En la considérant moins sous l'angle réducteur du seul droit que dans une acceptation plus globale d'attention concrète à l'altérité, la figure de l'usager a le mérite de rouvrir un large champ de questionnements et de savoir-faire. On ne saurait en effet se contenter d'une vison fonctionnaliste des questions de l'action sociale et médico-sociale. Car celles-ci, tout comme la vie en général, ne se résument pas à des problèmes cherchant des solutions.
Etre plus attentif aux usagers suppose ainsi une posture plus modeste, qui ne prétende pas répondre à tout, qui accepte ce que son action peut avoir d'insatisfaisant et l'assume, qui se situe dans un cadre légal et avec des ressources limitées. Mais une posture qui sait que, dans ce cadre, il reste des marges de manœuvre à investir et mobiliser, de l'inventivité à générer et des décisions à partager davantage.
Pour ce qui concerne les relations avec les institutions, on peut observer cette tendance à l'exigence d'une formalisation des engagements réciproques, signifiant notamment que l'individu n'accepte plus de donner un "chèque en blanc" à une institution qui saurait nécessairement ce qui est mieux pour lui.
Le risque est grand, dans le secteur social et médico-social, de réduire la socialité à ce qu'apporte la structure à l'usager et ainsi d'aggraver le sentiment d'iniquité vécu par nombre de personnes qui, du fait de leur situation, sont dans l'incapacité de donner et de rendre. On pense souvent que l'exclusion vient de ce que les gens ne reçoivent pas assez. Il ne faut pas oublier l'importance des deux autres pôles constitutifs du lien social, le don (donner) et la réciprocité (rendre), qui, s'ils ne sont pas vécus dans des conditions satisfaisantes, peuvent susciter un sentiment d'exclusion. Ce mécanisme est renforcé par le fait que la professionnalité des intervenants s'est souvent construite autour du refus d'un retour de la personne qu'on aide au nom de la neutralité affective.
Pour schématiser, on pourrait dire qu'on est passé d''un temps où les institutions étaient seules " maîtres à bord" et pouvaient imposer leurs règles et contraintes à une période de rééquilibrage des droits et des devoirs sous un regard collectif de plus en plus présent.
Si les progrès sont nets depuis quelques années, il reste cependant du pain sur la planche. Car nombre de fonctionnements institutionnels se situent encore dans une perspective de "droit coutumier" qu'i est légitime de refuser et de faire évoluer.
Dans un monde incertain, il reste possible d'agir et de penser si l'on accepte que l'essentiel réside dans les engagements à formuler les uns vis-à-vis des autres. Il ne s'agit pas nécessairement de réussir ni de savoir de quoi demain sera fait, mais de persévérer avec une certaine constance dans une attitude relationnelle porteuse d'éthique et qui accepte le questionnement que produit toujours l'altérité. Comme le souligne Mohammed Nachi, " la promesse assure la prévisibilité et la régularité de l'agir, la continuité de faire, ce qui confère aux affaires humaines une stabilité, une mémoire, les préservant de l'incertitude de l'amnésie".
Dans les structures accueillant des adolescents, la tension est fréquente entre les attentes familiales et celles du jeune (sans parler de la position propre de l'équipe). C'est en mettant en débat cette tension que les projets réellement mis en place pourront ne pas déboucher sur des ruptures, dont le prix ultérieur est souvent très élevé.