Loïc Josse - La morue, voyages et usages .
Loïc Josse vous présente son ouvrage "La morue, voyages et usages" aux éditions Glénat et
Chasse-Marée. http://www.mollat.com/livres/josse-loic-morue-voyages-usages-9782344001165.html Notes de Musique : Spy Over There/Artsongs_ Songs Inspired By Artists and Works of Art/14 The Ocean. Free Music Archive.
Normalement lorsqu'on est gros, on est riche, on parle du « ventre de l'argent », kopu moni, un signe extérieur de richesse.
Un chinois m'a dit : « Ah, le cannibale !» J'ai pris à la rigolade. J'ai dit : «Oui, mais en tout cas on n'a pas bouffé de Chinois parce qu'ils étaient maigres.» Le Chinois a viré au rouge, il croyait faire le malin. J'ai dit : «Les Chinois étaient pas bons à manger, on a préféré les adopter, moi-même, ma mère est chinoise.» Éclats de rire, après on est devenus copains.
Tu as aussi l'histoire du pêcheur qui taille sa pirogue dans l'arbre, Vahauki, qui n'a pas demandé l'autorisation à l'arbre. Lorsqu'il revient le lendemain, l'arbre est debout, il coupe, il taille sa pirogue, il revient le lendemain, l'arbre est debout. Sa grand-mère lui dit qu'il doit demander à l'arbre, et qu'il doit préparer à manger pour les esprits, du kaaku, de la popoi, le taro, des bananes, le poisson, le cochon... Vahauki a taillé sa pirogue pour aller à Kona, à Hawai'i.
Benjamin Teikitutoua pour l'état civil, dit Ben ou Piri, ou bien même, pour ceux qui l'ont connu étudiant, Socrate, habite à Ua Pou, l'une des îles de l'archipel des Marquises.
Il est enseignant et directeur d'école à la retraite, vice-président de l'association culturelle Motu Haka. Il est l'un des artisans du renouveau culturel marquisien.
Conteur, chanteur, il a de multiples talents qui font de lui un incontestable tuhuka, un de ces maîtres artisans ou artistes de la société traditionnelle qui possèdent et transmettent un savoir ancestral.
Ben est l'un de ces rares personnages qui possèdent parfaitement deux cultures différentes et qui, loin de privilégier l'une au détriment de l'autre, ou de parvenir à un syncrétisme bancal, savent les faire coexister dans une constante confrontation sans domination. Il a clairement fait le choix de ne pas abandonner la culture de son enfance pour se fondre dans l'occidentalisation, mais de vivre conjointement les deux.
(Incipit )
Un peuple heureux danse, vit, un peuple malheureux meurt.[ ... ] Si l'on fait travail-dodo, tout le monde se suicide.
Tous les navigateurs au début ont traité les Marquisiens de voleurs, comme des enfants qui prenaient. Mais vraiment, le vol n'existait pas. Ça explique beaucoup l'incompréhension qu'il y eu. C'est normal, ce sont deux civilisations qui se sont rencontrées, dont une qui a mis la propriété au cœur de ses valeurs. C'est pourquoi il y a eu pas mal d'incompréhension, des scènes de tuerie, comme cet homme, tenant un cierge sur le bateau de Mendaña (navigateur). Coup de sabre sur les deux bras pour le faire tomber à l'eau : il a eu les bras coupés.
Leur définition de l'identité, dans un contexte de métissage flagrant tant il est généralisé, ne pouvait évidemment pas être de nature raciale ou ethnique ou même être liée au retranchement, au repli. Les Marquisiens sont vaccinés contre ce virus-là.
Ils démontrent dans leur démarche à quel point la notion de droit du sang est une absurdité totale. Ils nous délivrent cette certitude rassurante avec une force et une évidence incontestables.
Être Marquisien, c'est certes relever d'une lignée marquisienne, même s'il y a eu métissage, mais c'est surtout se définir comme Ènana/Ènata, c'est revendiquer son appartenance à un peuple, à une culture. L'identité n'est pas dans les gènes, elle est d'abord dans la culture. Je suis Marquisien parce que je le veux, parce que je le sais, parce que je me réfère à mes racines, mais nullement parce que je suis, ou ne suis pas, de sang «pur» ou «mêlé».
La puissance de cette démonstration est considérable et prend une dimension universelle en ce qu'elle est un repoussoir à toute forme d'identité exclusive, «enfermante», ethnique, raciale ou raciste, identitaire au sens politique du terme. Quand on connaît ses racines, on ne craint pas les autres.
Un jour, un gendarme arrive, va chercher des oranges dans la vallée d'à côté avec le bateau. On nze peut pas accoster, il faut sauter dans l'eau et nager vers les rochers. Moi je regarde d'abord, je vois des couches noires au fond, j'évite, je vais ailleurs, je monte sur les rochers sans problème. Le gendarme, guerrier, il saute dans l'eau, direct dans les champs d'oursins ! Lorsque la mer s'est retirée, il était couché sur un tapis d'oursins, finie la cueillette des oranges, il avait des piqûres partout !
Un de mes oncles dit : «Il faut pisser dessus !
Ah non ! non, non !
_ Mais si !»
Alors mon oncle a pissé dessus, des piquants sont sortis, petit à petit ça c'est calmé.
Chacun a son regard, ce sont des regards croisés, mais l'interprétation est différente, c'est ç a la beauté, ce n'est pas l'uniformité maisz la différence, Si on était uniformes comme des têtes de clous, tu n'aurais pas besoin de venir chez moi, tu l'as chez toi. Par contre, si tu as cette particularité, c'est ça la culture. Tu as la culture générale desq Marquises, mais chaque île a sa particularité, c'est comme des régions en France, tu as des spécificités locales.
Ua Huka, tu as le très beau musée, l'île aux oiseaux, les beaux tiki, un paysage magnifique qui ressemble à Rapa Nui ; Ua Pou, ses pics, sa pierre fleurie ; Nuku Hiva, ses pétroglyphes à Hatiheu, l'arbre à crânes des morts ; Hiva Oa , ses deux morts célèbres et en dehors de ça, les plus grands tiki de Polynésie ; Tahuata où l'idée de l'airez marine éducative est sortie d'un petit bled comme Vaitahu ; Fatu Hiva, bien sûr le tapa. Nos artisans, dont certains sont des artistes, ont un savoir-faire hors du commun. C'est cela que les touristes devraient entendre.
L'homme écrit sur le sable.
Moi, ça me convient bien ainsi ;
l'effacement ne me contrarie pas ;
à marée descendante, je recommence.
Jean Dubuffet
p.79