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Critiques de Lola Lafon (1367)
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Chavirer

*** rentrée littéraire 2020 #41 ***



Cela aurait pu être un récit, classique, à la première personne, celui d'une adolescente victime de viol. Chavirer est tellement plus que cela, tellement plus subtil.



La construction peut décontenancer ceux qui aiment les récits linéaires. Ici, la narration est comme des bouts de miroirs éclatés, des aller retours permanents racontant Cléo à travers le regard de ceux qui l'ont bien connue, aimée ou juste croisée. Comme si Cléo ne pouvait se raconter elle-même, comme si elle ne s'autorisait pas à le faire depuis son agression.



Cléo a été victime d'un réseau de prédateur piégeant des jeunes filles en leur promettant des bourses pour poursuivre un rêve artistique ou sportif. Nul suspense. Tout est clair dès le premier chapitre. On comprend le piège avant que Cléo n'y tombe, on la voit avancer dans l'abyme. le sujet pourrait amener à un manichéisme facile, désignant les monstres et faisant du lecteur un procureur. Ce n'est jamais la cas et c'est sans doute toute la force et la beauté de ce roman que d'avancer dans une zone grise où bourreaux et victimes semblent se confondre.



Cléo ne se voit pas comme une victime. Car elle n'a pas su dire non à son prédateur , elle n'a pas su faire le geste qui aurait pu la protéger. Elle n'a pas crié. Elle a honte de s'être laisser faire tout en ayant aussi honte de ne pas s'être « détendue », comme on lui en enjoignait de la faire pendant l'acte. Cléo est une « mauvaise » victime en somme. Et Lola Lafon sait dire toute la complexité de son personnage, qui, de victime à glisser vers la complicité en jouant le rôle de rabatteuse, complice de ce qui l'a détruit. J'ai rarement lu un roman aussi profond sur la banalité du mal, sur les minuscules complicités qui mènent au désastre intime.



Surtout, l'auteure fait le choix très intelligent de suivre son héroïne sur le temps long de la victime, de 13 à 48 ans. Elle traverse ainsi ses multiples identités, d'adolescente, jeune femme, amoureuse, épouse et mère, permettant de développer toutes les facettes de la culpabilité, de la honte et du pardon au cours d'une vie. Magnifiques sont les descriptions du métier de danseuse dans les années 1980 : Cléo danse dans l'émission Champs-Elysées, avec comme mission de faire oublier les soucis des téléspectateurs, de toujours sourire alors qu'elle vit elle-même à l'ombre des douleurs du passé.



Chavirer, c'est vaciller mais de pas faire naufrage. « A défaut du pardon, laisse venir l'oubli ». Lors d'une interview, Lola Lafon a cité Musset, elle ne pouvait trouver mieux pour accompagner la lecture de son remarquable roman qui laisse affleurer une émotion très fine, très humaine, à hauteur de mots.
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Quand tu écouteras cette chanson

°°° Rentrée littéraire 2022 # 37 °°°



Dans le cadre de la collection Une nuit au musée, Lola Lafon a choisi de passer la sienne dans la Maison d'Anne Frank à Amsterdam, celle du 18 août 2021, de 21 heures à 7 heures du matin, expérience qu'elle relate dans ce livre. Mais pas que. La nuit dans l'Annexe - où la famille Frank a vécu clandestinement de l'été 1942 à l'été 1944 avant d'être déportée – se transforme en récit très intimiste d'une ampleur insoupçonnée et d'une délicatesse rare.



Anne Frank. Un sujet sur lequel on croit tout connaître et dont découvre des aspects insoupçonnés et saisissants. Les romans de Lola Lafon ont tous pour coeur une jeune fille dont la parole n'a pas été entendue, de Nadia Comaneci ( La Petite communiste qui ne souriait jamais ) à Cléo ( Chavirer ). Anne Frank est leur soeur, elle aussi est une adolescente qu'on n'entend pas alors que le monde entier l'a lu.



Son journal a été manipulé, censuré, mal lu. Trop de personnes ont tenté de se l'approprier, à commencer par les producteurs hollywoodiens lorsqu'ils ont monté à la fin des années 50 un film ( oscarisé ) et une pièce de théâtre ... en éludant toute allusion à la judéité, au nazisme pour en faire un récit jugée universel et positif. La personnalité d'Anne Frank a été complètement lissée, très loin de la jeune fille irrévérencieuse et acide qu'elle était.



Lola Lafon rappelle également qu'Anne Frank n'a pas été entendue car on considère à tort comme un journal ou un témoignage ses écrits, très réducteur. C'est ce que lui rappelle Laureen Nussbaum, dernière personne en vie à avoir connu les soeurs Frank, qui a été la première à étudier le « journal » comme une oeuvre littéraire à part entière. Anne Frank voulait devenir écrivaine. Aussi lorsqu'elle entend à une radio clandestine qu'un ministre demandait aux populations des Pays-Bas de conserver leurs écrits comme preuves. Avec la folie que peuvent avoir les adolescents, elle s'est dit qu'elle pouvait être publiée. Elle a alors totalement réécrit son journal afin de leur tourner vers l'avenir et un lectorat. Sa célébrité a évincé son talent.



Lola Lafon a sur tout de suite que c'est dans ce musée qu'elle choisirait de passer une nuit. Pas uniquement parce qu'elle s'intéresse aux adolescentes. Aussi pour se confronter à sa judéité. Je ne savais pas qu'elle avait des origines juives, elle a toujours été très discrète sur ce point. Sa mère est une enfant qui a été cachée pendant la guerre, son grand-père est un rescapé d'Auschwitz ( seul d'une nombreuse fratrie à avoir survécu ). L'autrice force ainsi les silences et se confronte à son histoire familiale avec une sensibilité touchante.



Et puis, il y a ce titre, une chanson qui lui fait ouvrir la porte de la chambre d'Anne Frank. Elle ne parvient à y pénétrer qu'au dernier moment, au terme d'une nuit blanche. Et dans ce lieu du vide qui crie l'absence, elle peut se confronter aux fantômes de son histoire. Lorsqu'elle révèle tout cela via le pouvoir évocateur de la chanson, on est totalement bouleversés par la confidence qu'elle nous offre.



