Cela te surprend, j'imagine, d'autant que je croyais être capable de lire partout. Et d'être en nécessité de lire chaque jour. Oui, mais ici, il ya conjonction de malédictions...
D'abord, sous ce ciel d'azur, ce soleil de plomb (tu m'accorderas des banalités de ce genre, il s'agit ici d'un compte-rendu, pas d'une oeuvre littéraire), devant cette vue extraordinaire, je me sens un peu dans un état de stupeur.Incapable de faire quoi que ce soit. Figé. L'esprit au ralenti. Plusieurs fois, j'ai pris des livres qui remplissent les deux tiers de ma valise, l'un après l'autre. En partant de Lyon, j'étais certain qu'ils pouvaient, tous, me plaire, me tenter, qu'ils étaient susceptibles de ... comment dire ? Me titiller, voire de m'exciter, pour le moins de solliciter un des pans de ma curiosité. Ou au minimum de me permettre de me lancer avec passion dans une belle histoire, susceptible de me faire m'évader de ces jours pénibles...Et voilà qu'ici, ils sont devenus d'une complète platitude? J'ai même du mal, pour certains , à me rappeler pourquoi diable j'ai pu avoir envie un jour de les lire!
-l'équilibre ? Et dans le cas où l'on a plus donné que reçu ?
- ...Je ne sais pas... Si j'essaie de répondre à partir de ma propre vie, voilà ce que je peux dire : J'ai longtemps plus reçu que donné, car je crois n'avoir pas été doué pour la générosité... depuis quelques années, je m'efforce de donner plus que je ne reçois.Cela se manifeste dans ces moments un peu paternalistes que je n'aime pas, mais où je suis parfois entraîné. Vous voyez ce que je veux dire ! Or il me semble que lorsqu'on est dans cet état d'esprit, de donner plus que ce que l'on reçoit, de rétablir l'équilibre, voire d'inverser la dette, on ne peut pas être dans le désir de mourir...
- Oulah !
Alors celui qui se suicide vole quelque chose aux autres humains ! Ce qu'il a reçu, et n'a pas rendu !
- De toute façon, celui qui se suicide vole aux autres humains ce qu'il est et ce qu'il aurait pu faire... Et entre autres ce qu'il leur devait en tant qu'humain, oui...
Nourrir gratuitement des personnes qui mourraient de faim entrainait la ruine des petits paysans alentour. Ouvrir des écoles et des lycées dans la jungle aboutissait à la formation d’élites locales qui n’avaient ensuite comme objectif que de quitter leur pays pour obtenir des situations meilleures en Occident, ou de rester sur place pour y prendre le pouvoir et exploiter les leurs au nom d’un libéralisme savamment mâtiné de clanisme. Les initiatives pour l’environnement et la protection des équilibres écologiques se révélaient, elles aussi, souvent désastreuses Telle certitude scientifique sur le trou d’ozone, ou le peuplement marin, se trouvait invalidée quelques années plus tard, rendant les efforts faits dérisoires ou contre-productifs.
Il sortit de cette longue et méticuleuse recherche en voyant le monde sous forme d’une sphère fuyant comme une passoire, où toutes les bonnes énergies, les bonnes volontés, et les fonds tombaient telle de l’eau sur du sable, ne permettant, parfois, que l’émergence d’un épineux rabougri, dont on pouvait se demander s’il représentait la vie revenue pour quelques jours dans le désert ou la volonté acharnée de piquer le premier qui s’approche…
Rien d’extraordinaire, sauf peut-être ce compteur de meurtres qui continuait de tourner, de tourner, mais il n’y était plus pour grand-chose, finalement, c’était juste une évidence… Les morts mourraient par leurs propres fautes. Qu’ils soient surpris, ou bien conscients, ils mourraient par leur faute… Finalement, c’était un processus naturel. Les tuer, l’un après l’autre, indiscutablement, c’était naturel. A se demander pourquoi cela avait attendu tant de temps avant de commencer… La Justice a un tact infini… Non, pas la Justice… La recherche du bonheur… Que de patience !
Emilien n’était pas malheureux. Il était simplement éteint. Par ce que l’on pourrait définir comme le degré supérieur du tact, il s’efforçait, sans en souffrir, de ne déranger personne pour cela. Il était éteint, certes, mais cela ne regardait que lui. Il n’avait d’ailleurs jamais imaginé qu’il puisse éclairer qui que ce soit. Sa seule ambition était de bien faire.
Jouer n’était pas un projet. Plutôt une fenêtre ouverte. Si la vie avait envie de leur faire ce cadeau, elle le ferait. Sinon, c’est que ce n’était pas pour eux, il n’y aurait pas de regret à avoir. Jouer était suffisant, cela laissait la possibilité d’une vie différente, immédiate, faite pour eux, et pour eux seuls.