La réussite, tout comme les échecs spécifiques de l'apprentissage de la lecture dépendrait donc de la force des associations qui peuvent se créer entre graphèmes et phonèmes, en fonction de la langue et de la qualité des catégories phonémiques de l'apprenant lecteur. Ce point est essentiel. Il permet d'expliquer pourquoi les enfants espagnols apprennent plus vite à lire que les petits français qui eux-mêmes apprennent plus vite que les petits anglais. Il permet également de comprendre le retard de l'écriture sur la lecture, conséquence asymétrique des relations graphème-phonème et phonème-graphème, les premières étant plus régulières que les secondes. Il ne faut donc pas confondre dyslexie et dysorthographie : même un bon lecteur peut faire des fautes d'orthographe. Il permet aussi de rendre compte du fait qu'on trouve des dyslexiques, même en espagnol. En effet, l'enfant qui apprend à lire dans une écriture alphabétique — quelle qu'elle soit —, et qui ne s'est pas construit des catégories précises pour chacun des phonèmes de sa langue, va difficilement pouvoir relier les graphèmes aux phonèmes correspondants, ce qui semble être le cas des dyslexiques.
La place centrale du système de traitement des sons de la parole dans l'explication de la réussite et de l'échec de l'apprentissage de la lecture peut être due au fait que le langage écrit, dans l'histoire de l'humanité comme dans celle du petit d'homme, se met en place après le langage oral. Il n'est donc pas surprenant que l'enfant s'appuie d'abord sur ce qu'il connaît — son langage oral — pour apprendre à lire, ce d'autant plus que le recours au décodage est peu coûteux pour la mémoire. Il suffit en effet de mémoriser un nombre limité d'association régulière entre graphèmes et phonèmes, plus quelques exceptions, pour lire. Et même lorsque l'écriture permet de s'appuyer sur une procédure globale (très coûteuse pour la mémoire), comme en chinois, on utilise pour l'apprentissage de la lecture une écriture qui rend possible l'utilisation d'une procédure analytique, les signes logographiques n'étant introduits que très progressivement.