Lola Lafon est une formidable passeuse qui redonne à Anne Frank sa vérité dans une superbe clarté. Elle sublime l'exercice de style de l'écrivain racontant sa nuit au musée en un vagabondage littéraire d'une grande richesse, couplé à un récit introspectif et intimiste qui s'ouvre à l'universel avec une subtilité vibrante et sobre. Magnifique.
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Quand tu écouteras cette chanson

Après avoir apprécié « La petite communiste qui ne souriait jamais », qui retraçait le parcours de la gymnaste roumaine prodige Nadia Comaneci, j’étais curieux de voir ce que Lola Lafon pouvait encore nous apprendre sur Anne Frank et son célèbre « Journal ».



Dans le cadre de cette collection « Ma nuit au musée » des Editions Stock, Lola Lafon choisit donc de passer une nuit dans le musée de la maison d’Anne Frank à Amsterdam, dans cette fameuse annexe où Anne Frank vécu recluse avec sept autres personnes de juillet 1942 au 4 août 1944. Vingt-cinq mois de clandestinité et d’enfermement racontés dans son journal intime, avant d’être déportée et tuée à Bergen-Belsen…



« Quand tu écouteras cette chanson » retrace certes le parcours d’Anne Frank et de sa famille, mais s’intéresse également au destin de ce célèbre « Journal », adapté au théâtre, puis édulcoré par Hollywood, tout en soulignant l’ambition de cette jeune adolescente mondialement connue de devenir écrivaine. Anne Frank a en effet elle-même retravaillé son journal en espérant un jour être lue… mais qu’avons-nous fait de ses écrits ?



En passant une nuit en compagnie du fantôme d’Anne Frank, Lola Lafon réveille également ses propres fantômes, transformant cet ouvrage au cahier des charges pourtant assez claire en récit beaucoup plus intimiste que prévu. L’histoire d’Anne Frank fait en effet écho à l’histoire familiale de l’autrice, de sa propre judéité à l’exil familial en France au début des années 1930, en passant par les membres de sa famille décédés à Auschwitz… et par cette grand-mère maternelle, Ida Goldman, survivante de la Shoah, qui lui a un jour offert une médaille dorée frappée du portrait d’Anne Frank, accompagnée d’une consigne : « N’oublie jamais ! »



Cette nuit passée dans l’Annexe, confronte également l’autrice au silence et à l’absence d’Anne Frank, qui en réveille forcément d’autres, dont ce vide laissé par Charles Chea, un jeune adolescent d’origine cambodgienne qu’elle a connu à Bucarest, également privé d’avenir… mais par les Khmers rouges.



« Quand tu écouteras cette chanson » est finalement l’histoire de deux écrivaines, qui se font écho le temps d’une nuit passée dans un musée.
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Chavirer

Pour Cléo, 13 ans, la danse c’est un moyen de sortir du cadre étriqué de sa vie en banlieue parisienne. C’est aussi pouvoir se rêver autre, sur les marches d’un podium, dans la lumière. Et c’est ce que lui laisse entrevoir Cathy, cette élégante femme qui lui promet un avenir à la hauteur des dons qu’elle a repéré et lui propose donc de tenter de remporter une bourse, délivrée par la fondation Galatée. Le leurre est trop tentant, et le piège se referme sur l’ado, qui se retrouve entre les mains de pervers pédophiles. Loin de remporter le jackpot, elle est maintenue dans le circuit, avec espoir à la clé, à condition de présenter à Cathy d’autres gamines dignes du challenge..



Cléo vivra finalement de la danse, ou plutôt survivra, car les paillettes masquent une situation précaire et sans avenir assuré. Et c’est sans compter avec le poids du remords.



C’est la colère qui domine quand on parcourt ces lignes. Si la fondation Galatée est née de l’imagination de l’auteur, ce type de pratiques scandaleuses n’est pas un fable et on a juste envie de hurler pour conspuer les bourreaux et complices d’une telle ignominie.



Multipliant les points de vue, et croisant les destins, des années 90 à nos jours, Lola Lafon écrit un roman poignant avec en filigrane la question du pardon lorsque l’oubli est impossible.
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Chavirer

Cléo a treize ans et vit à Fontenay-sous-Bois. Elle a un rêve, comme beaucoup d'autres jeunes filles : devenir danseuse. Elle va tomber dans les rets de Cathy, qui travaille pour une mystérieuse fondation Galatée et lui fait miroiter une bourse et une brillante carrière pour peu qu'elle satisfasse aux exigences d'un jury uniquement composé d'hommes vieillissants. C'est en fait un piège qui va se refermer sur elle et empoisonner toute sa vie. ● le projet de Lola Lafon est louable et son livre est écrit avec une très belle plume. Mais l'éclatement de la narration et de la temporalité est tel que le récit est très confus. de nouveaux personnages ne cessent d'être introduits, et l'histoire se recentre sur eux de façon très déconcertante, si bien que lorsqu'à la fin on revient sur Cléo pour enfin savoir ce qu'elle est devenue, on s'est lassé de ces détours et on n'a qu'une envie : arriver au terme de ce récit désordonné. le sujet du roman méritait un autre traitement.
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Quand tu écouteras cette chanson

« C'est elle. Une silhouette, à la fenêtre, surgie de l'ombre, une gamine. Elle se penche, la main posée sur la rambarde, attirée sans doute par un bruissement de rires […] Elle est vivante, elle trépigne, celle qu'on ne connaît que figée, sur des photos en noir et blanc. Elle a 12 ans. Il lui en reste quatre à vivre. […] Ce sont les uniques images animées d'Anne-Frank […] Sept secondes de vie, à peine une éclipse »

C'est sur une image fugitive de la jeune adolescente que débute cette magnifique introspection de Lola-Lafon une nuit d'août 2021 dans l'Annexe secrète où les membres de la famille Frank vécurent entassés deux ans durant, avant leur déportation au camp de Bergen-Belsen. A la lumière de ma liseuse, ses mots poignants empreints de pudeur et de sensibilité m'ont emportée d'emblée. Sa nuit dans l'annexe où Anne-Frank écrivit son célèbre journal, elle la doit aux éditions Stock et à leur sublime collection « ma nuit au musée ».

