AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Laurence Bouvet (5)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
On ne sait pas que les mères meurent

On ne sait pas que les mères meurent

« Etre vivant c’est être séparé »



De Laurence Bouvet j’avais lu "Comme si dormir" publié chez Bruno Doucey en 2013. Un recueil poignant sur la mort de la mère, un recueil où l’émotion, particulièrement forte et presque indicible, n’empêche pas, tout au contraire, des marques d’une grande lucidité sur la perte et la mort. Et puis j’avais eu le bonheur de rencontrer Laurence au Cabaret « Le Port du salut » à Paris en mai 2014 lors d’une soirée poésie où nous étions tous deux intervenus avec des lectures de poèmes pour elle et des lectures de poèmes et chansons pour moi. Une belle rencontre.



Là, avec On ne sait pas que les mères meurent, qui se donne comme « un récit » et qui est en fait une prose poétique et peut-être plus poème finalement que le poème, je découvre comme un prolongement du premier recueil lu, ou plutôt comme un autre regard sur le même événement à travers le travail du deuil et du rêve.



Oui ! le rêve donc ou plutôt les rêves : quarante dans ce recueil ! Elle me dit, répondant à une question : « ils sont réels, retranscrits dans l’ordre où je les ai faits mais retravaillés du point de vue de la forme, de l’écriture, à la frontière entre le réel et le rêve, pour mieux embarquer le lecteur » (dans un premier temps elle avait écrit « embarquer le rêveur »…).



C’est un vrai recueil de vrai poète qui fouille les profondeurs, interroge l’obscurité, tente de dire l’indicible. Dès que l’on franchit en effet la porte de ce titre (avec sa troublante paronomase « mères meurent » qui interpelle cette ignorance annoncée), on se trouve devant ce questionnement continu jusqu’à en être lancinant qui a nom poésie : « ne jamais cesser de questionner le réel ». C’est aussi un livre de psychologue clinicienne, fonction occupée par Laurence. Les deux approches pourraient se contredire, se faire de l’ombre, et cependant, conjointes, elles concourent toutes deux à la lucidité, se répondent, se confortent : car « un rêve n’est rien sans la parole qui le révèle ». La psychologue a donc noté scrupuleusement, scientifiquement. La poète a réécrit non pour détourner, édulcorer ou expurger les rêves ainsi qu’on le fait trop souvent pour les contes pour enfants mais tout au contraire pour mieux accuser le détail qui avoue et fait avancer l’endormie dans cette « capture du monde » que Laurence nomme poème là où « La parole rassemble ce que le rêve disperse ».



Ces rêves sondent et explorent ce long passage entre la perte sidérante qu’on ne peut accepter, qu’on ne peut croire, qu’on ne peut « savoir » - car il faudrait mourir pour savoir puisque celle qui est morte nous a donné la vie – et ce moment gagné tout au bout, laborieusement, rêve par rêve, larme par larme, mot après mot, où nous porterons la mère en nous, vivante par-delà la mort, comme elle nous a portés jusqu’à la sortie vertigineuse, et hallucinante, de son ventre. Comme elle nous a portés jusqu’à notre premier cri. Un long travail, entre un sentiment de culpabilité (« je suis responsable de la mort de Mère. Le rêve accuse, il est un reproche. ») et la renaissance du désir (« quand le rêve insuffle le désir de vivre ») ; un long travail entre l’impuissance dite par le rêve et ce pouvoir où les rêves sont comme les contractions d’une parturiente qui fait entrer la mère en elle et dans le poème. Dans le désir d’écrire « Mère ». Dans la « tendresse » du rêve, « une tendresse d’avant la grammaire », « une tendresse des premiers âges » où la mère, « si petite », « si rétrécie » se réfugie dans les bras de l’endormie et en devient l’enfant, « Quand il est temps de séparer la mère morte du Mère que je veux garder vivante en moi » ; « Elle est mon enfant ». Quand on sait finalement que la mère meurt, quand on sait la mère mourante miroir devant nous : « Je sais aussi Mère être l’enfant que l’on est, soi, tous face à la mort. ».



Cela ne s’écrit pas qu’avec des mots. C’est de la chair et du sang.



C’est alors peut-être que l’éveillée, qui n’est plus l’endormie, peut « veiller en paix » et donc « rêver en silence ». Tout au bout c’est la vie qui gagne, et le désir. « J’oublie Mère morte pour mieux la garder vivante. Dans tous les tissus de mon être rassemblée. J’oublie Mère sans la détruire, sans me détruire, sans oublier la vie qu’elle me transmet. Je rêve que Mère m’aime vivante. » Le mot « vivante » s’impose, revient, obsédant vers la fin qui est un recommencement : « L’endormie sait que mère est en moi tant que je suis vivante ».



