En moins de dix années, les oeuvres de Rodin vont surgir dans une admirable succession de formes volontaires. C'est que, pendant la longue période préparatoire, il s'est armé, et a produit sans relâche. Il ne s'est pas arrêté un instant dans son accumulation de production. Son atelier renferme les grandes oeuvres sur lesquelles la bataille va se livrer, dès qu'elles apparaîtront en public.
Pensant vite, voyant bien, fidèlement amoureux de toutes les femmes qui passaient, apercevant une auréole dans un rayon du clair matin au front d’une divine ouvrière, faubourg du Temple ou rue Saint-Jacques; démêlant une sensation luxueuse et subtile dans cette mondaine pour qui les seules clartés naissent au soleil couchant, dans la pénombre des boudoirs, ou dans l’irradiation des salons, notre graveur pouvait donner aux curieux collectionneurs de ses petites figurines la sensation d’une planche bien gravée, bien ordonnée, bien composée, grâce surtout à la technique très complète, à la connaissance des cuisines de son métier, dont il sait user en virtuose; mais ce côté chatoyant, amusant, joli ne répondait pas à son besoin de découverte, et seules, des planches d’une dimension assez étendue pouvait permettre a sa pointe-sèche des explorations dans les champs si souvent labourés du cuivre, le métal recélant une partie de ses richesses et les tenant en réserve pour les hardis pionniers qui se hasardent sur ses bords.
On l'a bien vu cette année pour la fameuse statue de Balzac qui avait suscité tant de controverses, tant de bruits véhéments et violents. Cette atmosphère défavorable eut dû impressionner d'une manière fâcheuse le public ordinaire. Il n'en fut rien, les discussions soulevées autour du redoutable portrait de l'auteur de la Comédie humaine ne le touchèrent guère, tandis que le mouvement de la statue, la hardiesse et la nouveauté de l'allure, l'impressionnant effet qui s'en dégageait, lui indiquaient bien que cette oeuvre valait plus que les polémiques qu'elle avait suscitées.
Qui est Henri Boutet, quel il fut à ses débuts, quel il sera demain, Maillard n'a pas oublié un détail, et quand il n’y a plus rien à dire, il me passe perfidement la parole. Il faudrait reprendre l'oeuvre d'Henri Boutet, pastels, peinture, lithographies, menus, et traiter les diverses manifestations du talent si varié de l'auteur comme firent, dans le Salon de 1852, Edmond et .Jules de Concourt qui, prenant chaque tableau un par un, en refaisaient le dessin à la plume, en décrivaient les couleurs et les nuances et laissaient au lecteur le soin de juger.
Parmi les artistes originaux qui ont surpris les secrets de mouvements nouveaux des plis et des draperies, Henri Boutet marche au premier rang. Chaque époque a ses manières d'être, ses attitudes, sa clé, comme une portée de musique. On salue, on gesticule, on rit autrement que sous l'Empire, sous Louis-Philippe et sous la Restauration ; le costume modifie les allures. La poésie canaille, la chanson des chemins de ronde a apporté dans les postures un air de bravade et de défi que ne connaissaient pas les femmes d’autrefois.
Ces planches ont dû exister, il en reste de rares vestiges, mais suffisants pour que l'on ait la certitude que les petites estampes du XVIIe siècle ne sont pas des exceptions uniques, mais bien des colonnes subsistant de tout un temple écroulé dans l'oubli. Si l'on admet que l'allure du XVIe siècle, son attitude désordonnée et batailleuse, la lutte de la scolastique et de la philosophie rationnelle, le choc des sciences et des idées, physiques et géographiques, et l'imprimerie en plein épanouissement brochant sur cette éclatante conquête spirituelle, emportaient les grands artistes de l'époque vers des affirmations plus générales, moins pliées aux besoins particuliers, que seuls la librairie, la peinture et les arts de la plastique pouvaient clairement exprimer au gré de leurs créateurs, il ne s'ensuit pas que le règne de Louis XIII et celui de Louis XIV aient dû se plier à cette règle absolue.
La République de 1848 donne une place importante à l'imagerie populaire, aux placards muraux. Les artistes envoient leurs productions aux journaux de Philippon ou d'Aubert. Mais ce qui constituait le caractère artistique des invitations, menus, programmes, est relégué, sinon oublié. Pas une pièce surgissant tout à coup pour éclairer la vie civile et commerciale: il n'y a plus que la politique qui compte, et la politique est mauvaise inspiratrice en art.
C'est avec le XVIIIe siècle que commence, avec une abondance sans égale, le règne de la petite estampe. Aucune des situations n'échappe à son trait incisif, et les plus notables artistes font preuve de l'ingéniosité la plus gracieuse pour employer et contourner, au gré du sujet à embellir, un ornement, un rinceau, une recherche décorative. C'est vraiment l'épanouissement floral dans tout son charme.