Le choix de ce lieu culte, lui, elle le doit à sa grand mère juive, qui lui a offert à ses dix ans une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Franck en prononçant ces mots qui résonnent encore « N'oublie pas ».

Elle ne sait pas ce qui ressortira de cette immersion car « L'écriture est un chemin sans destination, L'écriture à la beauté inquiétante de ce qui ne mène nulle part ». Elle se défend pourtant d'écrire un roman sombre alors même que Anne « a été drôle, futile, adolescente en dépit du reste. Ce reste qu'elle n'a pas pu nous écrire ».

Son journal s'arrête brusquement un matin d'août 1944 lorsque des agents de la Gestapo envahissent l'annexe et mettent tout à sac, ses cahiers sont éparpillés sur le sol car ces sentinelles de la mort, ces pilleurs, n'y voient rien d'interessant. Ils seront rendus à Otto Frank, le père, seul survivant, des mois plus tard. Par un jeu de miroir l'autrice raconte l'héritage traumatique des descendants des déportés, la lourdeur de survivre à la place des disparus, son attachement pour les déracinés.

Figée devant la porte de la chambre d'Anne, incapable d'y pénétrer car trop de voix y font écho, c'est finalement le souvenir traumatisant d'un fantôme de son enfance qui l'aidera à pousser la porte…

L'aube commence à poindre. Il est temps de partir. Elle dépose le talkie-walkie qui la relie au gardien du musée, tourne le dos à la maison aux portraits en noirs et blanc et s'échappe dans le petit matin abandonnant l'annexe où résonne encore la voix des enfants disparus dans et de par l'Histoire laissant le lecteur profondément ému.



Merci infiniment à #netgalley #NetGalleyFrance @netgalleyfrance pour cette lecture #quandtuecouterascettechanson
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Quand tu écouteras cette chanson

Lola Lafon décide de vivre l’aventure pas banale de se laisser enfermer une nuit dans un musée.

Son choix va se révéler encore moins banal, car elle jette son dévolu sur un musée qui n’en est pas vraiment un, ici pas d’œuvres à découvrir ni devant lesquelles s’émerveiller, rêver, adorer, détester (vivre finalement). Non, ce musée est celui dans lequel le visiteur est ému par l’absence, le vide, les pas qui résonnent, le sentiment d’oppression, d’étouffement, de pesanteur.

Ce musée, je l’ai visité il y a plusieurs années à Amsterdam, c’est l’Annexe dans laquelle Otto Frank a décidé de se cacher avec cinq autres personnes et ses deux filles, Margot et Anne. Un lieu très singulier, chargé d’une histoire mondialement connue, et dans lequel on ressent un grand malaise.

Bien sûr, l’histoire d’Anne Frank tout le monde la connait me direz-vous, alors quel intérêt a ce livre ?

Lola Lafon remet les pendules à l’heure sur bon nombre de sujets, en particulier la croyance selon laquelle Otto Frank a voulu censurer dans le Journal les passages relatifs à la sexualité de sa fille. L’auteure a interviewé plusieurs personnes qui ont côtoyé Anne Frank de leur vivant et elle nous livre leurs témoignages émouvants, en particulier celui de Laureen Nussbaum.

J’ouvre ici une petite parenthèse, la professeure d’histoire-géographie de 3ème de ma fille a eu une démarche très intéressante, elle a demandé à ses élèves d’établir leur arbre généalogique en remontant à leurs arrière-grands-parents, en précisant leurs dates et lieux de naissance. Elle voulait par là leur faire toucher du doigt que l’histoire qu’ils vont étudier cette année, les deux guerres mondiales, ont directement impacté leur famille, des membres pas si éloignés, leurs arrière-grands-parents ou leurs grands-parents, qui les ont vécues dans leur chair, ont connu la guerre, ses bombardements, ses privations, les hommes tués, faits prisonniers, les camps de travail, de concentration... Et je me suis fait la réflexion que je ne m’étais jamais posé la question de comment l’Histoire avait pu irrémédiablement impacter la vie de mes amis juifs, et que c’était un sujet que je n’avais jamais abordé avec eux. Et pourtant, cette Histoire, elle est là, tellement proche, même si peu à peu tous ses témoins directs sont en train de s’éteindre.

Ce récit m’en a rappelé un autre, celui d’Anne Berest avec sa magnifique Carte Postale. Ces deux autrices, sensiblement du même âge, s’interrogent sur leur judéité. Qu’est-ce que cela signifie pour elles d’être juives à notre époque, comment l’histoire de leur propre famille résonne en elles ? Quels stigmates en portent-elles ? Cela a-t-il influencé les femmes qu’elles sont devenues, la façon dont elles se sont construites ?

Dans leurs deux récits très pudiques, j’ai retrouvé, pour ces deux femmes, la difficulté de parler de la Shoah en famille, la douleur est encore trop pesante, les fantômes trop proches pour s’exprimer librement. Lola Lafon s’interroge très justement sur une question essentielle, comment parler de ce passé aux adolescents actuels, aux générations futures, que dire et comment ?

J’ai été très touchée par la sensibilité et la délicatesse de Lola Lafon, qui, tout en arpentant les pièces de l’Annexe, mêle avec beaucoup de naturel et de précision ses pensées concernant Anne Frank, les informations passionnantes sur leur vie quotidienne de reclus qu’elle a collectées et des pans de sa propre vie. Tout cela est d’une étonnante fluidité, et on passe d’un sujet à l’autre avec facilité, des temps d’intense émotion succèdent à des temps plus calmes, dans un rythme subtilement dosé. En refermant ce livre, j’ai eu l’impression d’une conversation avec une amie qui se serait livrée avec une profonde sincérité, m’aurait fait part de ses réflexions les plus intimes sur ce qui la définit, l’anime, la révolte, l’obsède.

Un superbe hommage très émouvant à Anne Frank rendu tout en finesse par Lola Lafon, ainsi qu’à ses propres aïeux.

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La bataille du rail : Cheminots en grève, écriv..

36 auteurs pour autant de nouvelles, illustrés par les dessins de Mako.

36 auteurs engagés, car cet ouvrage polyphonique n'a qu'une seule ligne éditoriale : celle de défendre les services publics, un certain « idéal de solidarité »

concrétisé ici par le train dans la tourmente de cette nouvelle « bataille du rail ».



