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Critiques de Lorenzo Mattotti (72)
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Dr Jekyll et Mister Hyde (BD)

♫Renaud s’efforce, c’est son boulot

D’écrire de jolies histoires

Pour séduire les gens, les marmots

Pour amuser, pour émouvoir

A la pointe de son stylo

Le Renard n’a que des gros mots

La parano et le cafard

N’lui inspirent que des idées noires

Docteur Renaud, Mister Renard…

Docteur Renaud, Mister Renard…♫

Renaud- 2002



Anges et démons cohabitent en chacun de nous .

En vérité , l'homme n'est pas un, mais deux...

l'un profon-dément caché, l'autre semble heureux.

Combat que se livrent le bien et le mal

la raison et la folie,

L'humain et l'animal

Une inspiration infinie

Débauche, luxure, obscénité,

violence, fléaux de l'humanité

On appelle le sexe de la femme un enfer

Parce que Satan l'habite..

C'est pas du Beaudelaire !?

pêcheur devant la tentation

caresser avec plaisir la pensée d'une séparation.

Cauchemar haut en couleur

Mattotti est SON peintre illustrateur

sa peinture raisonne comme dans un cri à la Munch

Le texte, le dessin, moi j'ai aimé very much





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Mattotti : Infini

Durant une semaine encore, jusqu'au 6 mars, le fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la Culture présente à deux pas de la gare de Landerneau, sur le site du couvent des Capucins, l'exposition “Mattotti : Infini”.



Ce magnifique livre d'art lui a emprunté son titre et regroupe sur 18 thèmes les centaines d'oeuvres présentées au public.

David Rosenberg, le commissaire de l'exposition, passe en revue les différents univers explorés par Mattotti : poétique, fantastique, historique, onirique… Il souligne combien les écrits du poète belge Henri Michaux ont impacté durablement l'imaginaire de l'artiste italien (“Ce qu'il y a dans le pays, on ne le voit pas…”, nous dit Michaud. D'où l'importance de le dessiner, semble répondre Mattotti).



Artiste transversal par excellence, Lorenzo Mattotti semble passer avec facilité de la bande dessinée à l'illustration, du dessin de mode au tableau grand format. Il utilise tour à tour pastel, encre, huile, fusain ou crayon.



Mattotti illustre avec originalité un texte de Jorge Zentner, un recueil de Freud, un roman de Robert Louis Stevenson ou un album de Bob Dylan, se prête avec une inventivité peu commune aux attentes de la revue Vanity Fair, conçoit avec brio les affiches du Festival de Cannes ou encore transcrit avec spiritualité dans des petits cahiers de papier népalais ses souvenirs d'un voyage à Bali.



Mais c'est sans doute la thématique intitulée “Oltremai” (outre-jamais), une série de dessins directement réalisés sur de grandes feuilles blanches Fabriano avec des pinceaux et de l'encre de Chine, qui impressionne et dépayse le plus.

La genèse de cette série féerique découle d'un précédent travail de Mattotti sur “Hänsel et Gretel”, le comte des frères Grimm.



Le lien ci-après vous donnera un tout petit aperçu de cette exposition de très grande qualité :

http://adobe.ly/1OjOQM2



Le long entretien accordé par Lorenzo Mattotti à David Rosenberg et Michel-Édouard Leclerc permet de mieux appréhender les différentes sources d'inspiration de cet artiste pétri de talent.

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Nell' acqua

Un joli cadeau de Noël de la part de Babelio et des éditions Casterman.



J'ai commencé ma lecture en cette nouvelle année 2022. Comme l'année dernière avec "Oiseaux" !



Mille mercis ♥♥♥ pour vos si belles attentions !



Variation autour de l'attirance corporelle d'un couple dans l'eau.



Nell'acqua, ce titre italien coule bien et se glisse en nous à la lecture de ce beau livre.



Variations d'artiste avec très peu de texte, on s'embarque en étreintes et imbrications dans cette relation charnelle aquatique.



Nous ne sommes jamais dans la pornographie, tout juste un téton affleure-t-il le texte et l'image… Tout est suggestion.

Lorenzo Mattotti nous parle d'intimité, d'union, de fusion, au sein d'un endroit sans nom et dans l'eau.

Ce couple n'est pas un couple en particulier, il devient sous les traits de l'artiste tout les couples, tous les amants. Il devient l'union d'un homme, d'une femme. La résurgence des désirs.



La préface de Christophe Ono-dit-Biot nous inspire et nous met face à nos ressentis devant la contemplation de ce couple. Nous ne sommes pourtant pas voyeurs car nous sommes ce couple.



Mille fois différent mais finalement mille fois identique.



J'adorerais voir une exposition avec les originaux mais ce livre m'a permis de plonger dans ces œuvres de bien belle façon.



De plus ce livre est très beau, de très belle qualité.



Sa couverture est en tissu, le format assez grand, il y a même un ruban pour marquer les pages.



Encore un livre du plus bel effet sur mes étagères.



Ce livre est une œuvre poétique et intime dans lequel on peut tous se plonger agréablement.



Certains tableaux m'ont davantage touchés , ils m'ont fait m'envoler dans des rêves oniriques et sensuels. Dans le monde, parfois secret, de l'attirance, du désir et de l'union entre un homme et une femme.



J'ai moins aimé que les visages des personnages soient parfois des trous béants... Ou qu'il n'y ait pas tous les attributs d'un visage : yeux bouche nez… Mais c'est sans doute volontaire et ainsi on a des personnages pas fortement identifiés seulement sexualisés par un détail (mais pas de sexe ni d'homme ni de femme, tout juste un téton et la courbe d'un fessier).



J'ai aimé aussi que l'auteur nous parle de son processus créatif.



Je redémarre mes lectures 2022 en mettant toujours à l'honneur l'art qui a déjà marqué mon année 2021 (si j'ai le temps je vous ferai un petit bilan).



Un beau livre dont je pourrais contempler la belle couverture, caresser les pages et m'inspirer.



Merci à Babelio et aux éditions Casterman pour ce très beau cadeau inspirant et sensuel.



Quant à vous, laissez vous séduire par ce couple mille fois sublimé par Lorenzo Mattotti, dans l'infini de l'océan et du temps.



Jetez-vous à l'eau !










Lien : https://imagimots.blogspot.c..
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Rites, rivières, montagnes et châteaux

Quelle ne fût pas ma joie quand j’ai appris que je recevrais le tout nouveau livre de l’artiste si talentueux Lorenzo Mattotti « Rites, rivières, montagnes et châteaux » publié chez Actes Sud BD que je remercie chaleureusement pour cet envoi ainsi que Babelio. Lorenzo Mattotti est un artiste aux multiples talents : peintre, auteur de BD, illustrateur, coloriste de génie, c’est peu dire que l’homme a de multiples cordes à son arc. Exposé à la fondation Leclerc de Landerneau, cinéaste accompli et auteur du film d’animation La « Fameuse Invasion des ours en Sicile » (2019), le dessinateur Lorenzo Mattotti ne cesse de se renouveler. Dans ce nouveau recueil d’illustrations absolument sublime regroupant des dessins enfiévrés, rêveurs, oniriques, tour à tour sombres et lumineux issus de ses carnets de recherche graphique, Mattotti nous embarque dans un voyage pleins d’émotions qui ne peut laisser indifférent le lecteur, fasciné par ses pastels couleurs ou noir et blanc. C’est de ses carnets qu’il nomme les « lignes fragiles », où il dessine tous les jours depuis une quarantaine d’années et n’en a montré une partie au public qu’à partir de 1999, qu’est issu ce travail graphique merveilleux, source de son approfondissement de la recherche graphique, notamment dans le travail de la couleur. Un auteur qui se renouvelle encore dans le très beau livre Rites, rivières, montagnes et châteaux (Actes Sud BD). L’artiste italien a son atelier Rue de Paris, dans le IXe arrondissement, au deuxième étage d’un vieil immeuble. Il travaille entouré de murs blancs, « pour qu’aucune couleur ne vienne parasiter celles que je vais peindre ». Il raconte ses histoires qui sont de véritables voyages d’introspection, de recherches picturales. Ses dessins sont ou très coloré ou tout noir et blanc en fonction de ses états d’âmes : « Les couleurs vives ouvrent sur les relations avec l’extérieur et donnent une belle dynamique ; les sombres expriment une grande énergie et incarnent davantage le mystère et l’imaginaire. » Un livre magnifique qui m’a totalement transporté. On ressent dans notre âme toute la puissance de l’art lorsqu’il est aussi bien exprimé. Je vous recommande chaudement ce livre « Rites, rivières, montagnes et châteaux » publié chez Actes Sud BD. Il ne vous laissera pas indifférent c’est une certitude. Je terminerais cette chronique enthousiaste avec quelques citations de l’artiste Lorenzo Mattotti sur son art et sa façon de concevoir l’acte créatif :



« Mon obsession est un mot difficile. Ce sont plutôt des sujets, des thèmes présents périodiquement. D’abord, c’est sûrement la relation homme-femme, la relation fragile, et l’homme et la femme avec leurs rituels secrets et leurs relations conflictuelles. Comment un homme et une femme arrivent à créer…? Une autre obsession est l’amour pour le paysage, la nature et la contemplation« . (Lorenzo Mattotti)



« Ce ne sont pas des brouillons : chaque dessin est une étape, une variation, comme dans la musique. Je fais un dessin et une autre idée arrive, je tourne la page et j’en fais une autre. Par un détail, je commence et ça devient autre chose« . (Lorenzo Mattotti)



« Savoir dessiner, c’est avoir la sensation de contrôler ce que l’on est en train de faire : c’est avoir dans les mains le métier de savoir s’exprimer. Aujourd’hui, je l’ai, mais je cherche toujours comment mettre le savoir en discussion, puis qu’autrement ça mène à la facilité, au maniérisme. Le dessin ne ment pas. On voit tout de suite quand quelqu’un bluff, fait de la fiction : je continue à avoir mes problèmes et mon dessin doit parler de ça« . (Lorenzo Mattotti)
Lien : https://thedude524.com/2021/..
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Paroles sans papiers

Triste réalité de drames actuels que vivent les sans papiers. Des scénaristes de BD ont participé à ces témoignages bouleversants. Lorenzo Mattotti, Gipi, Frederik Peeters, Pierre Place, Brüno, Kokor, Jouvray, Cyril Pedrosa et bien sûr Alfred.

