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4.14/5 (sur 492 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Lisbonne, Portugal , 1988
Biographie :

Anaïs LLobet est journaliste et écrivaine.

Ayant grandi en Europe et Amérique latine, elle parle russe, espagnol, italien, anglais et français. Elle est diplômée de l'École de journalisme de Sciences Po (2007-2011).

Journaliste indépendante, elle est correspondante aux Philippines où elle couvre le typhon Haiyan qui ravage les Philippines en 2013. Son premier roman "Les mains lâchées" (2016) porte la parole des survivants et explore les failles du journalisme.

Elle s'installe ensuite à Moscou, où pendant cinq ans (2014-2018), elle couvre pour l'AFP l'actualité russe et la campagne contre les homosexuels en Tchétchénie.

Depuis 2018, elle vit à Nicosie à Chypre d'où elle couvre pour l'AFP la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, tout en se consacrant à l'écriture de romans et documentaires.

Son deuxième roman "Des hommes couleur de ciel" (2019), qui raconte le destin d'un jeune homosexuel tchétchène, a reçu le prix Étonnants Voyageurs-Ouest France.

Twitter : https://twitter.com/russianais?lang=fr
page Facebook : https://www.facebook.com/russianais
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Source : Plon, Editions de l'Observatoire
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Citations et extraits (114) Voir plus Ajouter une citation
Depuis dix ans, son intégration n'avait souffert d'aucun angle mort. Elle était néerlandaise, de passeport et de volonté. « Vous qui êtes russe », avait dit le professeur, n'accordant aucun crédit aux dix dernières années qu'elle avait vécues ici, aux Pays-Bas, chez lui. Ces années ne valaient rien : elles étaient balayées par son accent, ses origines. Elle était prisonnière de son déguisement à double étage, ni Russe ni Néerlandaise, à jamais Tchétchène et incapable de défendre son peuple lorsqu'il était attaqué par une chronologie simpliste et à charge.

Page 79, L’Observatoire, 2019
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Tu voudrais que je te raconte quoi, avec tes consignes pour enfants sages « racontez au passé un souvenir qui vous est cher » je n'ai aucun souvenir que je ne voudrais effacer et toi tu veux que je te l'écrive en russe, mais je vais te le dire en tchétchène puisqu'il n'y a que nous pour comprendre ce que nous avons
vécu
les gens ils disent « il a connu la guerre c'est pour ça qu'il est étrange » et j'ai envie de les frapper parce qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent, ils pensent que la guerre c'est comme à la télévision avec des immenses fumées dans le ciel, des gens qui pleurent et qui sortent des enfants couverts de poussière blanche des décombres de leur immeuble
ils ne savent pas que la guerre c'est la cave l'attente la faim les gens qui s'éteignent l'impuissance les mots qui ne servent à rien face aux soldats l'humiliation les souvenirs qu'on veut jeter et qui restent comme tatoués sur le blanc de l'oeil : tu clignes des yeux et la guerre revient, tu regardes ailleurs, elle est toujours là, tu dors, elle t'attend tapie dans le noir.

Page 51, L’Observatoire, 2019.
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bien sûr que je les connais tes verbes de mouvement en russe mais ils servent à rien ici
ici pas besoin de bondir sauter courir jusqu'à plus pouvoir respirer
y a rien à fuir les gens sont tranquilles les avions passent sans bruit la terre tremble mais c'est juste un tramway
et quand ils disent on descend à la cave, c'est pour rapporter de l'alcool haram ou des livres déjà lus
ils ont pas besoin de brûler les portes ici car les radiateurs marchent l'hiver
je te le dis, ils sont faciles à apprendre les verbes de mouvement en temps de paix
moi je voudrais leur apprendre à aller sans se promener
à marcher sans savoir où aller
à s'immobiliser sans respirer
à entendre un bruit, une explosion, fuir et ne plus jamais revenir

Page 15, L’Observatoire, 2019.
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II percevait confusément qu'il se tenait à la lisière d'un choix, sans retour possible. Il était monté dans un avion, il avait changé de pays, appris une langue, mais son départ de Tchétchénie et son arrivée aux Pays-Bas n'auraient lieu que ce dimanche soir-là.
Il acheta un tee-shirt noir, plaqua ses cheveux en arrière avec un peu de gel. Hector l'attendait devant un club, au croisement de deux rues. La musique était forte, les basses grésillaient. Des hommes, adossés au mur, partageaient une cigarette. Hector lui prit la main et l'entraîna à l'intérieur.
— Le dimanche soir, c'est notre nuit, cria-t-il pour couvrir la techno. Je sais pas où tu vas, toi, mais ici, c'est forcément mieux !
Adam sourit. Oui, c'était mieux que le bar et la plonge. Il remarqua deux jeunes hommes en train de s'embrasser, l'un brun de peau et torse nu, l'autre en chemise blanche trempée de sueur. Ils dansaient, enlacés. Un brusque frisson électrique parcourut son échine.
La musique s'engouffra en lui et il sentit sa tête balancer d'un côté puis de l'autre, sa main accepter un cocktail offert par Hector, l'autre glisser dans ses cheveux. Le rythme binaire, épuré, envahissait son corps sur une fréquence inconnue, il vibrait, s'abandonnait aux regards, les acceptait, les renvoyait.
Il aurait dû prendre peur, se souvenir de sa mère, son père, son frère, son cousin, son peuple, les mots « N’oublie pas qui tu es ». Mais il n'avait jamais été jusqu'à cette nuit. Il avait fait semblant et il apprenait ce dimanche soir-là que la vie est puissante et insatiable.