36 pierres apportées à l'édifice d'une lutte, puisque les droits d'auteurs sont entièrement reversées aux caisses des grévistes contre cette réforme ferroviaire 2018.

À chacun d'en juger la nécessité bien sûr, mais il fallait le préciser, car il ne s'agit pas ici d'un don seulement caritatif, mais profondément politique.



Bien sûr, ces nouvelles sont très différentes, et parfois inégales, mais toutes réussissent la gageure de parler à nous tous, qui avons en commun cet « imaginaire du rail».

Comme Didier Daenincks dont « le sang noir du monde ferroviaire coule dans [s]es veines. »



Lu en juillet 2018.
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Quand tu écouteras cette chanson

Une nuit au musée avec Lola Lafon, un musée qui fut le dernier lieu de vie de la famille Frank à Amsterdam et où Anne écrivit son journal. Le titre de ce témoignage émouvant peut paraître étrange, le mystère qu'il porte sera dévoilé à la fin du livre puisque Lola Lafon évoquera un autre génocide tragique, survenu près de quarante années après la Shoah.



Lola Lafon avance à petits pas dans l'Annexe où les Frank furent cachés, puis malheureusement arrêtés, déportés, le père Otto étant le seul survivant. Elle transmet à ses lecteurs son émotion dans ces lieux silencieux, elle s'interroge sur les sentiments éprouvés par Anne, sur son attente de l'inéluctable, malgré l'espoir qui l'animait, elle partage sa jeune vie brisée, elle-même atteinte par la Shoah dans sa famille maternelle.



Sa nuit au musée n'est pas celle de la désespérance, ni de la pitié facile, mais plutôt celle d'une entrée sur la pointe des pieds dans un univers où une étoile portait le signe d'une ignoble ségrégation débouchant sur les wagons plombés en direction des camps de la mort.



Lola Lafon partage les informations qu'elle a recueillies sur le journal, sa transformation quelque peu dénaturée en pièce de théâtre, puis la réalisation d'un film gommant trop de vécus d'Anne pour refléter une réalité indicible.



Anne était pourtant parvenue à exprimer cette réalité en travaillant d'arrache-pied sur un journal qu'elle a réécrit plusieurs fois pour obtenir un résultat dont elle espérait une publication que la pauvre ne verra pas.



Il y avait aussi certainement le journal de sa soeur aînée, Margot, disparu avec elle et Lola Lafon ne peut qu'établir la relation avec tous les souvenirs détruits et perdus de sa propre famille.



Pour ma part, je garde le souvenir immuable d'une présence bien plus brève dans la maison d'Anne Frank, j'entends le silence de la foule autour de moi, je vois les feuilles du marronnier mais c'est trop peu de temps pour entrer comme Lola dans le mystère pathétique des journées d'Anne dans l'Annexe.



Elle évoque aussi Simon Wiesenthal, "chasseur de nazis", à la recherche de l'officier qui arrêta la famille Frank, nommé Silberbauer pour lequel la justice autrichienne jugea qu'il n'avait fait son travail en arrêtant les Frank et en les envoyant vers les camps. La France, elle-même, en laquelle de nombreux juifs avaient espéré une sécurité, participa on le sait à la déportation, la plus grande honte de la mémoire de notre pays.



Cette nuit au musée a certainement été une épreuve pour Lola Lafon, elle lui a remémoré le souvenir d'un jeune homme connu bien plus tard, victime d'un autre génocide sur lequel elle conclut son propos en évoquant cette chanson qu'elle ne peut parvenir à écouter.
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Mercy, Mary, Patty

Gene Neveva, professeure, américaine engagée (contre la guerre au Vietnam entre autres) est chargée de faire un rapport qui défende Patricia Hearst qui a rejoint la cause de ses ravisseurs. Elle a été contactée par un des avocats de la famille Hearst prête à tout pour sortir leur fille de prison. Gene engage à son tour une assistante, Violaine.



Pour adhérer à la cause de ses ravisseurs, transformée en révolutionnaire en moins de deux mois, Patricia Hearst a-t-elle pris conscience de certaines choses, a-t-elle été manipulée ou subi un lavage de cerveau ? Dans cette hypothèse elle ne peut être tenue pour responsable d'avoir participé à un hold-up avec ses ravisseurs. C'est ce que Gene doit démontrer, voilà l'enjeu de ses recherches. Mais pas seulement. Gene se sent aussi investie d'une autre mission.



Ainsi, son assistante, Violaine, qui ne connaît pas la finalité du rapport commandé à Gene, va découvrir pour sa plus grande joie que Gene est en train de l'éduquer. Gene qui lui apprend à réfléchir par elle-même, à ne pas se fier aux apparences, que l'Amérique n'est pas celle qu'elle s'est imaginée - qu'avec Patricia Hearst, les Etats-Unis ébrèchent l'Amérique racontée par ses parents.



Patricia, Gene, Violaine, trois femmes éprises de liberté, des femmes qui s'engagent, refusant les injustices et l'ordre établi. À travers leurs histoires - réelle ou fictives - sans jamais porter de jugement, avec beaucoup d'intelligence (et d’originalité), Lola Lafon dessine une Amérique loin du rêve tant vanté, une Amérique aux prises avec la guerre du Vietnam, le racisme et l'inégalité sociale. Remarquable.
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Quand tu écouteras cette chanson

Je n’avais aucune envie de lire ce livre de Lola Lafon ! En premier lieu, tous ces romans sur la Shoah éveillent en moi une suspicion, je ne parle pas des livres d’histoires, ni des témoignages, ni des documents, ni des récits-enquêtes, mais plutôt de ces écrits romanesques sur la Shoah ! Il me faut néanmoins reconnaître une qualité à ces récits, ils enseignent, ils relèvent d’un défi majeur, celui de la lutte contre l’oubli bien qu’ils soient en dessous de la réalité mais les mots peuvent-ils être à la hauteur de la réalité ? En deuxième point, j’avais déjà lu de Lola Lafon « Mercy, Mary, Patty ». L’auteure s’emparait d’un fait divers des années 70 : l’enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse, William Randolph Hearst, récit qui ne m’avait absolument pas convaincue. C’est en lisant le retour de Dominique @larmordbm et sur ses encouragements que je me suis lancée dans cette lecture habitée.



