Lilie Desseaux

De l'amour ? Certainement pas ! Il faut connaître plus intimement la personne pour en être amoureux. Ça ne tombe pas comme ça, en l'espace de quelques secondes. C'était peut-être un genre de compassion ? Je suis un homme, c'est une femme fragile, j'ai certainement ce besoin primaire de veiller sur elle ?

- Si pour n'importe quelle raison tu as besoin de moi, je suis là. Tu ne me dis rien de ta vie, mais je sais très bien ce qu'il se passe.

C'était la première fois que quelqu'un osait me parler de cette façon. Mis à part mes parents qui avaient essayé à l'époque, personne n'avait encore osé affirmer savoir, et surtout me tendre la main. Je savais que certains voisins avaient conscience de ce qu'il se passait ; ils baissaient la tête en me croisant dans la rue, mais aucun ne m'avait jamais dit "je suis là". Je sentis l'émotion monter. J'avais sûrement les larmes aux yeux et les joues rouges mais qu'importe. Christine se leva et se posta en face de moi. Doucement, comme si elle essayait d'apprivoiser une bête sauvage, elle posa ses mains sur mes épaules.

- Merci, lui soufflai-je.
Et sans dire réellement les choses j'ajoutai :
- Ne te soucie pas de moi, en ce moment il est adorable : ça m'étonne même si tu veux tout savoir.

- Pourquoi supportes-tu tout ça?

- Parce qu'on s'aime, parce qu'il peut changer. La preuve en ce moment il n'est plus le même. Je suis contente, même si je culpabilise un peu.

- Ne culpabilise jamais, Anne! La culpabilité, ça te bouffe la vie! Promets-moi de fuir si il recommence.

- Il a compris ses erreurs, affirmai-je, sûre de moi.

- Sincèrement je l'espère.

Je vis, je vole, je virevolte.
Telle était devenue ma façon de voir la vie, ou du moins j’essayais.
Depuis deux ans, j’avais quitté mon pays natal pour voyager.
Fuir disaient certains, et ils avaient certainement raison. Sur un coup de tête, j’avais décidé de faire ma valise et de prendre un aller simple pour l’Australie.
Pourquoi l’Australie ? Je n’avais pas d’idée précise, mais ce pays m’avait toujours fasciné. Une fois sur place, je vivais de petits boulots de serveuse dans des pubs, pour économiser, puis je passais à la ville suivante. C’était comme ça que j’avais réussi à faire le tour de ce pays, et j’en gardais de magnifiques souvenirs.

Je m’étais mariée de connivence avec un riche français qui avait eu besoin d’une façade amoureuse pour cacher son homosexualité le temps de récupérer un héritage. En contrepartie, je bénéficiais des avantages de sa carte gold et je pouvais coucher avec d’autres comme bon me semblait.
Pute ?
Non quand même pas…
On s’était envoyé en l’air ensemble une fois. Il voulait savoir s’il était cent pour cent homo et de mon côté j’étais en manque de sexe. Au moment de jouir, il m’avait demandé de me tourner pour imaginer prendre un homme et c’est là qu’on avait su. Il y était indéniablement et on avait stoppé cette mascarade sur un éclat de rire.

Ce n'est pas ça, l'amour ! L'amour c'est beau, c'est avoir hâte de rentrer chez toi pour retrouver l'autre, c'est tellement fort que tu sacrifies des choses pour lui, ce n'est pas la peur, la manipulation et les coups !

Je n’arrivais pas à prononcer son nom et le simple fait d’y penser fit remonter mes angoisses les plus profondes. Il m’avait répété sans cesse combien j’étais belle, combien il m’aimait. J’avais l’impression de sentir encore sa main sur la mienne. Me levant, je me dirigeai vers la salle de bain et allumai la lumière. Elle était vive, criarde et devant le miroir qui me fit face, j’observai mes traits.
Tu es si jolie !
Je me pinçai vivement les joues tant je crevais d’envie de me défigurer là, tout de suite !

Les femmes entre elles sont parfois des vipères et je ne souhaitais absolument pas être la cible de divers ragots. Moins elles en savent, moins elles en disent !

Pourquoi aller discuter avec quelqu'un qui de toute façon ne changerait en rien cette situation ? Pourquoi vouloir apaiser cette haine ? C'est elle qui me permettait de continuer à me battre, de ne pas baisser les bras et surtout de ne pas me voiler la face ! Oui, cette maladie est une fourbe, qui attaque lorsqu'on s'y attend le moins, et qui à la moindre faiblesse gagnera du terrain.

Le fait d’avoir vingt-neuf ans et être une jeune divorcée suffisait déjà aux commérages. Si en plus on ajoutait qu’un peu plus de deux auparavant, j’avais perdu mon jumeau dans des circonstances dramatiques et que j’avais quitté le nid pour fuir à l’autre bout du monde, je ne doutais pas une seconde que j’allais être la cible de bavardages.

Pourquoi je pense à cette fille ?
S’il y a bien une chose dont j’étais sûr, c’est que je ne voulais pas m’attacher à quelqu’un. Ma vie était bien trop dangereuse et je n’en avais pas le temps.
Et puis c’est la fille de ton proprio ! Si tu couches avec, t’es fichu !