Pages 177-178, L’Observatoire, 2019.
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Avec peine, Oumar s'extirpe du lit, le ventre durci par des crampes. Il s'oblige à effacer les traits de Kirem. Il ne veut plus penser à lui.
Au creux de son corps, il sent un grand vide l'envahir, comme si l'attentat n'avait pas seulement ravi son frère, mais également une partie de ses organes internes, ses poumons, ses reins, son cœur qui bat sans n'être plus relié à rien. Même son visage semble ne plus lui appartenir.
Deux frères, c'est comme deux mains, leur disait Taïssa. Elles vivent leurs vies, mais elles restent inséparables. Depuis que les bombes ont explosé, Oumar a l'impression d'être devenu manchot.

Page 84, L’Observatoire, 2019.
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Depuis dix ans, son intégration n'avait souffert d'aucun angle mort. Elle était néerlandaise, de passeport et de volonté. « Vous qui êtes russe », avait dit le professeur, n'accordant aucun crédit aux dix dernières années qu'elle avait vécues ici, aux Pays-Bas, chez lui. Ces années ne valaient rien : elles étaient balayées par son accent, ses origines. Elle était prisonnière de son déguisement à double étage, ni Russe ni Néerlandaise, à jamais Tchétchène et incapable de défendre son peuple lorsqu'il était attaqué par une chronologie simpliste et à charge.

Page 79, L’Observatoire, 2019.
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Il regarde ses mains pour ne pas penser à sa mère, allongée sur son lit après une nouvelle crise. Ses grands yeux écarquillés qui fixent les ombres sur le plafond... Qui l'a aidée à se lever, à s’habiller, qui lui a expliqué les questions des policiers ? Peut-être n'a-t-elle pas eu besoin de traduction. Le mot terrorisme est international. La terreur est universelle. Le mot latin, terror, a traversé les siècles pour devenir terreur en néerlandais, terror en russe. Au fil des guerres, il a fini par pénétrer la langue tchétchène. Pourtant, il ne remplacera jamais le kkheram, la peur dont est saisie l'âme lorsqu'une bombe siffle dans le ciel, un couteau s'approche dans la nuit, un regard devient fou près de soi, quand un acte irréparable s'apprête à être commis...

Page 55, L’Observatoire, 2019.
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Il n'avait jamais vu de ville sans blessure. Les maisons ressemblaient à des maisons de poupées et les tramways sillonnaient les rues comme des jouets d'enfants. Les passants ne sursautaient pas à chaque pétarade de moto. Les petits criaient pour le plaisir de crier, ils quémandaient des cônes glacés, l'estomac plein. Sur la plage de Scheveningen, les filles avaient étendu des serviettes de bain et sirotaient des bières, elles montraient leurs jambes au soleil. À côté, des garçons sautaient torse nu pour attraper des frisbees. Il était subjugué.

Pages 170-171, L’Observatoire, 2019.
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Il n'y a pas de terme tchétchène pour dire ce qu'il est. On a importé "gay" de l'anglais, et "golouboï" du russe, qui signifie « bleu ciel ». Il y a aussi les insultes qui ont contaminé leur langue : "pederast", "pedik".
Un soir, à la télévision, lorsqu'il avait cinq ou six ans, des hommes déguisés dansaient sur des chars décorés de banderoles, en France. Voici le défilé parisien des "stigal basakh vol nakh", des hommes couleur de ciel, avait dit le présentateur. Oumar avait regardé par la fenêtre : le ciel était gris.

Pages 167-168, L’Observatoire, 2019.
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Anaïs Llobet
Le père de Vincent claqua d’un coup sec sa portière et se précipita vers un soldat qui lui barra immédiatement le passage.
— J’ai le droit de savoir où est mon fils, hurla-t-il comme si Vincent avait fait une escapade nocturne.
La chemise défaite, les tempes couvertes de sueur, il se mit à tambouriner de ses poings le torse du militaire. Le soldat le laissa faire un court instant, puis d’un geste très calme, il lui tordit le bras et l’immobilisa au sol.
— Il va falloir se calmer tout de suite, monsieur, dit-il tandis que le père de Vincent éructait des insultes, le visage boursouflé de colère.
Alissa détourna les yeux. Elle augmenta le son de la radio : le Premier ministre parlait d’unité, de douleur.
Ce sont nos enfants et l’éducation que nous leur donnons qui ont été pris pour cibles par le terrorisme. Nous lui répondrons que nous n’avons pas peur. Nous lui répondrons par la fermeté dont est capable notre société tolérante, bienveillante, ouverte.
Alissa sentait confusément que l’emphase donnée aux mots les vidait de sens. Une société « tolérante, bienveillante, ouverte » n’avait pas besoin qu’on le lui dise pour s’en souvenir. Et brandir ses valeurs comme un bouclier de dentelle face à des bombes aveugles lui parut absurde : vingt enfants avaient été tués, la haine était légitime. Il fallait haïr. Frapper. Hurler des insanités comme le père de Vincent. Prendre les armes et se venger. Sourire, tendre l’autre joue, c’était pour plus tard, lorsque le sang aurait tiédi, lorsque la peur aurait changé de camp.
Mais c’était peut-être sa vie d’avant qui s’exprimait ainsi, ... 
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