Je me suis enfoncée dans la nuit de l’Annexe avec Lola avec autant d’appréhension qu’elle. J’ignorais sa judéité comme j’ignorais que sa mère fut une enfant cachée, nous avons donc pu fonctionner en miroir. Lola Lafon est originaire de la Roumanie de Ceausescu. Elle porte en elle une révolte, un désir de vivre sans aucune limitation, qui se traduit par ses aspirations libertaires : ce qui se conçoit aisément au regard de l’histoire familiale.



Je me posais la question « qu’allait-elle chercher dans cette annexe sacralisée ? ». Dans cette intimité littéraire, encouragée par son projet de passer la nuit du 18 août 2021 dans l’Annexe, j’y ai retrouvé les perpétuelles questions existentielles qui peuvent tarauder les descendants des rescapés du génocide. Lorsque Ronald Léopold, directeur du musée, lui demande ce que représente la jeune fille pour elle, elle adopte un ton détaché qui masque son obsession irraisonnée pour la jeune fille. A la vérité, elle ne comprend même pas son désir ; pas plus que je ne saurais expliquer cette attirance, ce besoin impérieux qui me pousse à lire régulièrement des livres d’histoire, des témoignages qui ont trait à la Shoah. Ce sont les mêmes symptômes qui trouvent leur origine dans les mêmes ténèbres, c’est une relation angoissée qui relie le passé au présent.



Lola ouvre son cœur et se confie, elle parle d’Anne Frank, d’Otto Frank, elle n’oublie pas Margot - Margot qui est la première à recevoir la funeste convocation puisqu’elle vient d’avoir seize ans. Je découvre chez l’auteure une intense sensibilité, une grande profondeur de réflexion, un réel talent d’auteure, elle pèse ses mots, ils sont justes, émeuvent, chaque page tournée suscite un recueillement, une méditation approfondie sur la nature et le sens de ce qu’il y a de plus intime dans la vie de chacun d’entre nous. Et je capte chez Lola, une personne authentique, altruiste. Ses questions portent sur l’identité juive, est-elle façonnée par l’Histoire ou ontologique, déterminée par les relations aux autres ou les relations aux parents, aux enfants ? Dans cette traversée de la nuit, hantée, connectée à la Shoah, c’est un véritable dialogue qui s’installe entre La famille Frank, l’auteure et la lectrice que je suis.



Elle écrit des mots sur l’absence qui peuvent résonner en chacun de nous : « Tout ici se veut plus vrai que vrai, or tout est faux sauf l’absence, Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident. »



Elle sollicite notre sensibilité, notre réflexion sur le mot « essentiel » en donnant du sens à un petit objet familier qui prend symboliquement toute son importance :



« Je m’approche du papier peint encadré et au cœur même du vide, je ne vois que quelques chiffres et de fines lignes, bien droites. Au cœur même du vide, un père inscrit, tous les mois, au crayon à papier, des preuves de vie. Otto Frank note qu’ici, en deux ans, Margot a pris un centimètre et Anne, treize. »



Lola écrit sur Ida, sa grand-mère, de très jolies lignes. Ida qui n’a pas eu le temps d’apprendre à lire et à écrire en français mais qui ne répondait plus au téléphone dès qu’il y avait Apostrophes à la télévision, Ida qui lui a offert une médaille dorée frappée du portrait d’Anne Frank en lui intimant « N’oublie pas ».



Avant d’être une icône, Anne Frank fut surtout une adolescente irrévérencieuse, rebelle, ne supportant pas d’avoir tort et qui voulait être absolument journaliste ou écrivaine et qui espérait être un jour éditée. C’est avec colère que j’ai appris la trahison des éditeurs, des metteurs en scène de cinéma comme du théâtre, chacun retouchant les écrits d’Anne Frank selon « le politiquement correct du pays ou le désir d’avoir la main sur le destin d’une jeune fille », c’est une part de son histoire qui lui a été confisquée. C’est odieux !



Lola Lafon a écrit un récit contre l’oubli, elle y a mis tout ce qu’elle voulait oublier, ignorer, comme sa judéité, la Shoah. Ce livre, elle le portait en elle depuis longtemps, parvenu à maturité, le résultat est puissant. Je le rapprocherais d’une pierre tombale, « une matzevah » d’autant plus qu’au moment où Lola trouve le courage de pénétrer dans la chambre d’Anne Frank, elle n’est pas seule, elle est accompagnée du souvenir d’un ami d’enfance, un jeune homme rencontré à Bucarest dont l’ombre vient renforcer la symbolique.



Après une telle expérience, une telle réconciliation avec elle-même, Lola se doit de reconstruire son identité en prenant en compte son histoire, une histoire qui se veut parsemée de silences, de paragraphes absents mais qui est son héritage comme l’étoile que nos mères ont portée. Lola Lafon nous offre avec ce livre une très belle introspection à l’écriture maîtrisée que je suis ravie d’avoir lu.



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Quand tu écouteras cette chanson

Quand on écoute sa chanson,

avant que vaincue par la haine des hommes,

Anne Frank nous dit son désir de devenir écrivain ou journaliste.

Pas d'être un témoin singulier

qu'on adore, encense ou même dénigre,

mais un écrivain comme Lola Lafon,

juive comme elle,

qui une nuit entière dans l'Annexe, sa dernière demeure,

a tenté de percer le secret.

Celui d'Anne Frank, celui de Lola Lafon.

« Quoi que vous fassiez, que vous le fassiez seule ou non, à quelque moment que vous le fassiez, de quelque façon que vous le fassiez, pour quelque raison que vous le fassiez, quelque mystérieux que soit le but dans lequel vous le fassiez, n'oubliez jamais que sur l'autre plateau de la balance il y a toujours le néant, la mort, l'oubli. Que c'est vous contre l'oubli.  » Joyce Carol Oates
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Quand tu écouteras cette chanson

Ce sont les jolis retours de mes babelpotes qui m'ont incitée à ouvrir à mon tour "Quand tu écouteras cette chanson" de Lola Lafon. Un livre qui tombe plutôt à pic puisque j'ai relu dernièrement le "Journal" d'Anne Frank, encore frais dans ma tête.



