"Il y a des gens qui tuent à coups d'épée et d'autres avec les mots."
(Truman Capote)
Un tramway nommé Désir, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, a drainé au théâtre un public qui d'ordinaire n'y vient pas, fasciné par le jeu des instincts et des forces obscures qui s'emparent de la pièce, bouleversé par cette solitude itinérante, l'univers de la violence et une vision profondément marquée par les sens. Chaque scène est construite comme une pièce en un acte et depuis l'entrée de Blanche, perdue sur le seuil, promeneuse égarée sur les Champs-Élysées, l'action enclenchée a ce côté inexorable qui rive les spectateurs.
Étés brûlants

Jardin étrange et jardin de poète, mais de poète assassiné. Car le thème de la pièce est la sauvagerie sous le vernis civilisé. "Soudain l'été dernier" frappe l’imagination, d'une part sur le plan dramatique avec la montée d'une fureur fantastique, de l'autre par sa représentation de l'espèce humaine. Dans les six personnages qui entourent Violette Venable, on compte la famille Holly - la mère, le fils, la fille - un médecin, une secrétaire et une religieuse. Le personnel d'ordre très présent - l'hôpital et l'église - hante de même l'arrière-plan des Champs-Élysées du "Tramway" et surtout de la plantation de la "Chatte". Le trio familial éclate au tomber du rideau : le fils Holly se détourne de sa mère et déclare qu'il va arrêter ses études pour chercher du travail, sa sœur Catharine sanglote et va être enfermé à l'asile d'État. Histoire connue, histoire personnelle de Tennessee, cette fois encore. De plus, avec la confession violente de Catharine, le crescendo de la remontée de souvenirs, il donne la représentation d'une société fondée sur l'inconscience, la prédation et le cannibalisme.
Les confessions d'un nageur solitaire
Vie errante, périodes de défonce, rémissions partielles lors de productions théâtrales mal maîtrisées, le train d’enfer continue pour cet éternel fugitif en proie aux sautes d'humeur et à la désespérance jusqu'à la crise de septembre 1969 qui commence par un incident très banal dans sa cuisine : il renverse du café brûlant sur son bras et son épaule, dramatise la brûlure et demande que l'on appelle son frère à l'aide. Dakin accourt et, tirant avantage de la péripétie domestique, en profite pour convaincre Tennessee de la nécessité d'une hospitalisation à Saint Louis. Williams entre à l'hôpital Barnes de son plein gré selon les registres d’admission. Mais les médecins le placent dans le pavillon des violents de l'aile psychiatrique Renard, chambre 9126, sans téléphone ni courrier.
Le crépuscule d'Orphée
L'humour, et souvent l'autodérision chez ce grand inquiet, sévère dans ses jugements envers lui-même, frappe d'emblée tous ceux qui le rencontrent et se régalent de son sens de l'ellipse comme de ses phrases assassines. Il garde le contact avec Audrey Wood par lettres manuscrites, lettres précieuses car elles donnent l’envers du décor. Avec la plus grande confiance, il admet tout de go qu'il ne connaît jamais la sérénité, que la tragédie de sa sœur le mine et que sa seule frayeur est de prendre la tangente sans vraiment approfondir ce qui importe : les souffrances d'une famille, le conflit entre la solitude et le désir de réconfort humain, l'obsession des émotions. Tel est déjà l'invariant de l’œuvre de Tennessee Williams.
Tennessee
Que ce soit comme avocat ou comme élu, il rencontre un succès éclatant. On mesure le chemin parcouru par ce jeune homme, né d'un père qui ne savait pas lire, et qui s'est fait tout seul, à l'arrachée, conformément au mythe de l'aventure américaine.
Plus il lit, plus il aime la compagnie des livres.
L'âge venant, Williams s'adapte mal à son époque, il ressent l'isolement, l'absence de toute transcendance et il en veut justement pour preuve l'indifférence du public au sort et aux souffrances du personnage d'Outcry, qui disparaît au bout de douze représentations, car l'intérêt se porte sur ses grandes pièces, La Ménagerie de verre, Un tramway nommé Désir, La Chatte sur un toit brûlant, La Nuit de l'iguane, Doux Oiseau de jeunesse, Été et fumées. Durant ces trois années de 1972 à 1975, il n'est pas de mois qui ne voie quelque part aux États-Unis une reprise d'ampleur de l'un de ses chefs-d’œuvre.
Le crépuscule d'Orphée

Très actif, car il a recours aux amphétamines, il assiste en décembre aux répétitions de "L'École des jeunes mariés" où, comme toujours, il aide vraiment les comédiens, éclairant une réplique, montrant par la mimique et le geste, rassurant la troupe même si lui-même vit dans l'incertitude. En janvier 1959 il est de nouveau confiant quand il reçoit une longue lettre d'Elia Kazan à propose de "Doux Oiseau de jeunesse". Bientôt les répétitions commencent avec Geraldine Page et Paul Newman, dans les rôles principaux, tandis que Jo Mielziner fait un travail remarquable sur la lumière et que Paul Bowles compose une musique arachnéenne. Bref, la "troupe" des familiers est au complet. Williams travaille tous les jours, apporte des variantes chaque après-midi, l'entente est parfaite. Après Philadelphie, première à New York le 10 mars. Le public y trouve largement son compte avec l'alcoolisme, la prostitution masculine, la drogue, la castration et le racisme. Mais les grands critiques, Atkinson, Kerr, Brustein donnent le ton et tous les journaux ont la dent dure. "Mauvaise presse, public enthousiaste, remarquait aussi Cocteau, faut-il en conclure que les salles d'élite sont désensibilisées et toutes faites ? Mais le procès est gagné en appel et grâce au verdict de la foule."
Les confessions d'un nageur solitaire
"La plupart des secrets ne devraient jamais être révélés, surtout ceux qui sont plus redoutables pour celui qui les apprend que pour celui qui les confie."
(Truman Capote)