Neuf récits d'exils, de souffrances et de pertes de soi-même. Des textes de personnalités engagées, de politiques et un dossier complet à la fin. le lecteur se sent tellement impuissant !

Merci à Harioutz qui, de par sa critique, m'a fait découvrir cette BD et comme lui j'ai été fasciné par les dessins de Frederik Peeters qui sont imbriqués avec beaucoup de monde, un peu à la façon de Sempé.



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Rites, rivières, montagnes et châteaux

Le rite est premier dans le titre, ensuite vient la nature et la culture. le rite constitue un terrain d'investigation idéal où l'artiste montre le non visible, embarque le lecteur pour un voyage magique au-delà du réel.



Ce livre est une promenade dans les cahiers de dessins de Lorenzo Mattotti et cette magnifique promenade raconte des histoires. L'auteur présente un dessin et ensuite des variations sur le thème choisi sur quelques pages, arrive ensuite une autre idée, un autre dessin qui va être décliné afin de raconter une autre histoire.

Il nous dit que la vie elle-même, si on l'observe avec attention, est faite à chaque instant d'une multitude de variations, de vibrations.

S'il y a des rivières, des montagnes, des châteaux, ce sont des décors pour les femmes, les hommes pris dans l'amour, les rituels, voire les confrontations.

Les châteaux donnent des étapes au livre, on passe d'une séquence à une autre, d'une atmosphère à une autre. La vie ne s'arrête jamais, les récits de Mattotti non plus, telle une musique déroulant sa mélodie.



La nature est magnifiée, sert d'écrin aux personnages. La puissance agissante de la nature tord les corps, les mêlent aux rivières, aux montagnes, aux objets dans un sentiment de présence absolue, quasi divine... ou chamanique. Les rituels sont des actions symboliques permettant de capter et de manier cette force occulte, dépassant la condition humaine, laissant l'homme insaisissable à lui-même, le mettant en question.

Ici une femme dénudée est entraînée par le courant de la rivière et par une forme aux contours vaguement humains ; ailleurs un être fantastique mi-homme, mi-cheval, menace avec un énorme maillet ; un chemineau, avec son baluchon et son bâton de marche, avance sous un ciel aux teintes toujours changeantes...



Fusion incandescente entre le neuvième art et la peinture, l'illustrateur élève son savoir-faire vers ce qui me semble une nouvelle évocation des Métamorphoses d'Ovide ayant inspiré les peintres jusqu'au XXe siècle et même Picasso, Dali... Les thèmes, le traitement par l'artiste, mettent en évidence l'emprunt et l'appropriation personnelle de tous les courants des XIXe et XXe siècles.



Parlons de la forme. Ce sont essentiellement des pastels, l'auteur utilise des couleurs très vives comme un arc en ciel faisant paysage et, de temps en temps, quelques dessins en noir et blanc. La force du trait leur donne la vie, le mouvement. Personnellement cela m'a rappelé l'intensité du trait des dessins de Vincent van Gogh, dessins que j'affectionne encore plus que sa peinture...



Il n'y a pas de textes, si ce n'est l'exergue du livre. J'ai rapidement compris l'intention de l'auteur permettant ainsi l'immersion, le rêve et la réflexion personnelle :



« Je me suis promené sur des frontières. Entre un château et une forêt de crayons, j'ai trouvé des signes qui m'ont raconté des histoires. Ou qui à eux seuls étaient une histoire. »



Je découvre cette collection Actes Sud BD et je suis ébloui par la qualité d'impression. On est à la fois devant un dessin et très vite dans la scène même dessinée, une production exceptionnelle, sortant des sentiers battus.



Lorenzo Mattotti est installé en France depuis une vingtaine d'années. Il dessine depuis les années 1970 et a déjà une longue carrière dans l'illustration, la peinture, la bande dessinée et le film d'animation. Son oeuvre comporte une vingtaine d'albums de bande dessinée, des illustrations dans les revues les plus prestigieuses, des affiches, une quarantaine d'expositions internationales, des films dont un long métrage sorti en 2019 « La fameuse invasion des ours en Sicile », adapté du livre de Dino Buzzati. Il a reçu de nombreux prix. C'est un illustrateur qui affirme dessiner tous les jours depuis une quarantaine d'années dans ses carnets, qu'il nomme « ses lignes fragiles ». Il en a montré une partie seulement après 1999. Ce très beau livre est le résultat de l'approfondissement de ses recherches graphiques, notamment dans le travail de la couleur. Si vous aimez la BD, le dessin, l'art pictural, alors c'est un livre à se procurer au plus vite !



*****



Retrouvez cette chronique avec une photo personnelle de la couverture ainsi que plusieurs pages du livre, montrant la virtuosité de l'artiste, sur mon blog Bibliofeel ou sur ma page Facebook Clesbibliofeel. A bientôt !










Lien : https://clesbibliofeel.blog
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Dr Jekyll et Mister Hyde (BD)

Librement adapté de l’œuvre originale de R.L. Stevenson. Voici ce qui est indiqué à la première page. Et quelle adaptation ! Une féerie de couleurs alimente ce texte violent. Le bien et le mal s’affrontent, poussés à l’extrême ici. Alors, qui sommes-nous ? Dr Jekill ? Mister Hyde, un peu des deux ? Un bel ouvrage !



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Docteur Jekyll et Mister Hyde

Mais la tentation était telle qu'elle finit par vaincre toute crainte.

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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s'agit d'une adaptation en bande dessinée du roman L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886), Robert Louis Stevenson (1850-1894), réalisée par Lorenzo Mattotti, dessins et couleurs, avec l'aide de Jerry Kramsky pour le scénario. Elle comporte soixante-deux pages de BD. L'ouvrage commence par la dédicace de l'artiste à Alberto Breccia (1919-1993). Il se termine avec une postface illustrée, de six pages, écrites par Michel Archimbaud, et cinq pages d'esquisses.



L'ombre déformée et agrandie d'Edward Hyde se projette sur les murs des rues, alors qu'il court dans la nuit. Dans le même temps, Harry Jekyll se dit qu'il ne ressent qu'horreur, horreur pour ce terrible lien, avec cette espèce d'animal. Il les perdra. Ils sont pareils à des bêtes féroces, dans des labyrinthes toujours plus vastes. Alors que Hyde marche d'un bon pas avec sa canne, une jeune femme marche vivement sur le trottoir perpendiculaire, des pas innocents dans le brouillard, un corps plein d'énergie vitale dans un guet-apens. Elle arrive au coin et le corps massif de Hyde lui barre le chemin. Elle lui demande de la laisser passer, car son père ne va pas bien et elle doit aller chercher le docteur. L'autre en profite, voyant qu'on l'a envoyée toute seule. Il la saisit par les cheveux, et commence à lui asséner des coups avec sa canne, puis il la piétine. Des passants voient la scène et le reconnaissent pour un monstre. Hyde prend la fuite, pendant les gens entourent la jeune fille à terre, atterrés par ses blessures, faisant appeler un docteur. Enfin Hyde rejoint la demeure de Jekyll et il s'enferme dans son laboratoire, mais les bruits ont été entendus par Poole, le majordome de Jekyll. Il appelle le notaire Gabriel John Utterson en lui demandant de venir.



C'était un soir glacial et venteux de mars, avec un maigre croissant de Lune couché sur le dos, comme renversé par le vent dans une fuite de nuages effilochés et diaphanes. Utterson ne se rappelait pas avoir jamais vu ce quartier de la ville aussi désert. Mais à cet instant, il eut désiré le contraire. Jamais dans sa vie, il n'avait ressenti un aussi profond besoin de ses semblables, de les avoir visibles et tangibles autour de lui, car malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se débarrasser d'un accablant pressentiment de malheur. le notaire arrive au domicile de Harry Jekyll et frappe à la porte. Poole lui ouvre et lui explique qu'il y a quelque chose qui ne va pas, qui ne tourne pas rond. Il pense qu'il y a eu un meurtre. Il prend le manteau d'Utterson et il le prie de le suivre. Ils sortent dans la cour et se rendent au bâtiment abritant le laboratoire du docteur. Poole frappe à la porte annonçant le notaire, et une voix à l'intérieur crie qu'il ne veut voir personne. Utterson trouve la voix du docteur changée. Poole renchérit qu'elle est plus que changée, qu'il n'a pas passé vingt ans dans cette maison pour ne pas savoir la reconnaître, et ce n'est pas celle de son maître. de même il lui demande d'écouter les pas qui se font entendre, et ce ne sont pas ceux de son maître. Utterson en convient : ils sont étrangement agiles et légers. La conclusion s'impose : monsieur Hyde fréquente encore cette maison.



