Tom Waits interprète "Fire Men", un poème de Lawrence Ferlinghetti.

La poésie est le cri que l’on pousserait en s’éveillant dans une forêt obscure au milieu du chemin de notre vie.
La poésie est le soleil qui ruisselle à travers les mailles du matin.
La poésie, ce sont des nuits blanches et des bouches de désir.
La poésie est l’argot des anges et des démons.
La poésie est un canapé où s’entassent des chanteurs aveugles qui ont posé leurs cannes blanches.
La poésie est le dérèglement des sens qui produit du sens.
La poésie est la voix de la quatrième personne du singulier.
La poésie ce sont toutes les choses nées avec des ailes et qui chantent.
La poésie est une voix dissidente qui s’insurge contre le gaspillage des mots et la surabondance insensée de l’imprimé.
La poésie est ce qui existe entre les lignes.
La poésie est faite des syllabes des rêves.
La poésie, ce sont des cris lointains, très lointains, sur une plage au soleil couchant.
La poésie est un phare qui fait tourner son mégaphone au-dessus de la mer.
Un poème peut être fait d’ingrédients ménagers courants. Il tient sur une seule page et peut cependant remplir un monde et se loger dans la poche d’un cœur.
La poésie, ce sont des pensées sur l’oreiller après l’amour.
La poésie est un chanteur des rues qui sauve les chats de gouttière de l’amour.
La poésie est le dialogue des statues.
La poésie est le bruit de l’été sous la pluie et la clameur de gens qui rient derrière des volets clos dans une rue étroite.
La poésie est une grande maison résonnant de toutes les voix qui ont jamais dit quelque chose de fou ou de merveilleux.
La poésie est la voix à l’intérieur de la voix de la tortue.
La poésie est un livre de lumière la nuit.
La poésie n’est pas que l’héroïne, les chevaux et Rimbaud. Elle est aussi le murmure des éléphants et les prières impuissantes des passagers aériens qui attachent leur ceinture pour la descente finale.
Tel un bol de roses, un poème n’a pas à être expliqué.
texte paru dans le supplément « La poésie est partout » de Courrier International ( 18-24 novembre 2004 ; paru initialement dans le San Francisco Chronicle), « Quelques définitions de la poésie à l’usage du XXIe siècle »
J'ai toujours pensé que les poèmes doivent parler pour eux-mêmes, sans explications, sans commentaires et sans introduction.
Si un poème doit être expliqué c'est qu'il échoue à communiquer. Le poème doit tenir debout tout seul, comme une sculpture vivante ou un mobile qui tourne dans le vent.
Extrait de l'Avant-lire, 14 février 2008
Sur les autoroutes à cinquante voies
d’un continent de béton
scandé d’affiches doucereuses
où s’illustrent les illusions imbéciles du bonheur.
La poésie comme l'amour a la vie dure parmi les ruines.
Il est bon d'avoir l'esprit ouvert mais pas au point que le cerveau tombe par terre...
(Cité par Jean-Christophe Rufin, dans sa post-face "à propos de Globalia")

Le soir tombe, le soleil jaune flamboie sur les falaises loin dans les hauteurs où les cacatoès blancs s’élèvent et planent en cercle dans le ciel blanc ; il y en a des centaines, énormes, blancs, d’une si grande beauté et pourtant emplissant l’air de leurs cris sombres et de leurs jacassements rauques. Même ici, le jacassement de la création, la Grande Chaîne de l’Existence entrechoque ses fers ; la Chaîne Alimentaire jacasse, dans la pénombre, les cacatoès plongent sur les hirondelles, les faucons sur les cacatoès, les énormes cormorans naviguent au-dessus de tout, leurs becs grands ouverts pour gober n’importe quelle créature inférieure. Seuls des nuages en forme de poisons se gaussent de tout cela, d’énormes baleines célestes planant dans les hauteurs, renversant leurs queues à l’arrivée du vent du soir, des requins marteaux dépassant le sommet des hautes falaises, leurs petits yeux transpercés par des rayons de soleil obliques.
The dusk is falling, yellow sun flaming on the cliffs far above where white cockatoos circle & soar in the white sky—hundreds of them, huge, white, looking so very beautiful yet filling the air with their black cries & hoarse chatter. Clatter of creation, still, out here—the Great Chain of Being rattles its links, the Food Chain chatters, into the dark, cockatoos dive on swallows, hawks upon cockatoos, huge cormorants sail above all, their beaks agape for any lower creation. Only fish-shape clouds make a mockery of it all, huge sky whales drifting over, flipping their tails in the rising night wind, hammerheads driving over the high cliffs, tiny eyes pierced with slanting sunlight.

A tout animal qui mange ou tire sur sa propre espèce
A chaque chasseur en 4x4 avec fusil à lunette monté à l'arrière
A chaque tireur d'élite ou ninja de Forces spéciales
A chaque redneek botté avec pitbull et fusil a canon scié
A chaque membre des forces de l'ordre avec chiens dressés pour traquer et tuer
A chaque flic ou indic en civil ou agent secret avec holster rempli de mort
A chaque serviteur du peuple tirant sur le peuple ou visant un malfaiteur en fuite pour tuer
A chaque guarde civil de tout pays gardien des citoyens avec menottes et carabines
A chaque garde frontière devant n'importe quel Check point Charley de n'importe quel côté de n'importe quel Mur de Berlin de Bamboo ou Totilla Curtain
A chaque motard CRS d'élite patrouille fédérale en pantalon de cheval fait sur mesure casque en plastique cravate lacet
A chaque voiture de patrouille avec fusil à pompe sirènes hurlantes chaque blindé anti-émeute avec lance-à-eau et matraques prêtes à servir
A tout pilote d'élite avec missile laser et napalm plein les ailes
A chaque commandant au sol donnant la bénédiction aux bombardiers qui décollent
A n'importe quel Département d'Etat de n'importe quelle superpuissance marchande d'armes vendant aux deux côtés de n'importe quel conflit à la fois
A n'importe quel nationaliste extrêmiste de quelque nation que ce soit dans n'importe quel monde tiers est ouest nord sud
Qui tue pour sa nation chérie
A n'importe quel prophète poète enflammé armé de fusils de symboles ou de rhétorique
A chaque propagateur de la foi et de la raison de la lumière spirituelle par la force des armes
A chaque instrument attitré de la légitime puissance publique de n'importe quel pouvoir d'état
A tous et à chacun qui tuent tuent tuent encore et toujours au nom de la paix
Je lève - seul et unique salut possible! - mon doigt majeur.
20
Ce gars dans le compartiment du train qui insistait
pour jouer au blackjack
avaient des dents qui dépassaient
comme des phares sur une côte rocheuse
mais
il n'avait pas d'yeux pour voir
le crépuscule scintiller au passage
les chevaux dans les vergers
qui galopaient sans bruit
des vols d'oiseaux
jetés au ciel
et les papillons d'hier
qui voltigeaient
dans mon esprit
Pictures of the gone world ( Images d'un monde en-allé ) ( 1958 )
La poésie est bourgeons et semences. Fume la et plane.
Il est bon d'avoir le cerveau ouvert mais pas au point que le cerveau tombe par terre .