Citations de Liliane Wouters (74)
Je revenais d'une saison d'ardoises,
De longs hivers å couper au couteau.
Descendre la rivière de ton sang,
Entendre les grillons de tes silences.
Tu ne me connais pas encore. Je suis capable
D'ouvrir des portes verrouillées depuis mille ans,
De rallumer les feux d'étoiles presque mortes.
Je rongeais l'os de mon chagrin.
Je mange le pain chaud, je bois le vin.
J'habiterai chacune de tes vies:
Dans l'une sources, herbe dans l'autre. Pour le feu
Je garderai le dur silex de ma mémoire.
L'étincelle que j'en ferai jaillir,
Brûlera tout ce qui n'était pas toi.
(" L'aloès")
Que m’importent lieu, durée,
si je demeure assurée
de garder toujours l’instant.
Seconde ou siècles, autant
le vent sur sa route emporte.
Lieu, durée, ah, que m’importe,
tout défile au même train.
Je ne saisirai qu’un grain
Du sable des destinées,
Pour le cueillir, je suis née.
Entre naître et mourir…
Entre naître et mourir, un temps pour vivre.
Quelques heures, quelques saisons. De quel
Poids pèseront nos jours ?
Lumière et givre
Brillent pour tous, et sur tous mord le gel.
Ainsi de ces insectes nommées éphémères.
Quid de celui qui ne fait rien, des grands travaux
De l’autre, des troupeaux de bovidés, d’Homère ?
La mer est seule à donner le niveau.
État provisoire (Luneau Ascot)
Mon cœur attend qu'arrête à notre porte
Un cavalier sauvage qui m'emporte
Mon cœur attend que sorte de son trou
Le ravisseur de nuit , le loup-garou
Mon cœur attend le prince du royaume
Celui qui cherche l'or entre les chaumes
Mon cœur attend le pauvre du chemin
Pour lui je garde un trésor dans la main
Quand il viendra comment le reconnaître
Je n'ai jamais bougé de ma fenêtre
J'ignore tout du bien et du mal
Où vais-je aller dessus son grand cheval ?
Il est venu à l'heure où tout repose
Moi je dormais dans ma demeure close
Quand je l'ai vu près de ma couche assis
C'était trop tard pour implorer merci
Il m'a touchée avec des mains légères
Soudain je fus à moi-même étrangère
Il a plongé son regard dans le mien
Hors de ses yeux je ne voyais plus rien
Il a mêlé son souffle à mon haleine
Je vivais toute et j'existais à peine
Il a fermé la porte à double tour
Il m'a donné les larmes et l'amour ......
Je ne pouvais pas dormir, j’aurais pu m’ennuyer à mourir. Mais je rêvais. Les religieuses ont-elles jamais pensé qu’en nous imposant d’aller au lit avec les poules, elles favorisaient cette activité hautement proscrite ?
Souvenirs
Souvenirs, ils sont, mes amis
tant aimés, si vite partis,
souvenirs, oui, c'est bien le mot,
ces visages sur les photos,
ces destins filant leur histoire
autour de ma vie, en secret.
Au tableau noir de ma mémoire
tu ne retrouves plus leurs traits :
le coup de chiffon du passé
les a pour toujours effacés.
VERS LA MER
Comme des objets frêles,
Les vaisseaux d'or semblent posés,
Sur la mer éternelle.
Le vent futile et pur n'est que baisers ;
Et les écumes
Qui, doucement, échouent
Contre les proues,
Ne sont que plumes.
Il fait dimanche sur la mer !
Emile Verhaeren
Les visages de la vie.
Je me souviens il ya très longtemps
Notre jardin s'éveillait au printemps.
Je regardais, assise à la fenêtre
Ce coin du monde où la vie allait naître.
Le ciel penchait son visage étonné
Sur l'eau du puits par les anges cerné.
La terre était comme une jeune fille
Comme un oiseau qui frappe sa coquille.
Et je sentais à l'ombre de mon sang
Sourdre un appel de plus en plus pressant.
"Changer d'écorce "
Il faut savoir
tout perdre, même soi,
même le souvenir de soi, il faut
quitter le lieu, sortir du temps,
jeter les vêtements précaires,
ôter les six membranes, accepter
que la septième avec le grain pourrisse,
que l’eau du fleuve tout recouvre,
que le soleil sèche cette eau,
que le vent du désert efface
sa trace sur le sable.
JE ME SOUVIENS
Je me souviens du village près de l'Escaut,
D'où l'on voyait les grands bateaux
Passer, ainsi qu'on rêve empanaché de vent
Et merveilleux de voiles,
Le soir, en cortège, sous les étoiles.
Je me souviens de la bonne saison ;
Des parlottes, l'été, au seuil de la maison
Et du jardin plein de lumière,
Avec des fleurs, devant, et des étangs, derrière ;
Je me souviens des plus hauts peupliers,
De la volière et de la vigne en espalier
Et des oiseaux, pareils à des flammes solaires.
Emile Verhaeren,
Les tendresses premières.
Égide, où es-tu parti ?
Égide, où es-tu parti ?
Mon camarade, tu me manques.
Tu choisis la mort, me laissant ici.*
Nous avions si belle amitié.
Ensemble aurait dû s'achever.
Au ciel où tu t'es élevé
plus clair qu'un rayon de soleil
tu connais bonheur sans pareil.