Plusieurs choses ont pu attirer le lecteur : le plaisir de découvrir ce roman classique sous la forme d'une bande dessinée, ou le plaisir de découvrir une interprétation visuelle d'une histoire qui lui tient à coeur s'il la connaît déjà, ou encore un amour de la narration visuelle de l'artiste. Celui-ci a marqué le monde la bande dessinée, avec des ouvrages comme Feux (1985) & Murmure (1989), respectivement parus en 1984 et 1989, le second réalisé avec Jerry Kramsky (nom de plume de Fabrizio Ostani). Il a donc choisi d'adapter un célèbre roman avec l'aide d'un coscénariste. En fonction de sa familiarité avec l'oeuvre originale, le lecteur peut déceler quelques différences. le début commence avec Hyde, et non pas avec Utterson et Richard Enfield, suivi par un retour en arrière. Les auteurs rendent plus explicites les relations de Hyde avec les femmes, avec la mise en scène de plusieurs dont Frau Elda, et quelques prostituées. Il y a donc bien adaptation, et le résultat relève de la bande dessinée, et non pas du texte illustré, même s'ils ont conservé une partie du flux de pensée de Jekyll, dans des cartouches apposés dans certaines cases.



Dès la première page, le lecteur retrouve l'usage de couleurs vives par l'artiste, sa marque de fabrique depuis Feux. L'ombre de Hyde, d'un noir dense, est d'autant plus monstrueuse qu'elle contraste fortement avec un rouge intense ou un orange soutenu. Ces teintes vives peuvent se comprendre comme l'expression des émotions qui animent les individus vivant dans la cité, et les plus vives peuvent aussi s'envisager comme étant les émotions paroxystiques bouillonnant au sein d'Edward Hyde, des pulsions d'une force indicible, sans aucune retenue, nullement sublimées, animales. Il se souvient de la déclaration d'intention et du credo de l'artiste exprimé par le personnage d'Absinthe dans Feux. Les couleurs sont autant de feux dans le noir qui échauffent l'esprit, et cette nuit-là il passe de l'autre côté, dans une région où les choses sont comme on les sent. Absinthe avait tué pour défendre ses émotions et il était incapable de distinguer la raison de l'instinct. La nouvelle façon de voir les choses par Absinthe va provoquer la ruine de ses coéquipiers, et les couleurs le brûlent toujours plus. Dans cette adaptation, les couleurs remplissent la même fonction : elles constituent les signes des émotions, de ces forces de vie qui animent littéralement l'être humain. le lecteur peut voir les couleurs les plus vives comme le reflet de l'intensité terrible des émotions de Hyde. Il peut voir les couleurs un peu moins soutenues comme l'expression des émotions des autres personnages, la façon dont ils projettent leur ressenti sur ce qui les entourent, mais aussi l'émotion qui a animé un créateur pour réaliser une robe, un meuble, de la musique. le récit déborde alors d'émotions et de sensations.



L'histoire de ce docteur est bien connue et le lecteur peut retrouver dans cette adaptation les principales interprétations comme l'incarnation de la désinhibition de l'individu laissant libre cours à ses bas instincts, comme le sadisme, l'absence d'empathie, le refus de toute limite, de toute contrainte, la schizophrénie, la dépendance. Il retrouve également un récit éminemment moral, avec des caractéristiques manichéennes : au fur et à mesure qu'il cède à ses pulsions, l'apparence d'Edward Hyde devient plus bestiale, plus monstrueuse, plus laide. le mode de dessin atténue un peu cette dernière caractéristique car les personnages ne correspondent pas aux canons de la beauté, même la séductrice Frau Elda. Les représentations de l'être humain comportent des traces de formes géométriques, sans aller jusqu'au cubisme, et de surréalisme qui déforment discrètement les visages et les silhouettes. Les silhouettes peuvent devenir des formes ondulantes pour accompagner la grâce de la séduction, ou la vivacité d'une attaque physique. Les proportions du corps humains peuvent se trouver altérées, une tête avec une dimension exagérée et de petites mains, pour attirer l'attention sur un individu tout entier dans sa façon de voir les choses, et pas dans l'action ou la réalisation. Les perspectives sont faussées par moment pour attirer l'attention sur l'état d'esprit du personnage qui déforme sa perception de la réalité, qui voit son environnement au travers de ses émotions, et plus au travers d'une analyse rationnelle.



Dans cette adaptation, Edward Jekyll vole la vedette de chaque scène par sa silhouette fluide, ses expressions agressives, fourbes, sadiques, de jouissance, la noirceur de sa veste et de son pantalon qui semble ne laisser filtrer aucune émotion, et son visage blanc qui semble les absorber toutes. En l'observant, le lecteur voit un individu animé d'uniquement deux objectifs : satisfaire ses pulsions, et survivre. Il n'y a pas de plaisir dans son comportement, pas de tranquillité, ni même de réelle satisfaction si ce n'est dans l'instant quand il peut totalement se laisser aller à une pulsion. Par exemple, quand il frappe sans relâche la jeune fille allant chercher un docteur pour son père, quand il peut boire sans modération, danser sans retenue, se livrer à des pratiques sexuelles sadiques, frapper un infirme, tuer un chien, se jeter sur une femme pour une relation allant vers la dévoration, etc. C'est un individu qui est tout entier dans l'instant présent, son instinct lui permettant de fuir à temps, sans aucune velléité de construire, de se projeter dans l'avenir proche ou à plus long terme, dépourvu de toute forme d'empathie à l'exception de la perception du désir sexuel, et de la souffrance d'autrui. Jekyll commente que Hyde buvait, avec une avidité bestiale, à la souffrance des autres. Ses actes sont condamnés par la morale de la société dans laquelle il vit, ce qui apparaît dans les réactions des personnes qui le croisent, et dans les commentaires de Harry Jekyll très conscient de des crimes que commet son alter ego, et ni la satisfaction, ni la satiété ne lui sont accessibles.



L'auteur avec son coscénariste se livre à un véritable travail d'adaptation, aménageant quelques scènes, supprimant quelques personnages et intégrant d'autres non présents dans le roman. La narration graphique de l'artiste reste dans un registre expressionniste, adapté à la bande dessinée, au travers des formes et surtout de l'usage des couleurs. le récit reste ancré dans une forme moraliste, tout en exprimant les différentes interprétations possibles : sociale ou psychanalytique. L'hypocrisie sociale de la société victorienne, le dédoublement de la personnalité, les phases d'euphorie et d'abattement d'un toxicomane, l'absence de retenue ou de maîtrise de ses émotions qui ne sont plus que des pulsions.
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Paroles sans papiers

Neuf témoignages d'immigrés sans-papiers, illustrés par autant d'auteurs-dessinateurs différents. Quelques paroles, pas forcément tout un parcours. Ils sont venus de Tchétchénie, du Sénégal, du Congo, du Maroc, du Brésil, d'Algérie... pour fuir une guerre ou la misère. Ils étaient confiants : l'avenir dans un pays riche et démocratique serait forcément meilleur. La plupart ont voyagé clandestinement. Certains ont été refoulés violemment aux portes de l'Europe, d'autres ont dû se cacher une fois arrivés en France, l'une est devenue prostituée, l'autre esclave chez des membres de sa famille...



Très bel album, poignant sans jamais tomber dans le mélo. Des paroles qui semblent recueillies telles quelles, des adaptations en images très réussies. La postface est particulièrement intéressante pour situer le contexte politique, la législation et les événements des vingt dernières années. Et rappeler aussi quelques principes économiques : l'immigration n'appauvrit pas un pays, ne prive pas d'emploi les "de souche" (après combien de générations sur un territoire est-on "de souche" ?). Elle est au contraire un facteur d'essor économique et culturel.



Une BD importante et instructive sur un thème d'actualité.



--- Les différentes approches des illustrateurs donnent envie de les découvrir davantage via d'autres albums.
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Les Aventures de Huckleberry Finn : d'après l..

C'est une réédition d'une BD de 1978 avec mise en couleurs. Donc on découvre les débuts de Mattotti, son style n'est pas encore affirmé, l'influence du surréalisme n'est pas encore là. et pourtant c'est déjà de très belle qualité. L'histoire, c'est une adaptation du roman de Mark Twain : Huckleberry Finn fuit son père et part le long de la rivière avec un esclave noir évadé.

On pourrait juste reprocher que certains personnages se confondent parfois. Mais le coup de pinceau de Mattotti est vif, plein d'énergie et de vie, les représentations des paysages, de la ville sont superbes, le travail de la couleur apporte une lumière et une dynamique assez remarquable. Tout cela donne une dimension épique d'un road movie, un voyage initiatique et chaque vignette est une œuvre en soi... Une très belle BD...
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Dr Jekyll et Mister Hyde (BD)

Mais la tentation était telle qu'elle finit par vaincre toute crainte.