C’est donc là finalement un recueil de vie, de présence et de désir par-delà cette mort, vaincue par qui l’a regardée en face et par ce fait même de l’avoir regardée en face. C’est donc là un recueil d’amour où, la vie, la présence et le désir s’affirment superbement ! Ainsi dans des notules discrètes, parfois en italiques, qui ponctuent les rêves eux-mêmes. Le poète nomme et donnant un nom il réalise le désir qui est l’âme de la vie, il réalise une présence très follainienne «dans son sentiment d’exister, de durer en vivant. »



« Dans cet espace de solitude, l’étendue blanche est ce que je nomme l’échappée »



« Cette puissance commune à tous les désirs que le désir engendre est ce que je nomme la réelle présence »



« Cette capture du monde dans l’instant est ce que je nomme poème. »



Tout au bout, oui, la vie a le dernier mot ! Tout au bout de l’épreuve du rêve, tout au bout du péril de l’écriture où même la folie guette, il y a ce beau retour à la présence et au désir, avec la mère en soi quand les cœurs se répondent : « cœur à cœur en écho sous l’écorce des corps »…



Tout au bout il y a cette ouverture :



« Le chat miaule derrière la porte. Je lui ouvre parce qu’il n’est ni dans la mort, ni dans les rêves. »



Que dire de plus ? Les mots ne suffisent pas ici.



Simplement pour moi, On ne sait pas que les mères meurent est ce que je nomme poème.



Guy Allix



"On ne sait pas que les mères meurent", Laurence Bouvet, éditions Unicité (13 €) (éditions Unicité 3 sente des vignes 91530 Saint-Chéron)
Commenter  J’apprécie          40
Les miroirs ne disent pas tout

Formidable roman sur la différence et les différences ! Et plongée fascinante dans la Banlieue Parisienne des années 70 ! C'est un premier roman à lire de toute urgence, sur la plage, dans le métro !!!! Très réussi !!!! C'est un livre sur la génération X, celle née dans les années 60 et 70.






Lien : https://www.amazon.fr/gp/pro..
Commenter  J’apprécie          20
À hauteur du trouble

J'aime bien cette poésie simple et complexe, en fait. Elle sait écrire dans l'économie de mots et tout dire juste par l'emploi de vers percutants et

non démonstratifs.





Laurence Bouvet est une des meilleures poètes de sa génération, elle mériterait d'être davantage reconnue par se pairs et connue de la critique et du public.
Lien : https://www.amazon.fr/hauteu..
Commenter  J’apprécie          10
Comme si dormir

Un long poème sur le deuil.



Dans l’avant-propos de ce bouleversant recueil, l’auteure raconte les circonstances du décès de sa mère, morte un dimanche, seule chez elle, après avoir regardé à la télévision l'épisode d'un feuilleton intitulé «  La mort est un poème ». Cette coïncidence troublante, qui lie la mort de sa mère à la poésie, la pousse à écrire sur cette mort et et sur le sommeil qui lui ressemble.



Si la souffrance et le chagrin marquent sa parole, les retours vers l'enfance et ses formules permettent une incursion dans la joie et la tendresse du lien mère/fille.



Apparaissent aussi, suite à cette disparition qu'elle sait définitive et irréparable, des interrogations sur sa propre existence :

"Si tu n'es plus suis-je donc née ?"

et sur sa mort à venir :

"On ne peut pas savoir notre mort

Et qu'un jour on ne sera plus".



Une écriture singulière dans laquelle il n'est pas facile d'entrer mais qui dit magnifiquement le chemin du deuil et de la reconstruction grâce aux souvenirs.
Commenter  J’apprécie          10
Unité 14

Article sur le blog "Les tribulations d'Eric Dubois"
Lien : http://www.ericdubois.net/ar..
Commenter  J’apprécie          00


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Laurence Bouvet (6)Voir plus

Quiz Voir plus

Qui a écrit ça ? [3]

QUEL ROMANCIER A ECRIT CES PHRASES: « Nous disons bien que l’heure de la mort est incertaine, mais quand nous disons cela, nous nous représentons cette heure comme située dans un espace vague et lointain, nous ne pensons pas qu’elle ait un rapport quelconque avec la journée déjà commencée et puisse signifier que la mort — ou sa première prise de possession partielle de nous, après laquelle elle ne nous lâchera plus — pourra se produire dans cet après-midi même, si peu incertain, cet après-midi où l’emploi de toutes les heures est réglé d’avance » ?

Marcel Proust
Virginie Despentes
Guy de Maupassant
Louis Aragon

10 questions
6 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature françaiseCréer un quiz sur cet auteur

{* *}