Assurément, Cosplay n’est pas un livre si facilement réductible à un genre particulier : science-fiction ? Pas franchement… Pour moi, de la science-fiction sans extra-terrestres, c’est comme un western sans indiens (bon, je force un peu le trait, mais vous comprenez l’idée…) Satire sociale ? Pas uniquement… L’auteur donne la part belle à pléthore de personnages de conditions différentes, mais l’étude des mœurs se cantonne à une vision manichéenne de l’entreprise… Cosplay relèverait plutôt du roman d’aventure baroque et populaire – la référence à Alexandre Dumas y est omniprésente – et du conte philosophique, à la façon de Jonathan Swift, Voltaire ou Lewis Carroll. Un petit tour dans le Cosplay vaut bien un voyage de Gulliver ou de Micromégas de l’autre côté du miroir. Le conte philosophique est bien pratique pour véhiculer certains messages, caricaturer nos contemporains, et asséner quelques vérités morales, même ingénues, en direction du lecteur. Alors, roman d’anticipation, récit post apocalyptique, satire sociale, roman d’aventure, conte philosophique, Cosplay est sans doute un peu tout cela à la fois.
Je ne reviendrai pas sur le déroulé de l’histoire, abondamment commentée par les babelionautes dans le cadre d’une opération Masse Critique privilège qui a fait pleuvoir les avis – d’ailleurs très positifs – sur le site. En revanche, un survol rapide des 33… Non, attendez… 35... Non… 37 commentaires déjà présents m’oblige à trouver un angle d’attaque inédit et m’incite à creuser davantage sous les apparences du récit. Car ce livre soulève selon moi un peu plus de questions que celles lues ici ou là. Bas les masques ! Il y a comme un… loup !
L’un des thèmes principaux concerne la revanche, par le truchement d’un jeu vidéo massivement multi-joueurs, des obscurs et des sans-grades (la nouvelle embauchée sans salaire, le serveur de la cafète, le voiturier…) sur les puissants (les membres du comité de direction). En première approche, le jeu Cosplay semble conçu pour restaurer un ascenseur social en panne, donner sa chance à tout un chacun, détecter les vrais talents, privilégier les salariés compétents, écarter les éléments nuisibles, en masquant les identités pour contourner le ravage des préjugés et les positions injustement acquises. On établirait presque un énième plan de sauvetage des banlieues (appelées ici « la Zone »), avec ce jeu utilisé ici comme une extension du principe du CV anonyme (qui a été un échec, rappelons-le). Bref, Cosplay (le roman) apparaît un peu comme un manifeste à la gloire des travailleurs-travailleuses discriminés habitant-de-l’autre-côté-du-périph. Or, un Mur, hautement symbolique, a remplacé le périph parisien. Car l’action se situe dans un Paris post-apocalyptique, les descriptions de ce qui ressemble à la Tour Eiffel, la place de la Concorde ou Notre-Dame ne laissent aucune place au doute.
Pour bien enfoncer le clou, les patrons et chefs de service de 1T sont invariablement félons, incompétents, pleutres, veules, lâches, manipulateurs, menteurs, avides de pouvoir et d’argent, et n’hésitent pas à promouvoir, s’il le faut, le droit de cuissage… Ils ne méritent donc que la lanterne rouge, je veux parler de celle où l’on pend les aristocrates. Pour les obscurs et les sans-grades, voire les sans-culottes, il y aurait donc des places à prendre. Discours un peu populiste, situation un peu manichéenne, mais Ah ça ira, ça ira, ça ira, les hiérarques à la lanterne, comme on est dans une fiction, libre à l’auteur de caricaturer son propos et ses personnages, dans le défoulement et la jubilation.
Et pourtant, est-ce aussi simple ? Le propos est-il simplement de défendre et de promouvoir les sans-grades par le nettoyage salutaire d’une hiérarchie illégitime et incompétente ?
Hé bien non, sous le masque, il y a toujours un masque. Un loup.
Le robin des bois défenseur des opprimés, Zoran Adamas, est présenté comme « le plus magnifique salaud que les affaires aient porté à leur Walhalla, intraitable, incapable de la moindre compassion », un baron du capitalisme et de la magouille boursière, un autodidacte qui est parvenu sans état d’âme à hisser son entreprise au sommet, en écrasant ses concurrents, en les absorbant à coup de raids hostiles, en n’hésitant pas au besoin à manipuler les marchés et les médias.