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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s'agit d'une adaptation en bande dessinée du roman L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886), Robert Louis Stevenson (1850-1894), réalisée par Lorenzo Mattotti, dessins et couleurs, avec l'aide de Jerry Kramsky pour le scénario. Elle comporte soixante-deux pages de BD. L'ouvrage commence par la dédicace de l'artiste à Alberto Breccia (1919-1993). Il se termine avec une postface illustrée, de six pages, écrites par Michel Archimbaud, et cinq pages d'esquisses.



L’ombre déformée et agrandie d’Edward Hyde se projette sur les murs des rues, alors qu’il court dans la nuit. Dans le même temps, Harry Jekyll se dit qu’il ne ressent qu’horreur, horreur pour ce terrible lien, avec cette espèce d’animal. Il les perdra. Ils sont pareils à des bêtes féroces, dans des labyrinthes toujours plus vastes. Alors que Hyde marche d’un bon pas avec sa canne, une jeune femme marche vivement sur le trottoir perpendiculaire, des pas innocents dans le brouillard, un corps plein d’énergie vitale dans un guet-apens. Elle arrive au coin et le corps massif de Hyde lui barre le chemin. Elle lui demande de la laisser passer, car son père ne va pas bien et elle doit aller chercher le docteur. L’autre en profite, voyant qu’on l’a envoyée toute seule. Il la saisit par les cheveux, et commence à lui asséner des coups avec sa canne, puis il la piétine. Des passants voient la scène et le reconnaissent pour un monstre. Hyde prend la fuite, pendant les gens entourent la jeune fille à terre, atterrés par ses blessures, faisant appeler un docteur. Enfin Hyde rejoint la demeure de Jekyll et il s’enferme dans son laboratoire, mais les bruits ont été entendus par Poole, le majordome de Jekyll. Il appelle le notaire Gabriel John Utterson en lui demandant de venir.



C’était un soir glacial et venteux de mars, avec un maigre croissant de Lune couché sur le dos, comme renversé par le vent dans une fuite de nuages effilochés et diaphanes. Utterson ne se rappelait pas avoir jamais vu ce quartier de la ville aussi désert. Mais à cet instant, il eut désiré le contraire. Jamais dans sa vie, il n’avait ressenti un aussi profond besoin de ses semblables, de les avoir visibles et tangibles autour de lui, car malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à se débarrasser d’un accablant pressentiment de malheur. Le notaire arrive au domicile de Harry Jekyll et frappe à la porte. Poole lui ouvre et lui explique qu’il y a quelque chose qui ne va pas, qui ne tourne pas rond. Il pense qu’il y a eu un meurtre. Il prend le manteau d’Utterson et il le prie de le suivre. Ils sortent dans la cour et se rendent au bâtiment abritant le laboratoire du docteur. Poole frappe à la porte annonçant le notaire, et une voix à l’intérieur crie qu’il ne veut voir personne. Utterson trouve la voix du docteur changée. Poole renchérit qu’elle est plus que changée, qu’il n’a pas passé vingt ans dans cette maison pour ne pas savoir la reconnaître, et ce n’est pas celle de son maître. De même il lui demande d’écouter les pas qui se font entendre, et ce ne sont pas ceux de son maître. Utterson en convient : ils sont étrangement agiles et légers. La conclusion s’impose : monsieur Hyde fréquente encore cette maison.



Plusieurs choses ont pu attirer le lecteur : le plaisir de découvrir ce roman classique sous la forme d’une bande dessinée, ou le plaisir de découvrir une interprétation visuelle d’une histoire qui lui tient à cœur s’il la connaît déjà, ou encore un amour de la narration visuelle de l’artiste. Celui-ci a marqué le monde la bande dessinée, avec des ouvrages comme Feux (1984) ou Murmure (1989), le second réalisé avec Jerry Kramsky (nom de plume de Fabrizio Ostani). Il a donc choisi d’adapter un célèbre roman avec l’aide d’un coscénariste. En fonction de sa familiarité avec l’œuvre originale, le lecteur peut déceler quelques différences. Le début commence avec Hyde, et non pas avec Utterson et Richard Enfield, suivi par un retour en arrière. Les auteurs rendent plus explicites les relations de Hyde avec les femmes, avec la mise en scène de plusieurs dont Frau Elda, et quelques prostituées. Il y a donc bien adaptation, et le résultat relève de la bande dessinée, et non pas du texte illustré, même s’ils ont conservé une partie du flux de pensée de Jekyll, dans des cartouches apposés dans certaines cases.



Dès la première page, le lecteur retrouve l’usage de couleurs vives par l’artiste, sa marque de fabrique depuis Feux. L’ombre de Hyde, d’un noir dense, est d’autant plus monstrueuse qu’elle contraste fortement avec un rouge intense ou un orange soutenu. Ces teintes vives peuvent se comprendre comme l’expression des émotions qui animent les individus vivant dans la cité, et les plus vives peuvent aussi s’envisager comme étant les émotions paroxystiques bouillonnant au sein d’Edward Hyde, des pulsions d’une force indicible, sans aucune retenue, nullement sublimées, animales. Il se souvient de la déclaration d’intention et du credo de l’artiste exprimé par le personnage d’Absinthe dans Feux. Les couleurs sont autant de feux dans le noir qui échauffent l’esprit, et cette nuit-là il passe de l’autre côté, dans une région où les choses sont comme on les sent. Absinthe avait tué pour défendre ses émotions et il était incapable de distinguer la raison de l’instinct. La nouvelle façon de voir les choses par Absinthe va provoquer la ruine de ses coéquipiers, et les couleurs le brûlent toujours plus. Dans cette adaptation, les couleurs remplissent la même fonction : elles constituent les signes des émotions, de ces forces de vie qui animent littéralement l’être humain. Le lecteur peut voir les couleurs les plus vives comme le reflet de l’intensité terrible des émotions de Hyde. Il peut voir les couleurs un peu moins soutenues comme l’expression des émotions des autres personnages, la façon dont ils projettent leur ressenti sur ce qui les entourent, mais aussi l’émotion qui a animé un créateur pour réaliser une robe, un meuble, de la musique. Le récit déborde alors d’émotions et de sensations.



L’histoire de ce docteur est bien connue et le lecteur peut retrouver dans cette adaptation les principales interprétations comme l’incarnation de la désinhibition de l’individu laissant libre cours à ses bas instincts, comme le sadisme, l’absence d’empathie, le refus de toute limite, de toute contrainte, la schizophrénie, la dépendance. Il retrouve également un récit éminemment moral, avec des caractéristiques manichéennes : au fur et à mesure qu’il cède à ses pulsions, l’apparence d’Edward Hyde devient plus bestiale, plus monstrueuse, plus laide. Le mode de dessin atténue un peu cette dernière caractéristique car les personnages ne correspondent pas aux canons de la beauté, même la séductrice Frau Elda. Les représentations de l’être humain comportent des traces de formes géométriques, sans aller jusqu’au cubisme, et de surréalisme qui déforment discrètement les visages et les silhouettes. Les silhouettes peuvent devenir des formes ondulantes pour accompagner la grâce de la séduction, ou la vivacité d’une attaque physique. Les proportions du corps humains peuvent se trouver altérées, une tête avec une dimension exagérée et de petites mains, pour attirer l’attention sur un individu tout entier dans sa façon de voir les choses, et pas dans l’action ou la réalisation. Les perspectives sont faussées par moment pour attirer l’attention sur l’état d’esprit du personnage qui déforme sa perception de la réalité, qui voit son environnement au travers de ses émotions, et plus au travers d’une analyse rationnelle.



Dans cette adaptation, Edward Jekyll vole la vedette de chaque scène par sa silhouette fluide, ses expressions agressives, fourbes, sadiques, de jouissance, la noirceur de sa veste et de son pantalon qui semble ne laisser filtrer aucune émotion, et son visage blanc qui semble les absorber toutes. En l’observant, le lecteur voit un individu animé d’uniquement deux objectifs : satisfaire ses pulsions, et survivre. Il n’y a pas de plaisir dans son comportement, pas de tranquillité, ni même de réelle satisfaction si ce n’est dans l’instant quand il peut totalement se laisser aller à une pulsion. Par exemple, quand il frappe sans relâche la jeune fille allant chercher un docteur pour son père, quand il peut boire sans modération, danser sans retenue, se livrer à des pratiques sexuelles sadiques, frapper un infirme, tuer un chien, se jeter sur une femme pour une relation allant vers la dévoration, etc. C’est un individu qui est tout entier dans l’instant présent, son instinct lui permettant de fuir à temps, sans aucune velléité de construire, de se projeter dans l’avenir proche ou à plus long terme, dépourvu de toute forme d’empathie à l’exception de la perception du désir sexuel, et de la souffrance d’autrui. Jekyll commente que Hyde buvait, avec une avidité bestiale, à la souffrance des autres. Ses actes sont condamnés par la morale de la société dans laquelle il vit, ce qui apparaît dans les réactions des personnes qui le croisent, et dans les commentaires de Harry Jekyll très conscient de des crimes que commet son alter ego, et ni la satisfaction, ni la satiété ne lui sont accessibles.



