Citations de Léonora Miano (372)
On ne leur a pas expliqué que la case commune devait abriter leur chagrin, jusqu'à ce qu'il soit certain que la douleur, désormais domptée, ne se transmettrait pas aux familles. Personne n'a proposé aux femmes dont les fils n'ont pas été retrouvés de chanter, de danser leur peine, afin de mieux la dépasser. C'est pourtant la tradition ici. Personne ne leur a dit si elles pouvaient pleurer. Les larmes sont réservées à ceux dont on a vu les corps sans vie. On ne leur a laissé que le silence, la solitude.
Parfois j'ouvrais un livre en plein milieu, il y avait toujours quelque chose pour moi, quelque chose pour le moment présent, je me suis attachée à certains auteurs, les ai fait connaître à mes élèves, même si le programme de l’Éducation nationale ignorait tout de ces poètes.
page 143
" Il n'est que des ombres alentour, c'est à toi que je pense. Non pas qu'il fasse nuit, et que les vivants aient soudain épousé les couleurs du moment. Il aurait pu en être ainsi, si le temps prenait encore la peine de se fractionner en intervalles réguliers : secondes, minutes, heures, jours, semaines ... Mais le temps lui-même s'est lassé de ce découpage. "
La confiance est toujours un risque.
La journée avait été longue, et la nuit promettait d'être courte. Le Conseil tenait une de ses assemblées nocturnes au cours desquelles les affaire du Continent étaient abordées sur le plan de l'éthique traditionnelle. Cette terminologie avait été choisie pour éviter le recours au terme de spiritualité qui s'appliquait aujourd'hui à tout et son contraire. Il arrivait, comme en ce moment, que les membres ne siègent pas sous leur apparence diurne, révélant leur vrai visage. En tant que mokonzi [chef d'état de Katiopa], Ilunga prenait part à certaines de ces réunions, mais il ne faisait pas partie de l'ennéade des Conseillers. Il se trouait là, cette nuit, en compagnie d'humains faisant corps, pour l'occasion, avec la dimension de leur être se rapportant à une force de la nature. p. 114.
« A aucun moment, lors de ces sorties, il ne leur est venu à l’esprit de s’échapper. Où seraient-elles allées ? Il n’appartient pas aux femmes d’arpenter les chemins. Les femmes incarnent la permanence des choses. Elles sont le pilier qui soutient la case. »
Nous vivons tous avec des épines dans le corps.
Il suffit de savoir comment se mouvoir, pour qu'elles n'atteignent jamais un organe vital. Elles me piquent. Je ne crie pas. Je marche dans la ville, et je suis presque libre.
"C'est d'être nommé qui fait exister ce qui vit."
Elles vaquent
au meurtre du temps.
Assassinat sans fin.
Crime toujours imparfait
car illusoire.
Le temps est impérieux
il est une distance à tenir
Une obligation d'endurance vaille que vaille.
"Elles refusaient que ces étrangers fassent l’objet d’un rapatriement forcé, mais se satisfaisaient de les voir mordre la poussière, faire l’expérience de l’infériorité, de l’invisibilité, du silence. Ce n’était pas le comportement le plus charitable, mais c’était ainsi, le passé avait laissé des traces. Sans se l’avouer, on se réjouissait de voir les maîtres de l’ancien monde réduits à leur plus simple expression humaine, passés de premiers à derniers. Cette petite revanche n’avait pas encore duré assez longtemps pour que l’on en soit repu. Le mokonzi devait tenir compte de cela."
Le rêve est un voyage en soi, hors de soi, dans la profondeur des choses et au-delà. Il n'est pas seulement un temps, mais aussi, un espace. Le lieu du dévoilement. Celui de l'illusion parfois, le monde invisible étant aussi peuplé d'entités maléfiques.
Revendiquer, faire entendre sa colère en public, c'était admettre qu'on entretenait avec les autres une relation, même viciée. Se cantonner à des espaces communautaires, c'était tourner pour jamais le dos à ceux dans lesquels on refusait de voir ses semblables.
Ces mots disaient le refus de se laisser enterrer vivants.
Boya n'était pas de celles qui se sentaient incomplètes sans une présence masculine permanente à leurs côtés. Elle n'était ni obsédée par la nécessité de trouver un compagnon, ni emmurée en un lieu supposé la protéger du chagrin. La femme s'épanouissait dans cette aisance intérieure quand le souffle bleu d'Ilunga l'avait enveloppée. C'était un cadeau de la vie, une porte ouverte sur de nouvelles expériences. Leur présence dans cet endroit improbable, la manière dont ils s'y étaient rendus, le confirmaient. Qu'il n'y ait aucune ombre au tableau aurait sans nul doute retiré une partie de sa saveur à cette histoire. Elle était à la fois donnée et à faire, comme ce grand saut qu'ils exécutaient ensemble dans le premier rêve où l'homme lui était apparu.
Je me remémore l'incipit d'un roman de Shange, des mots qui font sourire mon coeur, WHERE THERE IS A WOMAN THERE IS MAGIC, j'ai lu cela il y a des années, je me suis dit Bof; cela ne m’impressionnait guère, cela me contrariait même un peu; ces femmes qui en faisaient tout un plat de leur féminité, comme si c'était un truc spécial, je voyais ma mère, je me voyais moi et ne comprenait pas, à présent je sais qu'il y a du vrai, pas au pied de la lettre, pas toujours pour le meilleur, mais il y a du vrai, le texte disait aussi fallait connaître sa propre magie pour la rendre effective, j'irai débusquer la mienne.
page 183
Grâce à la mystification dont elle était à la fois la conceptrice et l’objet, bien que sans en avoir conscience, celle qui deviendrait la Vierge souhaitait atteindre deux objectifs : régler son compte à la morosité des jours, et se donner de l’importance. Elle y parvînt.
La légende est connue. Et s’il y a chez elle quoi que ce soit dont une femme puisse s’inspirer, c’est cela : faire un rêve, y croire assez fort pour qu’il devienne la réalité de tous. Chacune dans la mesure de ses possibilités.
La justice des hommes est si peu fiable, et la puissance de l'occulte tellement à craindre... Mon courage baisse les bras. Il ne trouvera nulle part d'écho en cette terre.
Pas de péridurale
pour accoucher de soi.
Inutile de mourir pour disparaître. Il suffit de n’être rien pour personne.
"Ma revendication en temps que femme c'est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m'adapter au modèle masculin" Simone Veil.