Pour moi qui suis sur terre, prie :
je dois encore souffrir, fauter.
Garde ma place à ton côté.
Je chante encore un petit air.
mais chacun finit par se taire.
Égide, où es-tu parti ?
Mon camarade, tu me manques.
Tu choisis la mort, me laissant ici.*
(adaptation d'un poème du Moyen Âge)
* Liliane WOUTERS, notamment prix Goncourt de la poésie 2000, prix Guillaume Apollinaire 2015, a « finit par se taire » et a rejoint son camarade le 28 février 2016.
LE BOIS SEC
Brûler Je songe à ma cendre
quand m'appellent des forêts
Ô feux Mais à leur voix tendre
répond votre chant secret
Je suis né pour cette fête
barbare ces rites purs
ce mortel assaut de bêtes
contre le défi des murs
J'aime la gloire soudaine
des flammes j'aime le bref
sursaut de passion de haine
du feu saluant son chef
Brûler Mon sang me calcine
Pas un coin de chair ombreux
Et si pourtant mes racines
trouvaient un sol généreux
un peu d'eau de sable Le sable
d'où je sors verrait des fruits
Non De cette paix durable
la fin seule me séduit
Je ne porte ni lumière
ni chaleur en mon corps mais
ce n'est qu'au centre des pierres
qu'on trouve un feu qui dormait
Verdoyez branches dociles
aux commandements des dieux
Je montre mon bois fossile
C'est lui qui flambe le mieux.
Les grains de sable
Les grains de sable innombrables
les étoiles indomptables
et moi là-dedans, et moi
parmi ces milliards d'humains?
Vois les lignes de ta main,
De tes doigts vois les empreintes.
Rien n'est pareil.L'être humain
A chaque fois est unique.
L'air est le même pour tous
et l'eau des puits est la même
et la terre où nous marchons.
Mais le feu qui brûle au fond
de toi, tant qu'il te fait vivre,
il est à toi, rien qu'à toi.
Si tu me précédais chez Dieu,
Dis-lui que je me sens bien vieux,
Qu'il y a trop d'ombres d'oiseaux
Depuis longtemps sur mes carreaux,
Que la pluie me parle trop bas
Quand elle glisse sur mon toit.
Le feu à beau se démener
Il ne peut plus me réchauffer,
Et mon lit ne m'accueille plus,
Qu'avec des grognements bourrus.
L'hiver ne va rien arranger.
Il va encore desceller
Un peu plus la pierre du seuil.
Mon verger va prendre le deuil.
Si tu me précédais chez Dieu,
Dis-lui que je viendrai sous peu.
J’en ai vu, depuis, de ces poètes toujours prêts à sortir un feuillet de leur poche pour vous lire quelques vers et persuadés que le fait d’en écrire témoigne d’une sensibilité particulièrement délicate. Si leur aveuglement m’irrite, il arrive aussi qu’il me serre le cœur. Je sais quelle détresse il peut cacher.
Pluie sur la mer
Il pleut si doucement sur la mer toute grise.
On ne voit plus ni port, ni navire, ni cieux.
On dirait que la pluie s'échappe par surprise
Des mains mêmes de Dieu.
Chaque vague se meut avec un tel silence
Que l'on devine, à la blancheur de son écume,
L'éclat mal retenu d'une aile d'ange
Dont s'abaissent les plumes.
(Maurice Carême)
En suivant le conseil
je mis du sel
sur la queue de l'oiseau merveilleux
de mon enfance
et l'ayant capturé
je m'en nourris toute ma vie
Ainsi je sus que j'étais Zen l'oiseleur
comme une éponge est arrachée
au fond de l'océan
et finit par laver l'image du malheur
Achille Chavée, L'agenda d'émeraude
Si tous les oiseaux
Si tous les oiseaux étaient pris aux pièges
et tous les poissons morts dans les filets,
si tous les arbres fondaient comme la neige
et s’éteignaient, l’été, les feux follets,
si toutes les mers désertaient les grèves
ou s’il n’était plus d’anges dans le ciel,
si tu restais seul avec tes rêves
parmi l’effondrement universel,
trouverais-tu dans ton âme profonde
assez de joie pour recréer le monde?
(Auguste Marin)
Parce que c'était lui
« Parce que c'était lui parce que c'était moi »,
disait Michel parlant d'Étienne
Pourquoi sommes-nous ammis, toi et moi,
pourquoi le gui préfère-t-il le chêne ?
Alors que le hêtre aussi pousse au bois,
qu'il pourrait au gui offrir son asile ?
Sur quelle raison baser votre choix,
Étienne et Michel, Hector et Achille ?
Comment expliquer ce qui va de soi ?
Pourquoi celui-là quand il y en a tant d'autres
Pourquoi le seul Jean parmi les douze apôtres ?
Parce que c'est lui, parce que c'est moi.
JAUMAIN : Qu'est-ce que je fais de si particulier?
VANDAM: Vous vous amusez, Mademoiselle, vous vous amusez. Et vos élèves aussi s'amusent. (Pause.) J'entends souvent rire de l'autre côté du mur.
JAUMAIN : - C'est défendu ?
VANDAM : C'est indécent.
JAUMAIN : - Indécent ?
VANDAM : - Indécent, oui. Indécent de prendre plaisir à ce qui doit donner du mal. Indécent de travailler par plaisir. Dans le plaisir. Avec plaisir.