L’auteur avec son coscénariste se livre à un véritable travail d’adaptation, aménageant quelques scènes, supprimant quelques personnages et intégrant d’autres non présents dans le roman. La narration graphique de l’artiste reste dans un registre expressionniste, adapté à la bande dessinée, au travers des formes et surtout de l’usage des couleurs. Le récit reste ancré dans une forme moraliste, tout en exprimant les différentes interprétations possibles : sociale ou psychanalytique. L’hypocrisie sociale de la société victorienne, le dédoublement de la personnalité, les phases d’euphorie et d’abattement d’un toxicomane, l’absence de retenue ou de maîtrise de ses émotions qui ne sont plus que des pulsions.
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Guirlanda

C'est un très gros livre de plus de 400 pages, une longue fable, une longue errance, dans un univers onirique, fantasmagorique. Hippolyte est un Guir, et devra sauver le destin des siens. Les dessins sont réalisés uniquement à la plume, en noir et blanc. On navigue dans un monde imaginaire aux êtres étranges et fantastiques, tel les bestiaires inventés par les artistes surréalistes, dans des paysages aux formes rondes et molles. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à “Ailleurs” d'Henri Michaux. Les références aux artistes de ce courant sont d'ailleurs évidentes, Giorgio de Chirico*, André Masson, Yves Tanguy, Max Ernst, Salvador Dali... C'est poétique, magique, fantastique, plein de sagesse, de rêveries. Chaque illustration est un univers onirique à elle seule. On voyage au gré des vents, de l'eau, que le trait à la plume met en évidence, c'est aérien, liquide, on est shooté aux effluves de son encre. Magnifique et magique et on ressort de cette aventure complètement enivré, on plane réellement. Guirlanda, la plus douce des drogues...



* De Chirico est présent dans à peu près toute l'œuvre de Mattotti
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Guirlanda

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, dont la première édition date de 2016. Elle a été réalisée par Lorenzo Mattotti pour les dessins à la plume, Mattotti et Jerry Kramsky pour le scénario, et Kramsky pour le texte. Avant la page de titre, le lecteur découvre 10 dessins en pleine page dont rien n'indique s'ils font partie de l'histoire. Après les 372 pages de bande dessinée, il découvre 4 autres dessins en pleine page dont il sait après la lecture qu'il s'agit de dessins réalisés à l'occasion de cette histoire, mais n'entrant pas dans sa narration.



Un guir présente son peuple : des êtres pacifiques qui aiment contempler, avec l'étonnement d'éternels enfants, les magies de leur territoire. Les guirs sont endormis et ils rêvent tous le même rêve qui finit par s'envoler par-dessus les différents paysages comme des monts, un marais et des volcans d'herbe. La même nuit, le tricorne à longue cape fait ses adieux à tous les paysages qu'il avait survolés. En bordure de l'iris de son œil droit, on distingue un arbre dénudé sur lequel une sorte d'oiseau vient se poser. Cela réveille l'arbre qui marche qui finit rongé par les créatures du fleuve. La branche qui faisait office de tête pour l'arbre qui marche se détache de son corps et est emportée par le courant. Elle passe devant un singe de la pluie en train de compter les gouttes pour savoir si son futur sera pair ou impair. La créature sur sa tête tenant le parapluie en papier tombe en arrière et est emporté par le vent, tenant toujours le parapluie. Il finit par être avalé tout cru par un oiseau. Le parapluie en papier arrive entre les mains d'Hyppolite. Ce dernier est le fils de Zachary, le chaman du village. Hyppolite a passé une nuit sans dormir, et donc sans rêver car ça fait sept jours qu'il est sans nouvelle de sa femme Cochenille.



Hyppolite considère le parapluie en papier d'un air songeur, sans savoir s'il s'agit d'un bon ou d'un mauvais présage. Deux autres guirs passent non loin de là et le mâle lui adresse des paroles réconfortantes concernant Cochenille. Ils lui indiquent également qu'ils se rendent à la crevasse, car Zachary a dit qu'aujourd'hui les esprits des fumées apparaîtront, leur montreront leur futur. Alors qu'il songe à y aller, il se rend compte qu'il s'était assis sur un œuf de zirbec, qu'il l'a couvé et que celui-ci se fendille. Il essaye d'attraper le zirbec qui en sort, mais celui-ci se jette à l'eau avant. Hyppolite a trébuché sur une branche d'arbre, et il la jette à l'eau. Au loin, il voit passer l'oiseau du destin. Il se retourne et constate que les fumées s'élèvent déjà : il se met à courir pour ne pas être en retard pour les apparitions. Il s'installe et les fumées se mettent à monter prenant des formes à moitié découpées, évoquant des créatures à demi reconnaissables, les branches d'un arbuste très dense, sur lesquelles apparaissent ensuite des feuilles, une nuée de poissons générés par l'explosion de l'arbrisseau, un tourbillon qui se transforme en fleur qui évoque vaguement un crustacé, etc.



S'il a fait connaissance de ce créateur avec ses bandes dessinées en couleurs, le lecteur peut se demander si le plaisir visuel sera bien au rendez-vous avec uniquement des dessins en noir & blanc réalisés à la plume. Il commence par découvrir les 10 dessins en pleine page : des esquisses naïves un peu griffées, présentant des personnages arrondis dans des paysages naturels, des situations compréhensibles mais ne racontant pas une histoire. Il se retrouve en terrain plus familier avec le début de l'histoire : un personnage arrondi, nu mais aux attributs sexuels presque effacés (donc quasiment innocent), lève un rideau sur un paysage nocturne, une plaine vallonnée avec des guirs (ces individus anthropoïdes avec des soies au niveau du menton, pas de cheveux, pas de poils) allongés endormis, et le vent qui souffle. Ils sont donc tous en train d'effectuer le même rêve et le vent l'emporte littéralement avec des fleurs allongées. Le lecteur est vite emporté dans cet ailleurs quasiment dépourvu de constructions humaines ou autre, pas loin d'être un paradis originel dans lequel la nature subvient aux besoins de ses habitants. Il découvre avec plaisir cette plaine vallonnée, ces montagnes en pain de sucre bien arrondies au sommet, cette rivière qui s'écoule tranquillement, cette gorge le long de laquelle Hyppolite et son compagnon de route glisse comme sur un toboggan, une chute d'eau majestueuse, des cavernes spacieuses, etc. La végétation est tout aussi accueillante et agréable : par exemple un énorme nénuphar dont la fleur s'ouvre pour former un lit agréable, des arbres aux formes arrondis offrant une ombre délassante, d'immenses herbes le long du fleuve faisant comme un rideau protégeant les voyageurs sur le nénuphar géant. Ces paysages constituent autant de lieux à habiter ou à traverser, rendus agréables à l'œil par leurs rondeurs, inoffensifs car faciles à appréhender.



Les guirs sont immédiatement sympathiques : avec ces contours arrondis aussi, et des expressions de visage ouvertes, souvent souriante. Il n'y que lorsqu'ils sont manipulés par Lent des Pince qu'il sont moins avenants, et encore : même quand ils ont un comportement agressif leur visage semble exprimer un doute, comme s'ils n'étaient pas convaincus de leurs actions. Il n'y a pas que des guirs : Lorenzo Mattotti crée également d'étranges animaux qui ont quasiment tous le don de la parole, un singe de la pluie avec un visage humain, le zirbec quadrupède allongé avec un poil hérissé et une sorte de bec, Museau Fripé une sorte de loutre avec une queue très touffue, l'oiseau du destin volatile de grande envergure avec des ailes ovales, Lents des Pinces croisement entre une limace et un trilobite, une centaure à la poitrine tombante, des baleines d'air en pleine migration, un escargot géant qui vogue sur l'eau, etc. L'imagination visuelle de l'artiste ne connaît pas de limite et peuple ce monde de créatures à demi familières, aux formes fantasmagoriques. Leur apparence ne les rend pas inquiétantes, à part une ou deux le temps de quelques cases. Lents de Pinces se montre menaçant par ses propos inquiétants et belliqueux. Le personnage qui évoque une méchante reine se montre méchant en mangeant un compagnon de route d'Hyppolite et en lui promettant un sort pire encore.



Le lecteur se rend compte qu'il saisit rapidement la nature de l'intrigue : Hyppolite souhaite savoir ce qu'il est advenu de son épouse, mais pour la rejoindre, il transgresse un interdit sans faire exprès ce qui a pour conséquence l'anéantissement de la moitié de son peuple et il doit accomplir une quête pour s'amender. Pendant ce temps-là, Cochenille, Albine et Zachary ne reste pas inactifs. Certes cette histoire est tout public, mais son ampleur et son mode narratif ne les rendent pas forcément accessibles aux plus jeunes. Dès la page 18, les auteurs mettent en œuvre une association ou un rapprochement d'images pour un effet onirique : un travelling avant se rapprochant de l'œil d'un oiseau majestueux (le tricorne à longue cape) jusqu'à ce que son iris donne l'impression qu'un arbre nu soit planté à sa surface. Un oiseau vient l'y chercher, l'arbre se révèle être la tête d'une créature anthropoïde et le devenir de cette branche/tête finit par ramener le récit à Hyppolite, par association d'événements arbitraires, mais dont la succession présente une cohérence narrative. Dans la séquence des fumées (pages 38 à 50), les guirs et le lecteur assistent à une succession de transformations de formes proches les unes des autres, la trame narrative reposant sur ces rapprochements entre formes fantasmagoriques. À plusieurs reprises, la narration repose entièrement sur ces évolutions visuelles dans des pages dépourvues de mots, laissant le lecteur établir un lien de cause à effet, ou identifier des schémas logiques. Cela produit un glissement visuel de la narration, navigant entre le descriptif, le conceptuel, le métaphorique et l'abstrait. Le lecteur reconnait bien là un effet habituel des bandes dessinées de Mattotti : des cases qui extraites de la page sont un dessin abstrait sans rien de reconnaissable, et qui ne prennent sens qu'en les considérant avec les images précédentes et suivantes, dans la succession de cases.



