AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Zenon1988


– Faites quelque chose, messieurs, supplia Hélène, je vous en conjure !
Sans se faire prier, Jacques quitta sa houppelande et ses chausses, et, vêtu de son seul pourpoint, et de collants retenus au gilet par des aiguillettes, il bondit au milieu des nénuphars et des sillons de vase. En un instant il avait saisi le vieillard, et l’amenait à la rampe de bois. Puis, avec l’aide de Miles, il le tira hors de l’eau, et le confia aux porteurs, qui l’installèrent sous le dais de sa litière.
– Mon pauvre ami, dit Hélène en s’approchant et caressant le front du barbon.
Celui-ci, inconscient, semblait mal en point ; ses paupières étaient gonflées, et un filet d’eau s’écoulait de sa bouche. Soudain il ouvrit les yeux, se pencha sur le côté du brancard, et vomit.
– Qu’est-il arrivé ? dit-il, hagard, en cherchant Hélène des yeux.
– Ce n’est rien, monsieur mon époux, vous avez perdu l’équilibre en descendant à l’étang. Vous étiez submergé par les flots, quand M. de Charny vous a sauvé.
Jacques ruisselait d’eau et de vase ; il se sentait vaguement ridicule ; cependant l’élan de reconnaissance et de sympathie qu’il perçut dans la voix d’Hélène lui fit oublier son accoutrement.
– Je vous reconnais, articula Rabier.
Et, tournant son visage cramoisi vers le jeune seigneur :
– Vous êtes l’ancien promis de ma femme.
Jacques acquiesça de la tête, pendant qu’Hélène baissait les yeux.
– Vous m’avez sauvé la vie, monsieur, continua le vieillard, et je vous en sais gré.
Et, lançant un regard glacial à ses servants :
– D’autres, à votre place, m’auraient laissé mourir dans cet étang.
Rabier frissonna, avant d’ajouter d’une voix sourde :
– Vous serez un bon époux pour Hélène, quand j’aurai disparu ; et croyez-moi, cela arrivera bientôt.
– Ne parlez pas de malheur, protesta Hélène en tirant une couverture sur le corps maigre et flapi.
– J’ai très froid, pourtant ; la tête me tourne, et je ne sens plus mes pieds.
Et il ajouta, avec un regard terrifié, et terriblement conscient :
– Je crois que je vais mourir.
Aussitôt il se contorsionna de douleur et gémit si fort qu’il semblait que son âme allait sortir par sa bouche.
– Comment va-t-on l’enterrer ? murmura Miles à l’oreille d’Arnaut ; c’est le dernier croque-mort de la région.
– Ne parle pas trop vite, fit Arnaut ; le vieux Rabier nous annonce sa mort chaque jour, et chaque fois il se remet des crises, des noyades et des apoplexies. Regarde-le : il est bien vif.
Au même instant, semblant confirmer les propos du jeune homme, l’accès de fièvre s’atténua, et Rabier respira plus librement. Hélène appela les deux porteurs, et ceux-ci soulevèrent le brancard.
– Merci, messieurs, dit la jeune femme en s’engageant sur le chemin de gravier ; maintenant, si vous le permettez, je rentre afin de soigner mon pauvre époux.
Et, avec un sourire discret et une tournure de voix qui semblaient s’adresser à Jacques :
– Mais revenez à l’occasion, quand Anton sera rétabli.
– Vois-tu ? dit Arnaut, observant le petit convoi formé par Hélène, Fernand, les deux porteurs et le barbon, qui toussotait sur sa civière brodée ; ce genre de vieil animal s’altère, mais ne meurt pas.
– Ma soif, elle, ne s’altère qu’Au Père tranquille, dit Miles ; et il se trouve que j’y ai réservé la meilleure table.
– Vraiment, Rabier ne craint pas la mort, poursuivit Arnaut, sans tenir compte de l’intervention de Miles, et les yeux toujours braqués sur le palanquin, qui disparaissait dans le feuillage ; à force d’en faire commerce, il semble qu’il l’ait vaincue.
Jacques, non loin, s’ébrouait comme un jeune chien, et grattait la boue qui séchait sur son vêtement.
– Allons, mes amis, allons, dit-il, après qu’il eut rajusté son pourpoint ; soyons oublieux de la mort, et profitons de la vie.
Aussitôt, s’accordant par un silence convenu, les trois amis marchèrent jusqu’à l’Aube, empruntèrent le bac, sous l’agile conduite de Pierrot, rejoignirent leur monture respective et, à bride abattue, partirent se saouler au Père tranquille.
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (3)voir plus




{* *}