Le plan utilisé pour faire main basse sur 1T (prononcez ouann-ti = wanted) a de quoi faire frémir. En trois jours, les trois-quarts des effectifs passeront à la trappe, sans plan social, avec les méthodes expéditives du far-ouest et de la Terreur : tirer sur tout ce qui bouge, mettre en place un tribunal révolutionnaire... Les plus fragiles et les moins productifs seront réduits à néant…
Malgré leur apparence d’hurluberlus inoffensifs déguisés pour aller au bal masqué, les héros de cette histoire qui débarquent un matin chez 1T sont des directeurs financiers killers spécialisés dans le redressement d’entreprises. Ils sont malins, extrêmement riches, jeunes et beaux. Sortis du même moule, ils appartiennent à une caste élitiste, les Nonpareils, ils ont été « usinés » (sic) à Nonpareil, l’école créée par Adamas. Ils se voient comme des guerriers et des prédateurs.
Katie Dûma, la petite banlieusarde récemment embauchée est-elle réellement une employée anonyme ? Ses études ont été prises en charge par une bourse de la fondation Phénix (créée par Adamas), son mémoire de thèse porte sur l’histoire de la société 1T. Son père boursicoteur achète depuis toujours des actions 1T et ne jure que par Adamas. Pour faire bonne mesure, un Nonpareil incognito semble avoir élu domicile chez elle. Pour l’ascenseur social et l’égalité des chances dans « la Zone », on repassera !
L’entreprise ne se relèvera que si l’on trouve dans un délai très bref le « produit » qui permettra de regagner la confiance du marché, et chacun doit donc s’atteler à la tâche (que le produit en question soit un cerveau artificiel n’est ici qu’un prétexte, on ne sait ni comment celui-ci sera utilisé ni à quoi il va servir ; c’est aussi en cela que Cosplay n’est pas réellement un roman de science-fiction, un véritable auteur de SF se serait emparé de ce thème). L’important, en fin de compte, n’est pas la finalité du produit, mais bien sa capacité à damer le pion des concurrents et à faire gagner toujours plus de pognon à l’entreprise.
En résumé, nous sommes bien loin de la défense des opprimés et de l’égalité des chances pour tous. Les dirigeants de Phénix qui tirent les ficelles dans les coulisses ne sont finalement intéressés que par le profit et la prise de contrôle des sociétés. D’ailleurs, l’épilogue de ce qui n’est finalement qu’une opération boursière se déroule devant une assemblée d’actionnaires où les masques tombent enfin.
L’idée était bien entendu de faire chuter le cours de l’action – par la désinformation et la manipulation des médias (Adamas est devenu fou, il veut détruire la société 1T, vendez, etc.) – pour la racheter à bas prix avant de dévoiler le véritable plan stratégique qui mise sur la résurrection de l’entreprise (celle-ci appartient désormais au groupe Phénix, dont le nom à lui seul signale depuis le début le programme mis en place).
Ce culte de l’argent et du pouvoir ne m’a pas rendu les personnages sympathiques.
On se laisse pourtant embarquer avec plaisir dans cette histoire grâce à un scénario très bien ficelé.
Laurent Ladouari montre un talent réel et accumule des atouts de façon assez impressionnante pour un premier roman : une plume efficace, un scénario haletant, une imagination débordante, une intrigue sophistiquée proposant de véritables retournements de situation. Bien malin qui pourra identifier sous les masques et les pseudos du jeu Cosplay toutes les identités des joueurs. Les personnalités des protagonistes sont bien étoffées et conservent néanmoins une part de mystère, qui pourra être exploitée pour les éventuelles suites. De nombreux points restent en suspens, dont une bonne partie est astucieusement rappelée dans l’épilogue, qui par ailleurs ouvre plus de portes qu’il n’en referme. On reverra sans doute les Nonpareils à l’œuvre dans de prochaines aventures. Le débat est désormais ouvert pour deviner dans quelles directions de cet univers foisonnant les prochains scénarios vont pouvoir nous emmener. Les lecteurs font le buzz et en redemandent. Laurent Ladouari est un auteur talentueux et très malin.
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