Lola Lafon revient sur la nuit qu'elle a passé à l'Annexe, lieu dans lequel huit personnes juives s'y sont cachées pendant la Seconde Guerre mondiale, dont Anne Frank et sa famille. Lieu dans lequel, pendant vingt-cinq mois, Anne Frank a écrit et entretenu son Journal, qui lui a survécu...



Lola Lafon nous raconte l'Annexe, devenu aujourd'hui un musée. Ce lieu laissé tel quel après le pillage des Nazis, à la demande d'Otto Frank, seul survivant du groupe. Ce lieu presque vide, froid, peuplé d'absences omniprésentes, de cartes postales, de quelques photographies.



Pourquoi Lola Lafon a-t-elle choisi de passer une nuit dans ce musée précisément ? Elle qui a en partie rejeté son héritage familial, celui d'un passé douloureux pour ses ascendants, qui ont dû eux-mêmes se cacher des Nazis et des Collabos. Qui était fière de sa blondeur, fière de ne pas paraître juive. Qui a ignoré tous les films et livres évoquant cette période de l'Histoire pendant longtemps. Je vous laisse le découvrir par vous-même, vous comprendrez par la même occasion le choix du titre de cet ouvrage, "Quand tu écouteras cette chanson", qui prend tout son sens et qui m'a totalement retournée.



Là encore, il m'est difficile d'admettre qu'un tel livre m'a plu, puisque c'est le souvenir d'un drame qui est évoqué, de plusieurs même...



Et pourtant, j'ai été touchée...



Touchée par la belle plume tout en simplicité, douceur et sensibilité de l'autrice.



Touchée par la reconstitution des événements pendant et après ces difficiles mois d'enfermement et d'isolement de la famille Frank. Touchée que Margot, la sœur aînée d'Anne, ne soit pas mise sur la touche, d'habitude transparente (que serait-il advenu si le journal qu'elle tenait également avait été retrouvé lui aussi ?).



Touchée par la propre histoire familiale de l'autrice. Par cette rencontre éphémère qui aura marquée à jamais la petite fille roumaine qu'elle était et la femme qu'elle est devenue. Par ses appréhensions, ses doutes, ses peurs. Par tous ses ressentis, qu'elle évoque pourtant avec pudeur.



Les dernières pages sont bouleversantes.

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Chavirer

J'ai une petite tendresse pour Lola Laffon, son air de punkette mi-farouche, mi-bravache. J'aime ses luttes, ses colères, sa plume pointue et ses traits qui blessent comme un caillou.



J'avais aimé le très rimbaldien Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce- tout noir de poésie rebelle, et j'avais adoré La petite communiste qui ne souriait jamais, plus abouti, serré comme un poing vengeur,  précis comme un trait d'arbalète,  à l'os, pas un mot de trop, taillé à vif comme un silex.



 Puis j'ai lu Mercy, Mary, Patty, et j'ai trouvé qu'elle se perdait.



Dans des afféteries de construction, dans un jeu d'emboîtements de récits qu'elle maitrisait mal, l'essentiel était brouillé,  la fraîcheur fanée, le tranchant émoussé. Mauvaise pioche ou vraie fausse route?



Chavirer semble, hélas,  confirmer la deuxième hypothèse.



Chavirer, c'est l'histoire de Cléo,  petite danseuse de banlieue prise au piège d'un réseau pédophile,  (masqué derrière une fondation fantôme qui fait miroiter une bourse- à- réaliser -les- rêves à des petites nymphettes de treize ans),  Cléo qui , de victime, devient recruteuse pour cette fondation fantoche, plaisamment appelée Galatée...



Doublement victime et doublement honteuse.



Il y avait là un sujet non pas original -c'est vraiment dans l'air du temps, hélas!- mais où Lola Laffon, danseuse, féministe, rebelle, pouvait retrouver sa force frondeuse, son art de la frappe.



Eh bien non : le récit se noie dans de courts chapitres superficiels où on suit,   à travers les yeux de personnages secondaires,  tous très  proches du cliché ( le meilleur copain du collège, juif et intello,  la petite amie,  lesbienne et anar, la vieille habilleuse de revue,  maternelle et effacée, et j'en passe...), ce que l'héroïne, rongée par la culpabilité,  semble avoir éprouvé des décennies durant, après cette manipulation destructrice....



En réalité, on ne sonde rien, ni ces personnages terriblement convenus, ni cette héroïne murée dans le silence et une sorte de déni. Ça dure, ça dure,  l'émotion disparaît très vite et  même l' intérêt se lasse et se perd. Reste une belle langue, mais qui ne suffit pas à masquer le vide créé par cette structure,  aussi artificielle que creuse.



Reviens nous, Lola! Retrouve ta poésie noire, ta fronde de David, ton mordant. Et arrête de courir derrière les recettes des romans à la mode! A force de Chavirer, on se noie,  même avec ton talent!
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La petite communiste qui ne souriait jamais

C'était "la vache sacrée et décorée" de la Roumanie.



Que dire après tant de critiques...

Nous devons être nombreux à nous souvenir de ce petit phénomène des JO de Montréal. Elle a marqué nos esprits durablement, dans un monde télévisuel moins envahissant qu'actuellement, où tout évènement retransmis regroupait les familles en communion devant l'écran. On la trouvait plutôt timide, la petite Nadia, incapable d'exprimer une joie spontanée, attitude qui collait bien à l'image grisâtre des pays de l'Est.



Statufiée en "ange laïque", inconsciente d'être l'icône du bonheur communiste à la roumaine, elle a été le temps d'une enfance sportive, une poupée mécanique à la gloire de son pays avant d'être avalée dans les bouleversements politiques, sacrifiée sur l'hôtel des gloires déchues pour avoir grandi.



Mêlant habilement enquête et fiction, Lola Lafon revient avec un réel talent et un léger excès de lyrisme sur la période de la guerre froide, où les combats idéologiques s'invitaient sur les podiums à l'heure des hymnes, jusqu'entre pays "frères" du bloc de l'est.



