Esméralda, Béatrice, Pénélope, Shéhérazade...
En une phrase qui court sur cent pages, Loïc Demey raconte la quête d'un homme pour la femme dont il est épris, la cherche et la rêve. Un premier roman à la fois original et exigeant.
Peut-être avez-vous noté la frilosité des éditeurs à qualifier les ouvrages qu'ils publient. Désormais, on laisse au lecteur le soin de découvrir ce qu'est un roman, un poème en prose, un récit. Cette entrée en matière pour souligner combien Loïc Demey fait preuve d'originalité. Après trois recueils de poésie, il nous offre un premier roman sous forme de longue phrase, de lettre à l'être aimée.
Une quête qui commence par ces trois mots «Où êtes-vous» et va se boucler 100 pages plus loin avec cette même interrogation «où êtes-vous lorsque je patiente aux amours». Constat d'échec à retrouver la femme qui a suscité tant de passion, tant de désir, tant d'envie? Oui et non, car si la belle et sensuelle Lise lui échappe encore, l'auteur aura pu poser sur le papier ce chant d'amour, dire la palette de sensations qu'il éprouve, recherché dans sa mémoire tous les petits détails qui racontent leur rencontre, des couleurs du papier peint à la température qu'il faisait et de sa façon de se vêtir au paysage traversé.
Certes, il faut se laisser happer par ce texte qui devrait dérouter plus d'un lecteur, mais si l'on plonge, alors l'exercice est aussi vivifiant qu'une traversée en apnée. Un exercice qui nous offre aussi de suivre les circonvolutions d'un cerveau qui, pour ne penser qu'à une seule chose, voit cependant affluer de nombreuses images, rêves, envies. Oui, Lise est une fête, oui, Lise est un fantasme, oui, Lise est le creuset de l'imagination de cet amoureux transi.
Un amoureux qui pourrait bien être le héros malheureux d'un opéra, d'un drame transposé en Italie ou il répondrait au nom de Sfortunato, et après avoir vidé deux bouteilles de vin, n'hésiterait pas à «échanger son âme contre un morceau de son ombre» pour enfin pouvoir approcher sa dulcinée, la jeune femme blonde à la robe en coquelicots, et alors se voir incapable de prononcer un mot. Un malheur qui va alors le plonger dans le désespoir. Jusqu'à ce que l'imagination ne reprenne le pouvoir.
Car on peut aussi lire cette phrase comme un hommage à l'art qui permet de transcender la douleur, à la littérature qui ouvre la route des possibles. Si Lise est insaisissable, alors elle peut aussi devenir une autre héroïne, Esméralda, Béatrice, Pénélope, Shéhérazade...
«Du plus loin que vous êtes je crois à votre venue, j'inventorie chaque signe mouvant du panorama, je veux dire les lieux prétendus de mon corps que vous habitez, l’endroit de ma pensée où vous résidez, j'espère ainsi qu’on espère sous le ciel dont les étoiles déjà ont succombé au temps, déjà se sont endormies lorsque leur brillance nous atteint, nous affecte et nous console de n'être que des grains façonnant un rocher sublime».
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