Le lecteur se laisse donc porter par ces aventures étonnantes, empreintes de naïveté, mais pas exemptes de drames. Il se produit de nombreuses morts, une séparation d'Hyppolite d'avec sa femme et sa fille, des ruptures de tabous culturels et sociaux, des comportements cruels. Il est question de manipulation de foules, de colère arbitraire, d'exil, de descente dans le royaume des morts. Cette dernière péripétie allie un travail de deuil sous un angle léger, avec une représentation naïve du monde des morts, sans aucune dimension religieuse. Le lecteur y retrouve la touche d'onirisme présente dans les 14 pages (p. 37 à 50) de visions des esprits des fumées, celles vues par Hyppolite (pages 124 à 127). Il est épaté par l'inventivité visuelle, par le jeu de développer une forme pour la transformer en autre chose : des traces de sang qui deviennent les rides faites dans l'eau au passage du nid flottant de Cochenille et Albine (p. 218), les troncs d'arbres d'une forêt dense qui deviennent les barreaux de la cage d'Hyppolite (p. 230), et tant d'autres. Pour autant Mattotti met en œuvre une composition de page très régulière sur la trame de quatre cases de la même taille par page, disposées en deux bandes de deux cases. En fonction de la scène, il peut regrouper les 2 cases du haut en 1 seule, ou les 2 du bas en 1, ou les 2 à la fois. Les envolées au fil de l'imagination se déroulent donc dans un cadre rigoureux qui n'obère en rien l'imagination. S'il dispose des références citées dans la dédicace d'ouverture, le lecteur reconnaît effectivement l'inspiration tutélaire de la Finlandaise suédophone Tove Jansson (1914-2001) et de sa création les Moomin / Moumines (1945-1970, une famille de gentils trolls ressemblant à des hippopotames), celle de Moebius (Jean Giraud, 938-2012) pour des mondes extraordinaires, et la liberté de Fred (1931-2013, l'auteur de la série Philémon).



Dans le même temps, ces aventures légères, imaginaires et pleines d'entrain trouvent leurs racines dans un monde très concret. Le lecteur en prend conscience au détour d'un page ou d'une réflexion. Il peut s'en rendre compte en contemplant 4 cases de la largeur de la page (pages 268 & 269) en constatant qu'il vient de voir passer les quatre saisons. Il peut reconnaître des propos beaucoup trop familiers et populistes dans le discours de Lent des Pinces, incitant à la suspicion et à la violence contre un ennemi qu'il pointe du doigt. Il remarque aussi que le récit peut passer de l'absurde ou du surréaliste (compter les gouttes de pluie pour savoir si le futur sera pair ou impair, Zacharie qui interprète des fumées qu'il n'a pas vues), à des petites phrases relevant du bon sens ou d'une prise de recul sur les événements. Quelques exemples de ces dernières. De temps en temps, on se souvient que j'existe. Le voyage va être long, profite du paysage. Quand le monde s'anime il nous suffit de garder l'esprit solide. Ne choisis pas ton chemin, suis-le !



En découvrant cette nouvelle œuvre de Lorenzo Mattotti et Jerry Kramsky, le lecteur se retrouve déconcerté : ce n'est pas une bande dessinée en couleurs, les dessins semblent tout public, mais le format (couverture en carton gris, forte pagination) semble plutôt à destination des adultes. L'histoire met en scène des personnages naïfs, et certaines péripéties arrivent au gré de la fantaisie de l'artiste par association de formes dessinées. Les textes sont concis, formulés dans un langage simple et poétique, mais porteurs de notions adultes. En interview, le dessinateur a expliqué qu'il s'agit d'une œuvre réalisée sur plusieurs années, avec effectivement une inspiration portée pour partie par l'association d'idées entre des formes visuelles proches. Le tout se lit comme un conte, léger, très agréable, nourri par une inventivité sans entrave, ce qui en fait une œuvre très originale et riche, libérée de tout formatage mercantile, une œuvre d'auteurs.
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Dr Jekyll et Mister Hyde (BD)

Je viens de lire "l'étrange cas du Docteur Jekyll et Mister Hyde" de Robert Louis Stevenson paru en 1886. Ses nombreuses adaptations en font un incontournable du roman fantastique.

En 2002, c'est au tour des italiens Lorenzo Mattotti et Jerry Kramsky de proposer un « Docteur Jekyll & Mister Hyde", une bande dessinée librement adaptée de l'oeuvre originale.

L'histoire est connue : deux êtres s'affrontent à Londres, le docteur Jekyll, le bon, et Mister Hyde, l'incarnation du mal, sous une forme d'allégorie de l'âme humaine écartelée entre la morale et le désir.

Mais cette libre adaptation ne reprend pas la construction de Stevenson, basée sur le suspense.

On sait tout de suite que Hyde et la face noire de Jekyll. Dans la version originale la débauche de Hyde est évoquée sans qu'aucune figure féminine ne soit présente. le parti pris des auteurs de cette bande dessinée est d'introduire de nombreux personnages féminins parfois également maléfiques et qui poussent Hyde à aller jusqu'au meurtre.

Bref, c'est un peu décevant même si l'ambiguïté du Docteur Jekyll est assez bien rendue.

Ce qui est à retenir c'est l'originalité des dessins, sombres et surprenants, qui s'accordent avec l'atmosphère.



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Feux

Il s'agit d'un récit complet en 1 tome, indépendant de tout autre, décomposé en 6 chapitres. Il est paru pour la première fois en 1984. Il a entièrement été réalisé par Lorenzo Mattotti, un artiste italien.



L'état de Sillantoe est composé d'un archipel d'îles. Il a dépêché un navire militaire (l'Anselme) pour aller enquêter sur les phénomènes inquiétants se déroulant sur l'île de sainte Agathe. Le lieutenant Absinthe fait partie du premier groupe à débarquer pour une mission de reconnaissance. La nuit précédant l'expédition, il fait des rêves étranges où apparaît le symbole du feu. Lors de l'exploration il tombe nez à nez avec une étrange créature indigène. De retour sur le navire, il n'en dit mot à son supérieur. En son for intérieur, il ressent comme un attachement pour cette île.



Il est un petit peu intimidant d'ouvrir "Feux" qui a connu un écho retentissant lors de sa sortie, qui est classé parmi les chefs d'œuvre du neuvième art, qui a donné naissance au courant baptisé "bande dessinée picturale". Le lecteur se demande s'il va bien tout comprendre, sans même aller jusqu'à identifier les éléments narratifs novateurs.



L'intrigue s'avère très linéaire et simple. Le lieutenant Absinthe est en quelque sorte contaminé par quelque chose qui se trouve sur l'île. Son point de vue sur la nature de l'île s'en trouve radicalement modifié, ce qui l'oblige à appréhender autrement la mission de l'équipage, et à prendre parti pour l'île. De ce point de vue, il n'y a rien de très compliqué.



Les années ayant passé depuis 1984, la découverte des planches de Mattotti n''est pas traumatisante. Les lecteurs ont intégré dans leur esprit, que l'approche picturale dans la bande dessinée n'est pas unique, que certains artistes disposent d'une culture en peinture qu'ils sont en mesure de mettre au service de leur récit.



Les planches de "Feux" n'en restent pas moins saisissantes. Le temps n'a pas diminué la force de leur impact. D'un point de vue formel, Mattotti se plie à la composition de planche découpée en cases, en moyenne 6 par page, avec quelques dessins pleine page, essentiellement en tête de chapitre. Les images qu'il créée évoquent les peintres illustres de la fin du dix-neuvième siècle et du début du vingtième (par exemple Cézanne, Van Gogh, Picasso période Demoiselles d'Avignon, Edward Hopper). Certaines cases empruntent également des idées de compositions à Roy Lichtenstein, en particulier la façon de représenter les canons comme des objets géométriques, détachés de leur support.



Certaines cases prises hors de la trame narrative s'apparentent à une image abstraite, dont le sens ne peut se déduire qu'à partir des cases qui la jouxtent, pour identifier à quel élément figuratif cette composition géométrique appartient. Il ne s'agit cependant pas d'un exercice de style qui viserait à contraindre la peinture académique au cadre de la bande dessinée. Il s'agit bel et bien de raconter une histoire en exprimant au mieux les sentiments, les sensations et la vie intérieure du personnage par des images, le choix du mode de représentation étant asservie au récit.



