Linda Boström Knausgård Interview: The Girl Who Stopped Speaking
J'aurais voulu tout raconter sur l'usine. Malheureusement, je n'en suis plus capable. Bientôt je ne me souviendrai plus de mes jours ni de mes nuits, bientôt je ne me rappellerai plus pourquoi je suis née. Je peux seulement dire que j'ai fait plusieurs longs séjours dans ce lieu entre 2013 et 2017, et qu'on m'a envoyé assez d'électricité dans le cerveau pour s'assurer que je n'écrirais jamais sur ce que j'ai subi.
(Incipit)
Ma propre compagnie me suffisait amplement.
Je ne suis pas prête d'oublier le trajet en avion, avec ce passager ronchon qui se plaignait parce que nous ne parvenions pas à faire taire les enfants. Ils avaient trois, cinq et six ans, on ne pouvait quand même pas exiger d'eux qu'ils ne fassent aucun bruit. Je n'ai jamais su maîtriser mon agressivité, et j'ai fini par engueuler le gros homme aux yeux de porc :
"Ça ne m’étonne pas que vous ne compreniez rien aux enfants en bas âge, vu qu'aucune femme n'accepterait de vous toucher".
Tu détestais les esclandres. Tu as essayé de calmer les choses : ce n'était pas si grave, les enfants adoraient voyager, ils criaient à peine.
J'ai voulu embellir ma dépression, la qualifier de mélancolie.
L'homme se définit par ses actions. Par ses actions et ses non-actions.
C'est un endroit formidable les îles Lofoten. Une mer limpide comme le cristal. Des nuits claires et des montagnes escarpées. Un endroit aussi beau que dangereux.
L'obscurité visqueuse de la dépression, son néant, sa mort éveillée, voilà ce qui m'attend quand je m'enfonce. Il n'y a plus de mots, plus de conscience, seulement ce lourd sommeil et cette angoisse.
Pour les chercheurs qui s’y opposent, l’euphorie est en réalité le symptôme d’une lésion cérébrale. Cette thèse est contestée par d’autres chercheurs. Il s’agit d’une bataille où l’électricité apparaît comme le grand vainqueur. En tout cas dans la partie du monde où je vis
Les cellules du cerveau sont-elles détruites, comme le disent certains, ou se régénèrent-elles en réalité très vite, comme le prétendent d’autres ? Les cellules du cerveau humain se renouvellent constamment et sont extrêmement sensibles à l’électricité. Ces salopards le savent. Les neurologues disent tout et son contraire, et personne ne sait comment tel ou tel individu va réagir. Les plus critiques considèrent le traitement à l’électricité comme une catastrophe neurologique.
Voilà le nœud du conflit.
Tous s’accordent cependant à dire que la mémoire est particulièrement affectée par le traitement. Tous.
À l’époque j’ignorais encore cela. On ne m’a donné aucune information, à part celles que j’ai déjà mentionnées. La thérapie était sans danger.
La manière dont on porte son nom dépend-elle uniquement du caractère de la personne?
Notre Père qui es aux cieux. Fais que papa meure. Je veux qu'il meure et Tu dois m'aider. Nous allons le faire. Toi et moi. Ensemble. Nous allons le tuer. C'est mon désir le plus cher. Amen. (p.57)