Lecture de Jean-Marie Gleize: une création originale inspirée par
Une série de créations littéraires originales inspirées par les collections de la BIS. Ce cycle est proposé par la Maison des écrivains et de la littérature (Mel) en partenariat avec la BIS. Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé.
Saison 4 / 2020 : Linda Lê, Arno Bertina, Muriel Pic, Jean-Marie Gleize, Jean-Christophe Bailly.
Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne":
* saison 1 : Pierre Bergounioux, Marianne Alphant, Arlette Farge et Eugène Durif paru en septembre 2018.
* saison 2 : Jacques Rebotier, Marie Cosnay, Claudine Galea et Fanny Taillandier, paru en septembre 2019.
* saison 3 : Hubert Haddad, Line Amselem, Christian Prigent, Mona Ozouf, Laure Murat, publication prévue en septembre 2020.
+ Lire la suite
Jean Echenoz-
On invente un peu le livre qu'on lit. Un jour, un lecteur m'a parlé d'une scène dans un de mes livres. Je ne reconnaissais rien. Et puis j'ai fini par comprendre de quoi il s'agissait: il avait changé les sexes des personnages, les situations, les dialogues, les lieux, à peu près tout. J'ai trouvé ça formidable. Il avait entièrement reconstruit le livre-pour lui- C'était magnifique, c'était cette idée que le lecteur écrit le livre qu'il lit.
Je ne perçois pas du tout la dimension régressive de la relecture. La relecture me fait toujours avancer. Je ne suis pas dans une répétition vaine. Ce sont soit des redécouvertes, soit des retrouvailles selon d'autres angles. (p. 166)
Montrez-moi votre bibliothèque, et je vous dirai qui vous êtes. Dites-moi ce que vous relisez, et je recueillerai vos secrets (p. 274)
Linda Lê
En relisant Jules Verne, je me rappelais tout ce que je ressentais alors: la joie d'entrer dans un monde inconnu, la joie d'apprendre des mots nouveaux, la joie aussi aussi d'établir des passerelles entre la France et le Vietnam. Quand je relis des livres plus tard, en France, c'est la joie de reconnaître ma dette d'amour envers certains créateurs. Les réminiscences livresques sont essentielles pour qui n'oublie pas, comme je l'ai dit dans un de mes essais, qu'avant d'être un débiteur d'histoires, l'écrivain est un débiteur, redevable aux intercesseurs hantés. (p.224)
Cherchez-vous, dans la relecture, la lectrice que vous étiez ?
c'est même cette recherche qui motive le plus mon désir de relire. Mesurer la distance entre la lectrice d'autrefois ou/et retrouver celle que j'étais au moment où j'ai lu le livre pour la première fois. Double plaisir, par exemple, d'avoir relu (en diagonale tout de même !) -Les Misérables-: d'une part, m'éprouver dans la fille de seize ans, touchée par l'écriture lyrique de Victor Hugo, ce souffle généreux, vibrant au sort des humiliés ( Fantine, qui n'a plus de dents, insultée), , célébrant l'amour physique de Marius et Cosette avec des accents religieux. d'autre part, émotion mélancolique de considérer cette fraîcheur, cette naïveté, dont je suis aujourd'hui incapable en lisant n'importe quel livre ...(p. 177-178)
Dans son bel essai, Encore et jamais, Camille Laurens cite et commente les propos de la pianiste Hélène Grimaud, pour qui répéter signifie « re-chercher, chercher à nouveau, « ce qui implique que ce qui doit être répété ne fait pas partie des choses qu'on puisse acquérir une fois pour toutes ». Ainsi, ce qu'on va chercher lorsqu'on répète n'appartient pas au passé ; ce n'est pas une chose connue qu'on réitère, mais une chose future qu'on anticipe ». Au même titre, la relecture est un work in progress, un entretien infini, dont la caractéristique est d'être réservée à la seule jouissance intime du lecteur.
Page 42
Annie Ernaux
A priori, j'ai une réticence à relire. J'ai l'impression, un peu, de perdre mon temps. Il y a tant de livres que je n'ai pas lus encore à découvrir ! Il me semble toujours qu'il y a un, des textes, qui vont m'ouvrir des pensées, des sensations, je ne sais quoi d'inconnu encore tandis que je n'attends rien de spécial des livres déjà lus, comme si je les avais digérés. Pour tout dire, j'ai peur de ne rien éprouver, genre ancien amour qu'on revoit et qui vous laisse de glace. (p. 170)
Ce que Barthes appelle la « lecture éphémère » ou la « lecture sans retour », désignant ces livres qu'on ne lit qu'une fois, qu'on traverse comme le train un paysage où l'on ne reviendra plus, serait lié à la naissance du capitalisme. Elle relèverait d'une « idéologie de la consommation », d'une « phénoménologie de la dévoration », qui aurait été impensable sous l'Antiquité ou au Moyen Age, époques de l'éternel retour au texte et de la glose.
Page 41
Jean Echenoz-
(...) Il y a aussi des livres que je redoute de relire, afin de garder intact l'éblouissement de la première lecture, comme -Lumière d'août- , par exemple. (p. 164)
La relecture est pour moi moins liée à un savoir cumulatif qu'à un effet de variations. Je comparerais ça au piano, quand vous interprétez un morceau la première fois, la dixième fois, la centième fois. Ce n'est pas une suite de savoirs qu'on peut feuilleter. C'est comme si à chaque fois on attrapait quelques brins d'herbe supplémentaires sur le chemin, ça s'épaissit, ça fermente. A la fin, quand on frotte les brins d'herbe, ça ne sent plus pareil.
Page 52
un feuilletage rapide, une relecture très partielle (souvent, je relis un livre lu il y a longtemps et je ne relis que les passages cochés alors) suffit quelquefois à nous rendre le livre entier, dépouillé parfois même du superflu. Notre connaissance (ou conscience) du livre approche peut-être ce que fut le pressentiment de l'auteur qui en caressait l'idée.
Eric Chevillard
Page 145