Dans un entretien avec Jean-Christophe Ogier, Mattotti a dit de manière explicite que chaque case a été pensée, conceptualisée pour apporter quelque chose au récit. Ce besoin d'explication en dit long sur les réactions qu'a dû susciter l'ouvrage à sa sortie, tellement il sortait des normes de l'époque. Il explique également qu'il a écrit les textes après avoir conçu la bande dessinée. Là aussi, Mattotti utilise le langage pour servir son histoire. Il respecte syntaxe et grammaire. Il utilise des phylactères pour le dialogue, et il développe le flux de pensées intérieur du lieutenant Absinthe, créant ainsi une forme de poésie dans la façon d'appréhender les événements. Même dans la forme des phylactères, Mattotti insère du signifiant. Il a choisi des contours de phylactère en forme de polygones irréguliers, plutôt que les traditionnelles ellipses. Cet aspect induit une forme d'agressivité due aux angles, ce qui teinte les propos eux-mêmes parfois de brutalité, d'autre fois d'hésitation du fait de ce contour irrégulier.



Au-delà des références artistiques, la grande innovation de Lorenzo Mattotti est de donner une importance prépondérante aux couleurs, comme expressions des sensations et des sentiments. Les couleurs ne sont pas cantonnées au rôle reproduire la teinte réelle des éléments dessinés. Elles deviennent expressionnistes. Dans certaines pages elles prennent la première place, reléguant les contours des formes au second plan.



Les modalités picturales de narration confèrent un impact émotionnel inoubliable au récit, jusqu'à presqu'en faire oublier les péripéties et le thème. L'intrigue est donc très linéaire et très simple, avec ce lieutenant qui change de point de vue suite à une rencontre et qui assiste au conflit entre 2 parties (les militaires contre l'île) qui ne s'entendent pas. D'un côté l'armée est venue avec pour mission de civiliser les lieux ; de l'autre la force vitale de l'île ne se laisse pas dompter.



Toutefois, la formulation des réflexions issues du flux de pensée intérieure d'Absinthe ouvre la possibilité à une interprétation moins littérale des événements. Ces phrases indiquent que "les feux s'agitaient dans le noir et lui échauffent l'esprit". Absinthe écrit que " Cette nuit là, j'étais passé de l'autre côté… dans une région où les choses sont comme on les sent.". Plus loin, les soldats essayent de le ramener au monde normal, c'est-à-dire sur le navire. Absinthe est passé par une initiation qui a provoqué en lui une transformation, ou tout du moins un éveil, qui a changé sa façon de voir le monde.



Plus loin, il est dit qu'il avait tué pour défendre ses émotions et qu'il était incapable de distinguer la raison de l'instinct. Mais ces phrases ne permettent pas de déterminer la nature de ce changement, ou ce que ce nouveau point de vue lui permet de voir. Il faut alors que le lecteur lui-même considère autrement certains passages. Absinthe écrit encore : "Je ne t'envoie pas des mots, mais des signes. Observe les pendant que moi je les touche.". Il évoque également qu'il éprouve "de l'amour peut-être pour ces couleurs que je ne voyais plus depuis si longtemps".



Mises dans la perspective du caractère novateur de "Feux", ces 2 réflexions semblent s'appliquer à Lorenzo Mattoti lui-même, créant une bande dessinée se nourrissant de l'amour qu'il porte pour les couleurs, charge au lecteur d'interpréter ces signes de couleurs. À la lumière de ce rapprochement, cette œuvre peut être considérée à la fois comme la métaphore de l'initiation d'un individu à une idée, un point de vue, un mode de vie, une culture différente, et comme l'allégorie de la création d'une forme de bande dessinée rejetant les conventions établies qui veulent que le trait du contour asservisse les couleurs de la forme.



Cette interprétation semble validée par les dernières phrases du récit : "Je ne veux plus ces feux qui éclaircissent la nuit. Dans ma tête, je veux le jour.". Pour Mattotti, il n'y a pas de retour en arrière possible : Absinthe et sa nouvelle façon de voir les choses vont provoquer la ruine de ses coéquipiers. " Ces couleurs le brûlaient, toujours plus." : il est impossible d'oublier cette façon de voir. Les étranges personnages vus par Absinthe sur l'île sainte Agathe sont autant des muses que des divinités incarnant le destin : il est impossible de s'y soustraire. C'est une vraie profession de foi de l'artiste.
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Dr Jekyll et Mister Hyde (BD)

Les ressorts du duel entre le lisse Dr. Jekyll et le démoniaque Mr. Hyde sont connus de tous, mais bien peu ont lu l’œuvre de Stevenson. Je fais partie de ceux qui connaissent ce classique sans l’avoir jamais ouvert. Mais je ne suis laissée dire que cette adaptation de Lorenzo Mattotti et Jerry Kramsky est extrêmement fidèle au roman de Stevenson.

Cette bande dessinée n’est certainement pas à lire pour « passer un bon moment ». En rendant visible les turpitudes de Mr. Hyde, qui vont bien plus loin que je ne pensais, jusqu’au sadisme sexuel le plus cru. Les dessins de Mattotti qui semblent prendre le style et les décors des années folles, aux couleurs crues et aux traits simples et pas tout à fait harmonieux, ne fait qu’amplifier le malaise créé par l’histoire de Stevenson, empêchant le lecteur de se cacher derrière les mots.

Je ne reviendrai pas sur le fond de l’histoire et sa morale, une note de lecture sur une adaptation en bande dessinée d’un roman ne me paraissant pas la tribune adéquate pour cela. Je dirais juste que le personnage de Mr. Hyde m’a paru encore plus noir que ce que j’avais imaginé, et que j’aurais peut-être été intéressée par explorer plus les inconvénients de la dissociation de personnalité pour le côté « gentil » (qui n’existe pas directement ici, puisque le Dr. Jekyll semble demeurer celui qu’il était avant, lisse et policé, ce qui n’est pas synonyme de gentillesse ou de bonté…). Mais dans ce roman court, c’est avant tout la bataille du moi, du surmoi et du ça avant l’heure et, j’ai beau ne pas être convaincue par les rudiments de théories freudiennes que je connais, cette exploration de ce dont tout chacun serait capable sans l’épais carcan d’éducation et de contrôle personnel ou social fait froid dans le dos.



Pour revenir à cette adaptation, je ne dirais pas que la lecture en fut agréable, mais je ne pense pas que ce soit le but. Ce fut un choc par contre, et une étrange sensation de vouloir détourner les yeux de cette noirceur étalée en couleurs vives et de rester rivée aux pages qui se tournent les unes après les autres, fascinée de voir que l’on peut toujours descendre plus bas dans les tréfonds de l’âme humaine. Le trait de Mattotti s’adapte à l’histoire qui nous est comptée, ne fait qu’un avec le propos pour en renforcer le message dans toute sa force et toute sa crudité. Une bande dessinée pour ceux qui ont le cœur bien accroché, pour ceux qui n’ont pas froid aux yeux et qui sont prêts à regarder dans les yeux le Mr Hyde qu’ils portent en eux.
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Paroles sans papiers

On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. C’est la phrase qu’on me sort à chaque fois qu’on évoque la situation de ces sans-papiers qui viennent tenter leur chance dans notre pays, patrie des droits de l’homme. Quand j’entends cette phrase, la colère me monte et d’un coup de baguette magique, je voudrais inverser les situations c'est-à-dire que ceux qui disent cela se trouvent également confrontés à la misère en échangeant leur place. Cela leur ferait les pieds !



J’ai été particulièrement sensible à tous ces témoignages. Sur la forme, je n’ai pas trop apprécié les différents dessins qui se succèdent et qui me semblent bâclés. Les situations décrites méritaient souvent un approfondissement. Cela fait un peu compilation de données. Bref, je pense qu’on aurait pu mieux faire. Cet ouvrage a néanmoins le mérite d’exister pour faire prendre conscience à l’opinion publique que les politiques pratiquées ces dernières années en matière d’immigration sont sur la mauvaise voie.



Pour en revenir à cette fameuse phrase, je pense que Michel Rocard avait trouvé une parade intéressante : oui, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais notre pays doit prendre simplement sa part pour en sauver le plus possible. C’est comme dans le film La liste de Schindler !
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Attraper la course

Saisir le mouvement, le décomposer, le pas, l'accélération, l'engagement des bras, des cuisses. La course du coureur du dimanche, celle de l'athlète qui court après le temps, qui veut franchir la ligne le premier., celle aussi du porteur de la flamme.



Attraper la course. Voilà la difficile mission confiée à Lorenzo Mattotti pour le festival d'Angoulême dans le cadre des JO à Paris. Une centaine de dessins est exposée au Musée de la ville jusqu'au 10 mars (et dans d'autres lieux après). Des petits, des grands, en couleurs ou en noir et blanc, dans une variété propre à Mattotti: crayons, pastels, aquarelles, encre...



Ce livre, catalogue d'exposition, en est le témoignage. Suite à l'avant-propos de Marguerite Demoëte, commissaire d'exposition, on bascule dans le corps en mouvement. Il y a les croquis qui témoignent de la technique, et les dessins qui mettent en scène la course, sous toutes ses formes.



