Anne Portugal S&lfies éditions P.O.L - où Anne Portugal tente de dire de quoi et comment est composé son livre "S&lfies" et où il est notamment question de portraits et d'amitié, d'un cadre et du tremblé, de la manière de faire un selfie avec un autre, de savoir si on est dans l'image ou si l'on en est absent, de poésie et de roman, de "Rabalaïre", d'Alain Guiraudie et de Liliane Giraudon, à l'occasion de la parution de S&lfies aux éditions P.O.L
HIER LA POÈTE …
Extrait 4
Hier La Poète a vu sur le
trottoir de l'urine fumer.
L'urine dessinait l'image exacte
de la botte italienne. Il était six
heures quarante-cinq et la nuit
était brumeuse malgré le froid
sec. La Poète a ressenti un
curieux sentiment de bonheur.
Le simple fait d'exister.
[...]
Hier elle a bu un thé superbe
appelé « Baïkal ».
[...]
Hier rêvé un petit dialogue :
« Moi si j'avais pu choisir mon
nom, j'aurais dit Carence. Pas
Clarence, non, Carence. »
« Bonjour Carence. Moi c'est
Inopinée. »
si toi tu te souviens…
si toi tu te souviens
de pourquoi il y a vingt-six ans
j’ai souligné au crayon
ce passage du livre retrouvé hier
dis-le-moi éclaire-moi
je ne suis pas encore morte
mais il semble que ma vie s’efface
ce que j’écrivais m’apparaît souvent
comme écrit par une autre
qui ne serait plus celle que je suis devenue.
Maïakovski n’aimait pas…
Extrait 3
obscurément je l'ai toujours
su même lorsque
dans ma jeunesse
il m'est arrivé de porter
des talons qu'on appelait aiguilles
combien d'années
d'entraînement
les fragments pour l'entrepôt
passent des pieds
jusqu'à la cervelle
combien de migraines
et parfois d'insomnies
pour cette accumulation
muette la plupart
du temps invisible
parce que oui on peut
le dire souvent la chose
se fait sans nous dans
notre dos ou sous nos pieds
et si elle ne s’accomplit pas
le poème demeure
un simple petit
ossement décoratif
disposé là et sans usage.
LA VIE ET LA MORT NE SONT PAS CE QU’ON PENSE
Extrait 2
Qui sont ces gens ?
Qui est derrière moi ?
« C’est une femme qu’il faut éviter »
L’accident d’Yvan est-il avant ou après le mariage ?
Et qui surveillait qui ?
De quels tracts parlez-vous ?
Nous n’étions pas seuls à distribuer des tracts
Et le petit chat nous l’avons eu
J’ai pris un emploi de secrétaire
Plus ça change, plus c’est la même chose
Amoureux de moi ? vous voulez rire…
Et de quel amour s’agirait-il ?
Toit est à envisager
Sauf une solution sentimentale
…
Imaginer un taliban devenu fou comme le devint Nadir Shah fils de son épée, petit ifls de son épée. Il attaque une valse non pas sur les touches bicolores mais en prenant entre ses bras un autre taliban et en se mettant à valser sur la terre battue, entre les trous du mausolée, non loin du cimetière russe.
La laine est lisse
C’est une liste
Je suis le chien
Lâche-moi
Ce qui mord ment
Le mien est mort
Un petit meurtre
Vous dites maintenant
Et le remord
Il vient
C’est lent
Tournevis
Le corps tournant
Pas pour toi
Derviche lent
espaces
espaces
entre les lettres entre les mots
la prose inséparable
un Cantique spectral
Missive au monde
décomposée
réduite
sa féroce ponctuation
une existence tout entière
on marche dessus
comme si c’était un chien
dans la maison d’un mort
l’activité du lendemain
la plus grave occupation
le sachant
l’ayant toujours sur
on y balaie le cœur
l’amour
bloc-partition
dont on n’a plus l’usage
puisque toujours et encore
nul somnifère n’apaise la dent
qui ronge l’âme
Déchirablement
extrait 2
voilà sans doute ce que tu aurais dit
chaque gosier est un sépulcre ouvert
plus garçon pas encore fille
tu étais celle qui riait le plus fort
grand battement cambré et chute
ombre déconcertante
des figuiers
quelques épineux
est-ce toi qui nous avais présenté
cette fille qui dormait les yeux ouverts
l’arbre vivant deviendra un arbre mort
une extinction continuelle
bien contraire aux métaphores absolues
toi qui si longtemps
n’habitais plus la même adresse
changement de sexe
suivent les saisons
regarder observer le monde
on s’y emploie
…
Déchirablement
extrait 1
petites Cyclades peintes
puisque les fleurs se mangent
oubliez ce rocher rouge
sa vérité furtive
comme ses reflets centrifuges
loin de la mouche à viande des génocides
service d’argenterie
ce thé sur les terrasses
je n’ai pas oublié
c’est ton image qui ce soir revient
ne sachant toujours pas dans quelle terre
reposent tes ossements
un peu de lumière
jetée sur de l’ombre
qu’aurais-tu dit
qu’aurais-tu fait
nom de dieu qu’ls la ferment
…
les vents tiennent des forêts
les vents tiennent des forêts dans leurs pattes
couvrant les marges
entre les lignes
lectures alternatives
cousues au corps
petite main qui trace
recopie
strophes brisées ou liste de mots
une méthode compositionnelle
le papier est à lettres
feuilles disjointes
un vélin crème ligné de bleu
strophes uniques
semblables à des hymnes
…
Déchirablement
extrait 3
bain de prose
le vent souffle
corps d’encore garçon
dans une moitié de fille
tu traduisais The book of repulsive women
un volet claque à l’étage du haut
sentir la voix de Djuna Barnes
trouver la tienne
ce que tu t’employais à faire
des jours entiers étendu
à écouter
Morton Feldman
Cathy Berberian
un non-faire dont j’étais incapable
aucune photo retrouvée de toi
elle est devenue quoi
cette robe égyptienne
dans laquelle tu te déplaçais nu
c’est toi qui me l’avais appris
désastre
signifiait
trouble dans les astres
révélation si éclairante pour aujourd’hui.