Lagos, mégalopole tentaculaire du Nigeria, en Afrique de l'Ouest. 20 millions d'habitants, développement délirant, inégalités faramineuses, corruption et violence à tous les étages. Après Lagos Lady, Leye Adenle en fait l'héroïne incandescente et tragique de son nouveau livre, Feu pour feu. Roman noir, roman d'action, polar politique et sociologique, féministe et spectaculaire, un feu d'artifices.
A LIRE : Feu pour feu de Leye Adenle, traduit de l'anglais par David Fauquemberg, éd. Métailié.
UNE ÉMISSION ANIMÉE PAR
Michel Abescat
Christine Ferniot
RÉALISATION
Pierrick Allain
TÉLÉRAMA - MAI 2020
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Elle s'est retournée pour me regarder. Je n'avais pas réfléchi à ce qu'il fallait dire, alors je l'ai tirée vers moi et je l'ai embrassée.
Pour commencer, aller seul dans un lieu de drague au Nigeria n’était pas mon idée. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Le Nigeria était le pays où mon ex, Melissa, mi-nigériane, mi-irlandaise, était née, et je voulais avoir des histoires à lui raconter en rentrant. Je voulais aussi sortir de l’hôtel Eko et voir ce pays dont j’avais tellement entendu parler.
Du haut de ses quatre-vingts ans, il avait encore le pouvoir de choisir sénateurs et ministres, et de virer les gouverneurs selon son bon plaisir. On ne l'avait pas surnommé pour rien le "parrain des parrains".
Elle aurait tant voulu pouvoir les convaincre de ne plus faire ce métier , mais c'était un rêve illusoire et fugace , qu'ele se refusait à considérer trop longtemps , Qu'auraient elles fait , alors ?
Elles seraient mortes de faim ? Elles seraient devenues des domestiques , violées par leur patron ? Des mendiantes , dans la rue , violées par les types du quartier ? Elle connaissait ces filles , ces femmes . Elle comprenait leur monde . Pour elles , la prostitution n'était pas un choix - c'était une absence de choix .
Amaka jeta un coup d’œil à sa montre en même temps que l’homme qu’elle suivait. Elle se trouvait au comptoir du Soul Lounge. En entrant, elle avait compté quatre filles pour chaque homme, serveurs inclus. Les filles étaient beaucoup plus jeunes que les hommes auxquels elles tenaient compagnie. Leurs sacs Gucci et Louis Vuitton étaient posés sur la table, bien en évidence, à côté des bouteilles de Moët. Sur certains de ces sacs, le nom sur l’étiquette s’épelait GUSSI. Amaka était la seule femme en tenue de bureau : jupe noire et chemisier de soie rouge. Elle fit glisser ses mains sur ses cuisses et remonta sa jupe pour dévoiler un peu plus ses longues jambes.
L’amie de Florentine, par exemple, avait acheté des cheveux brésiliens à une autre étudiante, qui se rendait régulièrement à Dubai pour se procurer des vêtements, des bijoux et des cheveux humains, afin de les revendre à ses condisciples. L’amie de Florentine avait payé ces cheveux deux cent cinquante nairas, mais au bout d’une semaine, elle se les fit enlever, car les autres filles arboraient à présent des cheveux péruviens, et elle tenait absolument à suivre la mode. Elle donna à Florentine les mèches indésirables et quand Florentine se les fit arranger, tout le monde tomba d’accord sur le fait qu’elle était plus belle encore que l’actuelle Miss Unilag.
Lors de sa première année de fac, n’ayant pas les moyens de vivre au foyer étudiant, elle s’était installée chez une tante éloignée, qui l’avait fait dormir par terre dans le salon à côté du chauffeur et de la domestique, lesquels entretenaient une liaison intime. La tante payait en outre ses frais de scolarité et lui donnait un peu d’argent pour prendre le bus jusqu’à l’université. Au cours de cette première année, Florentine avait perdu vingt kilos et séché la moitié des cours.
Puis elle rencontra une vieille amie à l’université et s’installa avec elle sur le campus, et la tante cessa de lui envoyer de l’argent.
C’était la chose la plus dingue que j’avais jamais entendue : on lui avait tranché les seins ?
– Putain, c’est quoi ces conneries ?
Quand tout le monde s’est tu pour se tourner vers moi, j’ai compris que j’avais crié.
– Ils lui ont tranché les seins, a répété Waidi. Là, maintenant. Dehors.
Il avait forcément mal compris ce que la fille lui avait dit. Je l’ai cherchée du regard, mais mes yeux n’ont rencontré que des visages pétrifiés.
– Ils ont fait quoi ?
Waidi a empoigné un sein imaginaire et, de l’autre main, il a fait le geste de trancher.
– Ils lui ont coupé les seins, a-t-il dit.
Il était illégal pour des civils de posséder des armes de guerre, mais il avait beau être inspecteur de police, il ne pouvait rien faire d’autre que regarder et faire semblant de ne pas voir.
Elle lui raconta les choses qu'elle voulait lui faire ; comment elle allait les lui faire, et pendant combien de temps. Elle laissa ses lèvres frôler les oreilles de chief. Le souffle de l'homme se fit plus court. Il porta ses mains entre ses cuisses, juste sous la bedaine, et se rajusta à travers les plis de son costume blanc. Elle lui confia que son seul regret était que Debby ne puisse pas se joindre à eux, mais si cette nuit se passait bien, d'autres occasions se présenteraient sûrement.