Citations de Line Papin (200)
J'avais beau ne pas penser à l'autre, à Laura, elle était écrite sur son visage : chaque cerne, chaque nouvelle ride étaient comme des marques de Laura, des cicatrices d'elle ; et il y en avait plus tous les jours.
On ne naît ni par hasard ni nulle part. On naît neuf, entourés d'anciens os. Dans le cœur et dans le ventre, il y a les os de la guerre, de la grand-mère, des os de vétérane, il y a les os laissés par les bombes, les os d'une vitesse, de trois filles, les os des non qu'elle leur a dits, il y a les os de Hanoï, les os du premier fils, les os de ses pensées. Il y a les os qu'on n'avait pas désirés et qui vont, quoi qu'il en soit, se former.
On s'aimait ici, parce qu'on s'était toujours aimés ici, parce que l'embargo avait été levé et qu'un air grisant soulevait les cœurs, Hanoï 2000, jamais ils n'ont revécu cela.
Voilà les deux seules photographies qui restent de l'époque
Nous voulons faire l'économie du malheur. Nous n'avons pas payé pour ça, nous voulons du bonheur à l'état brut.
" J'entends: ce n'est rien, tu n'as rien vécu, dans deux semaines tu auras oublié, tu n'as rien ressenti, tu n'as pas été vraiment enceinte. Mais qui peut parler de mon corps, sinon moi?"
J’aimais me regarder dans la glace, comme s’il était déjà possible de déceler une rondeur au niveau du ventre. Il me semblait gonflé, je guettais la moindre douleur. Parfois, je sentais un pincement, comme un petit éclair, une vibration électrique, légèrement douloureuse. Je me disais : c’est bon signe, il grandit.
Tout est allé très vite. En quelques mois, ta santé s’est dégradée, tu es devenue l’épave de ta guerre. Tu n’avais plus faim de rien, tu ne mangeais plus. Tu ne souriais plus, tu ne riais de rien, enfant effeuillée, fleur fanée. Il fallait voir ton visage alors. Il s’est oublié maintenant, mais comme il hurlait à la mort, squelettique, à la douleur, défiguré. C’était la fin de l’amour. Quiconque te croisait dans la rue pouvait savoir : cette fillette crevait.
Il y eut quelques photographies avec les grands-parents, les tantes... On ne comprenais pas trop pourquoi : étaient-ce des souvenirs en avances, comme des surgelés que l'on fabriquait?
Oui, je suis une étrangère au Vietnam, une étrangère en France, une étrangère en... mais Paris, je te connais, et tu me connais bien aussi maintenant, nous nous sommes un peu fait mal, mais tu m'aimes, non ? Moi, je t'aime.
Un livre s'écrit sans se prévoir , s'invent sans se savoir.
Puisqe le sommeil ne venait pas, ce soir-là, je décidai d'écrire. Après tout, les histoires ne s'inventent pas dans l'air. Elles surviennent en travaillant, au contact de la plume. Les phrases appellent les mots qui appellent les idées. Un livre s'écrit sans se prévoir , s'invent sans se savoir. Les romans prennent forme à force de taper dessus, comme les statues se sculptent à coups de burin et les peintures à coups de pinceau.
Comme tous les enfants qui grandissent, je tournais le dos à mes parents afin de suivre ma propre voie, et ce sans beaucoup d'égards pour leurs sentiments, avec l'impression d'être unique, essentiel et d'avoir mon histoire à écrire. Plus tard, je compris que tout cela n'était que des conneries. Ils avaient encore tant de choses à m'apprendre.
Tu n’as jamais approché la condition humaine d’une telle façon : être un corps, des organes, des os, un prénom et un nom, être sur la Terre pour rien, pour personne, sans amour, sans passion, sans envie, être une carcasse vide, mais devoir rester - parce que l’on est.(154)
...La mort.
Cette dernière a été, en l’adolescence de la fille, sa première relation, sa première fois, son plus grand amour, le plus douloureux, le plus passionnel, le plus destructeur. Elle a été son temps, son angoisse, sa menace… Entre le Vietnam et la France, entre l’enfant qu’elle était et la femme qu’elle allait devenir, entre les accidents et les choix, la mort se tenait debout,noire, opaque, inesquivable. Elle était son parfum, sa liaison secrète, son bourreau, sa raison de ne plus être.(146)
Elles ont tout perdu, exprès , parce qu’elles avaient déjà tout perdu, et qu’il fallait, après avoir laissé la vie, rejoindre l’autre extrémité, la mort.(135)
Il y a eu quelques photographies avec les grands-parents, les tentes… On ne comprenait pas trop pourquoi : était-ce des souvenirs en avance, comme des surgelés que l’on fabriquait? Était-ce les dernières images, toutes dernières ? était-ce un adieu ? Pourquoi étaient ils tous là , Regroupés dans cette cour ,ce jour précis ? Était-ce la fin ? Leur présence à tous, ici, avait comme un air de générique… Oui c’était la fin.(74)
En dix ans elle s'est redressée pour devenir une autre femme. Nous l'avons vue évoluer, de la paysanne aux pieds noirs, qu'elle était à la citadine mal chaussée qu'elle est devenue. Hanoï a changé avec nous, ses enfants, sur son dos.
C'est toujours comme ça, tu vois, on n'y pense pas, on regarde les choses passivement, et soudain une image, sur un coup de tête, se déclare être la dernière.
J'aime la regarder bavarder, c'est une chose dont je suis incapable. C'est admirable ces lèvres qui bougent, murmurent, susurrent, au hasard, sans avoir peur des mots qui coulent.