Elle dessine une Roumanie communiste schizophrène, rassemblée derrière son mégalomane dirigeant, fascinant l'Occident. Une vision géopolitique dépassée qui interroge sur les manipulations de l'information, l'hypocrisie du pouvoir, les méthodes de gouvernance et la crédulité des individus.

Elle évoque surtout les excès de la compétition à outrance, qui forgent les caractères mais laminent les individus, les enjeux d'ego, de survie et d'argent, bousculant le mythe d'un sport sain et fédérateur.



Cette analyse "a posteriori" est tempérée par la voix off de Nadia adulte qui dénonce les clichés, nous incitant à prévenir tout manichéisme et refuse la victimisation. Car les choses n'ont pas vraiment changé en matière de communication.

Mais l'adulte n'est-elle pas elle-même piégée par l'image renvoyée par sa réussite planétaire?

Elle reste jusque dans sa fuite vers l'ouest une personnalité enigmatique.



En dépit des analyses et controverses faites avec le recul, il reste à donner un coup de chapeau au courage de l'athlète-enfant qu'elle fut, et à la version littéraire captivante que nous offre Lola Lafon.
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La petite communiste qui ne souriait jamais

Qui ne se souvient pas, parmi ceux et celles de ma génération, de la merveilleuse petite gymnaste roumaine, Nadia Comaneci, qui a enchanté les Jeux Olympiques de Montréal en 1976?



Cette biographie romancée a le mérite de faire un portrait non seulement de la merveilleuse sportive, mais aussi de l'époque mouvementée des années 70 et des années 80, de montrer un pays livré aux lubies d'un dictateur dangereux, Nicola Ceaucescu, et les souffrances d'une population qui manquait de tout, sans compter les pressions "politiques" exercées sur les femmes pour qu'elles aient au moins 5 enfants, à la gloire d'une nouvelle Roumanie qu'il fallait créer en l'honneur du Génie des Carpates!

Voici donc Nadia, qui vit dans un village de Moldavie roumaine, Onesti, et qui très vite est remarquée par un entraîneur, Bela Károlyi. Un nom d'origine hongroise car le grand entraîneur fait partie de la minorité hongroise vivant en Roumanie.

Alors commence le rythme effréné des entraînements, des régimes draconiens, des ajustements hormonaux, retarder la puberté pour avoir de meilleurs résultats.

Les succès de Nadia sont éblouissants jusqu'à ce que Nadia soit "rattrapée" par la machine biologique.

S'adapter à ce nouveau corps, cela va être difficile, la concurrence avec les autres gymnastes est de plus en plus rude.

A l'extérieur des gymnases, la Révolte gronde. Les Roumains sont excédés du manque de nourriture, de soins, et des discours officiels, à tel point qu'ils regardent la télé bulgare même s'ils ne comprennent pas la langue, pour échapper à l'endoctrinement ambiant.

Nadia va fuir son pays, en décembre 1989, juste avant la destitution des Ceaucescu..

Une très belle biographie, un vrai témoignage historique sur les soubresauts de l'Europe de l'Est juste avant la tombée du "rideau de fer".
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Quand tu écouteras cette chanson

Les confidences recueillies dans les différents écrits relatifs à cette collection Nuit au musée ont une teneur variable et on peut le comprendre en raison de l'artifice censé ouvrir les portes de la création littéraire par le biais d'une réclusion quelques heures nocturnes au sein d'un musée.



Cet opus a une tonalité particulière car le choix de Lola Lafon n'est pas anodin. Il la renvoie à l'histoire de sa propre famille et au coeur de souvenirs qui sont autant de plaies mal guéries.





Qui ne connaît pas Anne Frank ? Lecture quasi incontournable, par choix ou par obligation scolaire, la jeune fille prisonnière d'un étroit logement de fortune à la fin de la seconde guerre mondiale a suscité de nombreuses vocations de diaristes en herbe. Mais au-delà de cette publication très médiatisée, au point d'être revue et corrigée dans un souci de séduire le plus grand nombre, elle a été traduite, trahie et redessinée dans un souci de conformité ….



Pour Lola Lafon, qui redécouvre elle aussi à l'occasion de cette expérience l'historique de ce succès éditorial, la nuit est aussi une plongée en enfer, celles de la mémoire douloureuse de son histoire, celle de l'identité vis à vis de cette appartenance qui n'a plus rien de religieux, celle de la honte passée et des souffrances vécues. Anne Frank est encore plus pour elle la grande soeur que toutes les jeunes lectrices ont un jour rêver d'avoir. Parce qu'elle partage avec elle le poids d'un passé à refouler.





Cette nuit au musée est très émouvante, par ce qu'elle révèle de l'histoire du célèbre journal et par ce que suscite pour l'écrivaine cette expérience sans doute nécessaire.





180 pages Stock 17 Août 2022


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Quand tu écouteras cette chanson

J'ai vu passer plusieurs des livres de cette collection « Ma nuit au musée » sans être tentée plus que cela. J'avais lu un livre de Lola Lafon sans être vraiment séduite (La petite communiste qui ne souriait jamais). Alors pourquoi avoir ouvert celui-ci ? Bien sûr, j'ai lu « le journal d'Anne Franck » dans ma jeunesse, mais je ne m'en souviens pas plus que cela. La réponse c'est Babelio : j'y ai lu tant de belles critiques, qui toutes parlaient d'émotion, que je n'ai pas résisté.



J'en sors bouleversée. Bouleversée par les mots de Lola Lafon, par l'immense humilité de cette femme, par son cheminement au cours de cette nuit, par ce récit qui plonge au coeur de ce qu'elle est, une enfant de survivants, d'exilés :

« Ce sont des parents follement inquiets à l'idée de ne pas parvenir à protéger leurs enfants. Ce sont des parents qui les somment de ne pas se faire remarquer, qui leur inculquent l'art de disparaître, de se fondre dans le paysage.

