Le 16 avril 1970, sur le plateau d'Assy en Haute-Savoie, un glissement de terrain emporte deux bâtiments d'un sanatorium d'enfants, faisant plus de soixante-dix morts. Brisant le silence qui recouvre cette catastrophe, Perrine Lamy-Quique exhume documents d'archives et correspondances, elle les juxtapose aux témoignages qu'elle recueille auprès des familles des victimes et des rescapé·es, composant de la sorte un texte d'une grande force.
Pour aborder les enjeux du travail d'enquête et de mémoire tout comme l'usage des documents et du montage, Perrine Lamy-Quique sera en discussion avec Laurent Demanze, enseignant-chercheur en littérature contemporaine et auteur de l'essai Un nouvel âge de l'enquête.
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Dans le domaine du journalisme il y a vraiment deux familles : l’une qui est du côté de l’éditorial, de la tribune, de l’opinion, et l’autre qui est du côté du reportage, de la narration. Et je n’ai aucun dédain pour la première, mais il est clair que pour ma part, j’appartiens à la seconde famille. Ce que j’aime, c’est ça. Je n’ai jamais de ma vie écrit une tribune. Ce qui est mon talent, si j’en ai un, est du côté de la narration et de ce que tu viens de dire, une espèce de déploiement de la réalité qui donne une idée de sa complexité, du fait que des gens qui pensent des choses qui nous sont extrêmement déplaisantes et contraires peuvent être des gens éminemment sympathiques.
Le bien existe, il existe absolument, tout autant que le mal. Et c’est cette
existence, absolument contraire à toute loi naturelle, cette existence contreproductive du point de vue biologique, qui pose réellement problème. Et
c’est ce problème du bien, le seul peut-être qui vaille, qu’Emmanuel Carrère
se pose dans les plus belles pages de ces livres.
Seulement, si la littérature, principalement, occupe une place plus
importante dans ma vie – et je pourrais très bien parler des livres selon le
mouvement harmonieux que je viens de décrire –, j’accorde au cinéma une
place, disons plus spécifique, qui est un peu contradictoire avec l’exercice
de la critique.
Car ce qui me fascine, au cinéma, se trouve également dans tous les
films, bons ou mauvais. Et, de cette fascination essentielle, ce n’est évidemment pas à la critique de rendre compte (c’est pourquoi je trouve un grand
plaisir à répondre à cette enquête sur mes motivations de cinéphile : pour
une fois, j’en prends acte).
Le
désir est naturel et sain, c’est la nature qui parle, il se refuse à y renoncer ;
mais aussi il aimerait tellement que les braves gens soient heureux, que leur
aspiration à l’amour soit comblée, et naturellement ce n’est pas possible,
et tout cela nous donne, notamment dans L’Envoûté et dans Le Fugitif,
quelques-unes des plus belles pages de la littérature anglaise.
Tout ce qui a été filmé me fascine ; je ne trie qu’ensuite, et c’est pour moi
une opération radicalement différente. On ne juge pas le réel, me semble-t-il. Si je ne me préoccupe pas de son adéquation au rôle, comment pourrais-je
juger le geste qu’a réellement effectué l’auteur ? Il ne reste ni beau ni laid, il
a eu lieu, c’est tout.
Je pense que chaque livre impose sa forme malgré tout. Il y en a deux
qui ont une forme assez éclatée, où la chronologie de la rédaction l’emporte
un peu sur la chronologie de l’action et des événements. C’est Un roman
russe et D’autres vies que la mienne. Limonov suit plus le fil chronologique
et d’une certaine façon Le Royaume aussi. Si j’y réfléchis, les deux autres
dont je parlais suivent aussi un peu la chronologie de leur rédaction mais
c’est le cas aussi pour L’Adversaire. J’ai tendance à considérer ces cinq
livres-là, de L’Adversaire au Royaume comme formant une espèce de bloc,
des livres de non-fiction que je me suis mis à écrire. À vrai dire, je ne sais
pas du tout si j’ai envie d’autre chose ou de poursuivre dans ce registre : je
suis un peu en panne.
À quel moment penses-tu que tu as fini un livre ?
Il y a un critère très simple, c’est quand tu avais une virgule à un endroit, tu l’as changée, et à la lecture suivante tu la remets à la place qu’elle avait avant. Pour moi, ça veut dire qu’il faut arrêter, qu’il faut savoir arrêter.
On est
avec des gens normaux, avec leurs problèmes de famille et leur quotidien.
Ce qui m’intéresse, c’est comment ils réagissent, comment réagit en particulier une famille au retour d’une de leurs filles qui est morte dans un accident
de car quatre ans plus tôt : et tout d’un coup elle revient telle qu’elle était
au moment de sa mort. Elle avait une sœur jumelle qui a continué à grandir
depuis sa mort et a dix-huit ans, et elle, quand elle revient, elle a toujours
quatorze ans. C’était d’ailleurs une des difficultés du casting : avoir des
jumelles qui ont quatre ans d’écart. Ce dispositif de fiction, je le trouve à la
fois très simple et d’une incroyable richesse.
Quand on est scénariste, on peut éprouver une certaine frustration parce qu’on a imaginé quelque chose qui est réalisé et qui n’est pas ce qu’on avait rêvé ; mais là il y a le film, et le scénario n’existe plus. Le scénario est un objet transitoire qui n’est pas destiné à être lu en dehors des gens qui font le film. Cela peut créer un regret, une amertume, une frustration chez le scénariste. En revanche, quand on écrit des livres qui sont adaptés au cinéma, je dirais que, même si le film est raté, le livre existe toujours. Ça n’entame pas du tout ses qualités ou ses défauts.
Les gens, c’est
le moins qu’on puisse dire, ne savent plus comment vivre. Le chaos est
si total, le désarroi si généralisé qu’aucun modèle de comportement hérité
des siècles anciens ne paraît applicable aux temps que nous vivons.