A une époque où la mort reste encore un sujet tabou, voire immonde, je voulais, à travers ma déchéance, malgré tout, en adoucir l’image. La mort n’est pas sale. Elle est angoissante mais elle n’a pas à être occultée. La vie est aussi faite pour qu’ soit montrée la mort à ses semblables. Entre autres tâches, au sommet de l’état, qui gouverne doit s’imposer ce devoir existentiel le moment venu.
Vers quatorze-quinze ans j'appris les horreurs commises en 1916 et en 1917 ; je priai pour ne jamais être mobilisé un jour. J'avais, certes, peur de la mort au combat comme tout le monde. Mais l'idée d'abattre un soldat avant tout un homme, me terrifiait tout autant que celle de ma propre mort. C'était déjà en moi. Je ne pouvais pas tuer. Je n'aurais jamais su le faire, fût-ce sur un champ de bataille. Je n'aurais pu être président de la République avec un code pénal qui permît de décapiter un être au petit matin.
L'autre soir, Jean-Christophe est venu me voir. Il m'a demandé : "Comment ça va papa ?". Je lui ai répondu : "Mon fils, j'ai mal comme un chien. Comme deux chiens même !". Je ne suis pas sûr de revoir Jean-Christophe avant de mourir, mais s'il revenait au moment où j'écris ce texte, je lui dirais qu'il n'existe pas assez de chiens au monde pour hurler aussi fort que je souffre. A cela il faut rajouter que mes jambes ne me portent plus. Le moindre pas est suivi d'une chute.
De Gaulle et Pompidou sont d’une culture où la mort est à couvrir du voile de la pudeur. Ce qui me distingue des gaullistes est précisément à l’opposé de cette conception…