tu devrais t’interroger sur la cause. Non mais vraiment. », « Et un rebouteux ? », « T’aurais pas vécu des trucs traumatisants ? », « C’est drôle, mais je t’aurais crue plus déprimée… »…