Leslie Kaplan lit quelques pages de "
Un fou" - éditions P.O.L - à l'occasion de sa parution, à Paris le 9 mars 2022.
pages 9 et suivantes, puis pages 60 et suivantes
Millefeuille voyait le poème sur la page, les vers se détachaient, Baudelaire parlait des vices,
"Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !"
Millefeuille souriait intérieurement et continuait
"Et dans un bâillement avalerait le monde :"
C'est l'ennui ! ...
Incroyable que Baudelaire ait trouvé que l'ennui était un vice, une erreur, une faute très grave, un péché, pas un malheur, on éprouve pourtant comme un malheur de s'ennuyer, moi en tout cas, je l'éprouve comme un malheur
Certains des assassins parvenaient à s'enfuir, mais la plupart étaient pris et revendiquaient crânement leur crime, on les voyait même rire, se moquer, faire des plaisanteries plus ou moins drôles, bref c'était le monde à l'envers.
Page 10 (Sur 55, mais pourquoi les trois dernières ne sont-elles pas numérotées?)
l'autre jour j'ai vu une affiche
"apprenez à habiter votre corps
en 25 leçons"
je n'ai pas compris
"habiter son corps"
qui habite mon corps ?
moi il me semble
il te semble ?
il me semble, moi
si ce n'est pas moi
ce serait qui ?
On était au pays des Droits de l'homme, c'était entendu, au pays de la tolérance, sans liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur, Beaumarchais, Figaro, etc., on pouvait plaisanter, on devait même parfois le faire, mais il ne fallait pas exagérer.
Assez.
Ce n'était plus possible.
Il ne fallait pas confondre. Ni dépasser les bornes.
Bref.
L’usine, on y va. Tout est là. On y va.
L’excès – l’usine.
Un mur au soleil. Tension extrême. Mur, mur, le petit grain,
brique sur brique, ou le béton ou souvent blanc, blanc
malade ou la fissure, un peu de terre, le gris. La masse mur.
En même temps, ce soleil. La vie est, haine et lumière, La vie-
four, d’avant le commencement, totale.
On est prise, on est tournée, on est à l’intérieur.
Le mur, le soleil. On oublie tout.
La plupart des femmes ont un merveilleux sourire édenté.
On boit un café à la machine à café.
La cour, la traverser.
Être assise sur une caisse.
Tension, oubli.
p.12
La Terre s’était aplatie, progressivement et de façon continue, par la masse énorme, qui grandissait sans cesse, et qu’on n’arrivait absolument pas à éliminer, dont on n’arrivait absolument pas à se défaire, de bêtises, stupidités, imbécillités, idées reçues, clichés, tautologies, discours vides, mots creux, bref, de platitudes, le terme s’imposait, oui, de platitudes qui s’échangeaient à chaque instant et finissaient par avoir un effet. Et comment non ? Les idées sont une force matérielle, c’était prouvé depuis longtemps. (L'aplatissement de la terre)
Mes chers compatriotes.
Oui, nous sommes en guerre.
Qui fait la guerre ? Le capital.
Qui va gagner ? Le capital.
Qui va perdre ? Ceux qui n'en sont pas.
De quoi ?
Du parti du capital.
Et Simon aimait que les hommes changent, puissent changer. Laissent leurs maux. Mettent une distance, soient moins tristes, moins blessés, moins misérables, et jouent, apprennent à jouer, à être gais. Guérir une fois pour toutes l'angoisse, non, sûrement pas. Mais arriver à en faire autre chose, à s'en défendre autrement que par des rituels obsessionnels ou des somatisations, sans parler de comportements délinquants qui visent à tout faire porter au voisin...(p.56- coll. Folio)
Un homme libre, qu’est-ce que c’est ?
.....
c’est Bartleby le copiste de Melville qui un jour arrête tout en disant, I would prefer not to, Je préfère ne pas. Quand on finit par le mettre en prison et que son ancien patron vient le consoler, Regarde le ciel bleu, regarde l’herbe verte, il répond seulement, I know where I am, Je sais où je suis.
....
c’est Franz Kafka qui n’a jamais réussi à se marier mais qui peut, en imaginant la Statue de la Liberté, voir, à la place de la torche, un glaive ;
c’est un homme qui dit, alors qu’il est enfermé à Dachau, « La nuit était belle ». Robert Antelme.
.....
c’est une vieille dame à qui deux jeunes gens viennent de prendre tous ses bijoux et qui dit, Peut-être ils ne savent faire que ça .....
L’usine, la grande usine univers, celle qui respire pour vous.
Il n’y a pas d’autre air que ce qu’elle pompe, rejette.
On est dedans.
Tout l’espace est occupé : tout est devenu déchet. La peau, les
dents, le regard.
On circule entre des parois informes. On croise des gens, des
sandwichs, des bouteilles de coca, des instruments, du papier,
des caisses, des vis. On bouge indéfiniment, sans temps. Ni
début, ni fin. Les choses existent ensemble, simultanées.
À l’intérieur de l’usine, on fait sans arrêt.
On est dedans, dans la grande usine univers, celle qui respire
pour vous.
p.11