Je ne me fais aucune illusion: en plein désastre planétaire, c'est la course à la survie qui prime. Il ne faut plus compter sur des notions d'entraide, de solidarité, d'humanité. Nous vivons désormais dans un monde dévasté, ce qui signifie: chacun pour soi.
Le retour à la réalité n'est jamais évident après m'être promenée dans mes souvenirs. Car, même si je ne regrette aucun de mes choix depuis que j'ai pris la route en compagnie de ma tête à claques de voisin, le présent n'a rien d'une partie de plaisir. Il faut lutter constamment pour survivre, pour trouver de la nourriture, se chauffer. J'ai peur en permanence pour ceux qui partagent désormais ma vie.
Ces petits êtres sont loin d'être bêtes. Ils sont curieux, méfiants, très intelligents.
Il n'y a plus moyen de s'en débarrasser.
Patterson appuie alors sur les touches pour atteindre le canal 21, chaîne sur laquelle les survivants du parc de Yellowstone diffusent leur message en boucle depuis plusieurs semaines. Bingo! D'autres êtres humains nous regardent. Cela me fait toujours un choc de voir apparaître ces gens, juste en face de nous. Leur rengaine n'a pas changé, je dirais qu'ils améliorent leur discours au fur et à mesure, l'enrichissent pour le rendre le plus attrayant possible. La question est: peut- on leur faire confiance?
Mais je ne peux pas me passer de livres. Face au stress lié aux cours, aux devoirs à rendre, aux partiels du premier semestre à préparer, c’est mon unique moyen de me détendre, de m’évader. Certains étudiants font la fête, d’autres prennent des médocs. Mon truc à moi, c’est la littérature.
-De quoi as-tu peur, ma douce et belle Marion ?
-De toi.
Il sourit, un brin amusé.
-Je suis si laid que ça ?
Il semble déstabilisé par mon air soudain triste et grave.
-La beauté cache parfois la pire des laideurs. Et vice versa. Tu n’as pas vu Shrek ?
Il rit franchement puis s’approche encore. Ses lèvres ne sont plus qu’à quelques centimètres des miennes.
-Tu me parles de Shrek alors que je te sors le grand jeu ?
-On dirait bien, oui.
Ses lèvres s’étirent en un sourire parfait.
-Marion ?
-Maxime ?
Il ferme les yeux.
-Redis-le.
-Quoi ?
-Mon prénom. Je pensais que tu ne le prononcerais jamais.
-Maxime.
Il lâche un soupir.
Les livres me procurent un sentiment de bien-être et de satisfaction tel, que me blottir dans l’un des fauteuils confortables mis à disposition ressemble, à mes yeux, à l’idée que les gens se font du bonheur. Vivre des aventures à travers les yeux d’un personnage, confortablement assis, aller à la rencontre de nouveaux univers, de nouveaux horizons, vivre des émotions si fortes que l’on peut passer du rire aux larmes sans même bouger d’un pouce et sans débourser un centime : voilà ce que procurent les bibliothèques ! De l’émotion, de l’adrénaline à l’état pur !
L’inconnu me sourit, et je dois avouer que ce sourire me fait fondre. Déstabilisée, je le détaille brièvement. Je dois reconnaître qu’il est très beau garçon. J’imagine qu’il s’agit d’un étudiant. Son allure est décontractée, il possède une épaisse chevelure brune en bataille qui lui donne un air faussement négligé. De là où je me trouve, je peux voir que le bleu de ses yeux, tranchant sur un teint mat, sort de l’ordinaire. Il doit sans l’ombre d’un doute rencontrer beaucoup de succès auprès de la gent féminine. Tant mieux pour lui !
Relégués aux oubliettes, les romans sentimentaux dans lesquels je me plongeais avec ferveur et qui me transportaient, adolescente ! Ma chambre, chez mes parents, en est d’ailleurs emplie. Je passais parfois des nuits blanches à dévorer ces histoires passionnées qui me bouleversaient. Jane Eyre, Raison et Sentiments, Orgueil et Préjugés, Les Hauts de Hurlevent, Roméo et Juliette. C’est à cause de toute cette littérature romanesque qui a bercé mes jeunes années que je me suis laissé piéger.
«-Mais, merde, Marion ! Arrête avec ça. On est un couple. On vit ensemble. Point. Ecoute-moi bien, sortir avec des petites filles riches, ça ne m’intéresse pas. Elles sont superficielles, immatures, égocentriques. Toi, tu n’es pas comme ça. Tu es gentille, attentionnée, à l’écoute des gens qui t’entourent. Et ton foutu petit caractère me fait chavirer. C’est toi que je veux.