Mais l'élite n'est pas qu'enseignante ou dirigeante, et la décomposition de la parole n'est pas que le propre des professeurs et des gouvernants: ailleurs, des notables censés nous aider pataugent eux aussi dans la sanie langagière...
Les profs de français eux-mêmes – à qui il ne faut pas faire entièrement porter le chapeau (le bonnet d’âne) de la ruine – ignorent, pour ne pas s’être suffisamment (voire pas du tout) colletés avec la grammaire analytique, la dénomination des éléments d’une phrase.
Comme si un mécanicien formant un apprenti lui expliquait le fonctionnement d’un moteur sans utiliser les mots soupape, culasse, piston, vilebrequin…
Les pédagogues qui sous-traitent l’immolation de l’enseignement pour le compte de l’Éducation nationale font obtusément en sorte que – fièvre égalitariste oblige – le parcours scolaire soit indolore : autant promettre la victoire à un marathonien en l’installant dans un canapé. (p. 50)
Puisque cet Homme hypermoderne (sybarite suçoteur de pailles recroquevillé sous ses écouteurs, nanti épicurien détaché, majorité silencieuse rongeant son frein, prolo rêvant des Maldives, etc.) est incapable d'assumer le désarroi qu'il engendre - plus on veut, plus on attend, plus on s'ennuie, plus on souffre... -, il appelle au secours l'indicible Armada: psychologues - Ah! la cellule d'aide psychologique «mise en place» pour un parapluie égaré ou une déripette! - antidépresseurs, tribunaux, addictologues, coaching, sophrologues, guides en tout genre, ceux pondus par les ministères servant de vitrine à leur preux labeur et leur amour des administrés : Guide pratique de l'accessibilité (pour les handicapés), Guide pratique des stages étudiants, Guide du crédit d'impôt recherche, Guide pratique du fait religieux (dans les entreprises privées), Guide d'élaboration des schémas départementaux des services aux familles [....], Guide méthodologie de gestion des sols pollués, etc.
" Impossible ici de ne pas égratigner un domaine qui m’est familier et où l’on « kiffe grave » cette Complexité : la didactique des langues étrangères. Y macère un joli paquet d’andouilles animées par une lubie vengeresse : zigouiller les stéréotypes. C’est leur grande affaire, et elles ne reculent devant rien pour concasser le Réel, le modeler à l’image de leur foucade.
Le débutant en français, à qui on devrait épargner les doutes oiseux, peut ainsi lire dans un certain manuel d’apprentissage qu’une Danoise prénommée Karen est « petite et brune ». 'Ai-je bien compris ?' s’interroge l’étudiant qui se demande tout de go, les tempes humides, si « pour le coup » – expression chérie par l’obligeante Adèle Van Reeth – Brigitte Nielsen ne serait pas bolivienne… Il doit même s’attendre à voir surgir plus loin dans son bréviaire, entre deux pages sur les cocotiers de Sibérie et la bouillabaisse vosgienne, un Qatari en culotte de peau, une chope de bière à la main… " (pp. 65-66)