Ce sont des grands-parents follement fiers de la plus minuscule réussite de leurs petits-enfants, de tout ce qui confirmera l'appartenance au pays d'accueil. Des grands-parents qui, lorsqu'on leur récite une banale poésie française en sixième, ont les larmes aux yeux »



Elle se livre sans détour, laissant les souvenirs remonter dans cet environnement vide, mais si plein de l'histoire avec un petit et un grand H . Elle m'a profondément touchée par les mots avec lesquels elle évoque ces hommes et ces femmes emplis de « plus jamais », parce que privés d'une partie de leurs racines. Elle m'a aussi profondément émue par le respect qu'elle porte à l'autrice Anne Franck. Elle sortira à coup sûr changée, par rapport à celle qu'elle était la veille, peut-être plus « rassemblée »,

Et que dire de ces derniers chapitres qui éclairent ce titre un peu intrigant.



Il y a eu beaucoup de critiques, dont celles de Marie-Laure, Yvan, Bichette, Afleurdelivres, Fanny, Michel et tant d'autres, à qui je dois cette lecture, qui parlent si bien de ce livre.

Que rajouter, sinon Lisez-le



Merci à NetGalley et aux éditions Stock pour cet envoi #Quandtuécouterascettechanson #NetGalleyFrance

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La petite communiste qui ne souriait jamais

Nadia Comaneci, roumaine, est la première gymnaste a obtenir 10 sur 10 aux JO de Montréal de 1976. Surnommée "La fée des Carpates" cette enfant prodige devient un mythe planétaire, orchestrée et semble t-il robotisée par l'entourage de Ceausescu, admirée par les pays de l'ouest.

Nadia "elle fascine, elle excelle, sérieuse, parfaite, impressionnante" ..... "elle ne transmet pas l'émotion, elle est l'émotion....... une machine poétique, sublime. Elle a tout: la grâce, la précision, l'amplitude des gestes........Elle jette l'apesanteur par-dessus son épaule. " "C'est une robot communiste de 40 kg. On est dans la géométrie. Dans le calcul."

Mais faisons quelques pas en arrière:

A sept ans elle est repérée par son entraîneur et arrachée à ses parents. Elle s'entraîne six heures par jour. Elle a du cran Nadia. Elle est en progrès mais "fragile". Elle doit serrer les dents, tombe, se relève. Un régime alimentaire draconien maintient une légèreté indispensable pour ce corps d'enfant.

"un déguisement d'enfant pour une machinerie rare!".



Lola Lafon en construisant ce texte a orienté sa plume vers un exercice périlleux mais elle n'est pas tombée, elle. S'appuyant sur des faits réels, sur l'actualité foisonnante des années de gloire de Nadia, elle a posé l'histoire de la petite "fée communiste" dans son contexte. Elle a imposé à son récit des doubles salto, balayant sa caméra de la Roumanie des années 69 à 89, à Paris avec des incursions en Russie et aux Etats-Unis. Toutes les facettes ou presque de la Roumanie de l'époque sont évoquées. Les excès, les outrances, les restrictions, les incompréhensions, la propagande, la suspision, la censure.



Et Nadia? Nadia elle parle peu. Son émotion n'est pas palpable. Sa relation intime avec le Roitelet, fils du dictateur, n'a pas été clairement établie. Qu'à cela ne tienne! Lola Lafon imagine la voix, les mots, et sans que l'on s'en aperçoive vraiment, va compléter la réalité d'une fiction à peine suggérée en tous les cas tellement réaliste.



Nadia "cette collectionneuse, de victoires, cette tueuse" ne sait plus décider, tant elle est habituée à obéir". Les choses tournent mal. "L'horizon fait la grimace". Que va t-elle faire de sa vie? Après avoir vécu dans la lumière et au rythme des applaudissements a t-elle pu envisager la pénombre sans être blessée? La fée glacée va t'elle apprivoiser la vie, les gens, les mots? Son parcours Lola le tient bien et moi je n'ai pas lâché son livre.
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Quand tu écouteras cette chanson

« Quand tu écouteras cette chanson » fait partie de la collection « Ma nuit au musée » des Editions Stock, dont le principe est le suivant : demander à un auteur de choisir un musée dans lequel il aimerait passer la nuit, à charge pour lui de mettre ensuite ses impressions et réflexions par écrit.



Le choix de Lola Lafon s'est porté sur le musée Anne Frank à Amsterdam. Elle s'y est rendue le 18 août 2021 et y a passé la nuit, seule avec son ordinateur. Enfin, seule, façon de parler. Pourtant, ce n'était pas tant les fantômes d'Anne Frank et des sept autres personnes qui ont été cachées dans l'Annexe, de juillet 1942 au 4 août 1944, pour échapper aux nazis, entouraient Lola Lafon. Non, ce qui hante le musée, la nuit, ce n'est pas tant une présence, c'est l'absence. L'absence d'objets (l'Annexe est resté tel quel, quasi vide, depuis que les nazis l'ont dévasté), l'absence de vie, l'absence d'Anne Frank, cette jeune fille que le monde entier s'est approprié telle une icône, et dont Le Journal a été et sera lu par des générations d'écoliers.



Lola Lafon déambule dans le musée, hésite à entrer dans la chambre d'Anne Frank, s'interroge sur sa propre légitimité à écrire sur la jeune fille, fait entrer en résonance (sans les assimiler) l'histoire de sa propre famille, juive également, avec celle des Frank, évoque aussi le souvenir d'un ami d'enfance cambodgien, sur le point de rentrer dans son pays avec ses parents diplomates, sans imaginer le danger qu'ils couraient, alors que les Khmers rouges viennent d'arriver au pouvoir.



Lola Lafon tente de nous faire appréhender Le Journal non pas tant comme un témoignage du confinement forcé d'une jeune fille juive et de sa famille pendant deux ans, que comme un texte littéraire en tant que tel, insistant sur le fait qu'Anne Frank voulait faire oeuvre d'écrivaine et souhaitait voir son journal publié. Elle revient aussi sur la construction hollywoodienne du mythe Anne Frank dans les années 60, avec pour résultat un film ultra-lisse, presque rose bonbon, voire kitsch, sans allusion au désespoir ni image des camps de concentration.



Le destin fauché d'Anne Frank serre le coeur évidemment, Lola Lafon écrit très bien, avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse. C'est très beau, très juste, mais, pour une raison qui m'échappe, cela ne m'a pas vraiment touchée.



En partenariat avec les Editions Stock via Netgalley.

#Quandtuécouterascettechanson #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Le 18 août 2021
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