A Maria Pourchet a été confiée une autre mission, celle d'écrire des textes accompagnant l'exposition. On retrouve dans ce catalogue le texte "Commes les filles" où elle met en scène deux sœurs jumelles qui courent ... et courir, c'est bien davantage que mettre un pas devant l'autre.

"Elles ne courent pas, elles s'exercent à avancer."



Ce très beau livre, grand format 24x38 cm, est à savourer avec délectation. Il est aussi la trace d'une très belle expo que j'ai eu la chance d'admirer et que je vous conseille de ne pas manquer si elle s'installe pas trop loin de chez vous.
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Rites, rivières, montagnes et châteaux

Il y a des artistes que vous découvrez jeune et qui marque votre imaginaire. Lorenzo Mattoti fait parti de ces créatifs qui ont mettent des couleurs dans vos idées. Alors quand vous êtes adultes et que vous trouvez un livre avec son nom et ces teintes chaleureuses, vous le prenez sans réfléchir. Une fois ouvert, confortablement assis chez soi, la déception est présente car il n'y a aucun texte. Pas de présentation, de préface, d'explications sur le contexte de l'ouvrage, sur la durée du travail autour des thèmes qui donnent le titre "Rites, rivières, montagnes et châteaux", ni même pourquoi ces sujets sont importants ou pas. On ne sait rien non plus sur ce qui nous est montré. Est-ce des travaux? des essais? des oeuvres finies? A quelle taille sont-elles? A quoi cela va amener? Y a t'il un lien entre chaque dessin? Sont-ils des travaux préparatoires? Le rendu des couleurs est-il fidèle? On n'en saura absolument rien du tout. C'est rare de laisser le lecteur face à juste des impressions face à des représentations. On admire les nuances et les complémentarités, la douceur et la brutalité des traits. En s'attardant sur des dessins, on voit des références à des peintres, des mouvements... On regarde des métamorphoses, des assemblages, des ruptures, des blessures... L'image fait sens. L'espoir ne semble pas présent. Une violence se dégage le plus souvent et nulle besoin de contexte pour le ressentir. On sent une confrontation entre la nature et l'humain. Au final, aucun des deux ne s'en sortira indemne. Ni même celui ou celle qui tourne les pages paisiblement. Une expérience originale qui incite à lire ou relire les bd de cet homme singulier.
Lien : https://22h05ruedesdames.com..
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Lettres d'un temps éloigné

Ce tome comprend 4 histoires indépendantes, toutes illustrées par Lorenzo Mattotti. Il est initialement paru en 2005.



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- Après le déluge (scénario de Mattoti et Giandelli, textes de Giandelli, 24 pages) - Une femme doit prendre l'avion, mais la piste d'envol est envahi de crabes rouges. Elle patiente en réfléchissant à l'opération qu'elle doit subir à son retour. Le vol est reporté au lendemain, elle sympathise avec un monsieur ayant acheté le même souvenir qu'elle pour offrir à sa femme.



Mattotti et Giandelli ont construit un récit intimiste, le lecteur ayant accès aux pensées intérieures de cette femme qui s'inquiète de son opération des ovaires, qui s'interroge sur sa relation avec son mari, et qui essaye de s'isoler du reste des passagers. Il apparaît qu'elle se trouve dans un état d'esprit entre mélancolie et déprime, appréhendant les retrouvailles avec son compagnon, affectée par la misère du monde telle qu'elle transparaît dans les journaux, éprouvant la sensation de bruits lointains évocateurs d'un monde baignant dans la haine et la destruction.



Son flux de pensée est rendu de manière très écrite, dans des paragraphes savamment composés et concis, à l'opposé d'une suite de bribes de phrases à demi-formulées. Sans l'alourdir, elles imposent un rythme posé à la lecture. Le lecteur peut ainsi saisir les nuances de l'état d'esprit de cette femme. Il a également accès à ses sensations par le biais des images. La page d'ouverture est saisissante avec cette marée de crabes rouges, à l'apparence très étrangère à l'humanité, et à la couleur plus chaude que criarde. Pourtant le lecteur constate qu'ils peuvent agir comme une métaphore de la maladie nécessitant une opération clinique, image un peu brutale mais aussi rassurante car ils s'en vont aussi complètement qu'ils sont apparus soudainement.



Mattotti n'a rien perdu de sa capacité à créer des images mémorables et singulières, don qui avait mis en émoi le monde de la bande dessinée avec la parution de [[ASIN:220303887X Feux]] en 1984. Il a recours aux techniques de l'expressionisme en déformant la réalité pour la représenter avec la subjectivité du personnage. Son état d'esprit apparaît alors de manière visuelle, permettant au lecteur de ressentir ses émotions.



Mattotti a assimilé ces techniques, les a fait sienne, en les agrémentant d'un usage très personnel de la couleur. Dans quelques cases, il n'hésite pas à déformer les représentations jusqu'à aboutir à une composition abstraite. Seule sa juxtaposition avec les autres cases dans une séquence permet au lecteur de faire le lien avec l'objet ou le lieu représenté. Il y a là un usage spécifique de la bande dessinée qui permet à l'auteur de jouer sur les 2 tableaux : une composition à la fois abstraite, et à la fois figurative grâce au contexte dans lequel elle est placée.



Grâce à cette maestria picturale, le lecteur ressent l'évolution de l'état d'esprit de cette femme initialement désemparée et déprimée, souhaitant se mettre à l'écart du monde pour s'en protéger. À l'opposé d'un exposé psychologique théorique sur les 5 étapes du changement, il partage ce processus affectif, en totale empathie avec cette femme.



Avec cette nouvelle, Mattotti et Giandelli font ressentir au lecteur l'intimité de la charge émotionnelle qui pèse sur une femme inquiète, dont le moral subit l'impact d'une difficulté médicale, ce qui colore sa vision de son environnement. Ils montrent avec une grande sensibilité et une grande habilité l'évolution de son état d'esprit au cours de ces heures passées à l'aéroport dans l'attente de la reprise du trafic aérien, du retour au quotidien normal.



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- Portrait de l'amour (scénario de Mattoti et Ambrosi, textes d'Ambrosi, 2 pages) - Un artiste peintre prend conscience qu'il n'aime plus sa femme.



Franchement, une histoire de rupture racontée en 2 pages, à raison de 4 cases par page, ça ne mène pas loin. Ça tient plus du résumé expéditif que de la narration. L'avantage, c'est que ça se relit rapidement. En outre, il est difficile de croire que Mattotti ait eu besoin de l'aide d'Ambrosi pour écrire une phrase aussi stupide que "En se déshabillant, il essaya de perdre ses pensées dans son pull".



Pourtant, ces 8 cases racontent beaucoup plus de choses qu'il n'y paraît. Mattotti et Ambrosi manient le sous-entendu avec une maîtrise impressionnante, leur permettant de s'appuyer sur des éléments implicites apportés par le lecteur. Ce dernier imagine sans peine les grands de traits de la relation entretenue par l'artiste et son modèle. Les quelques phrases suffisent à comprendre à quel stade est arrivée leur relation.



Les 8 images dessinées et mises en couleurs par Mattotti expriment beaucoup de choses de la relation entre ce peintre et la femme qu'il aime, qui lui sert de modèle. Le lecteur voit cette femme par les yeux de l'artiste. En contemplant les images, le lecteur associe l'évolution de leur relation au regard que l'artiste porte sur sa compagne, en quoi l'interprétation artistique qu'il en fait en la peignant transforme la vision qu'il en a.



En 4 pages, 8 cases et 20 phrases, les auteurs ont exposé la transformation qui accompagne le processus de création artistique, l'interprétation qu'il constitue. Ils ont donné à voir et à comprendre au lecteur l'évolution du regard que l'artiste porte sur sa compagne, et la transformation qui en découle. À nouveau les images crées par Mattotti amalgament des composantes descriptives et expressionnistes pour générer des sensations ineffables et singulières. Finalement ces 2 pages sont une leçon de concision et d'expressivité, ainsi qu'une belle analyse de l'évolution du sentiment amoureux, s'appuyant sur la nature du processus créatif.



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- Loin très loin (scénario et textes de Mattoti, 4 pages) - Un étrange paquet passe entre les mains de 4 individus pour lesquels l'expression "Loin, très loin" prend un sens aussi personnel que différent.



Chaque page se compose d'une illustration pleine page, et d'une ou deux courtes phrases en dessous. À nouveau Lorenzo Mattotti change de format pour mieux transcrire les émotions associées à sa nouvelle. Il est possible de ne lire que les phrases en bas de page, et d'avoir une idée assez juste du thème : des individus qui souhaitent être ailleurs, Mattotti effectuant une variation sur leurs mobiles qui différent.



Chaque personnage porte dans ses mains le même objet, métaphore visuelle de ce désir d'ailleurs. Le lecteur prend alors le temps de s'immerger dans l'impression que dégage chacune de ces 4 images singulières, de constater en quoi elles transcrivent l'état d'esprit de l'individu, ce qu'elles racontent par elles mêmes, en quoi les 2 phrases apportent un éclairage sur la situation, comment une même couleur met en relation 2 surfaces sans autre lien.



Après ce bref moment de communion d'un état d'esprit avec ces 4 personnages, le lecteur constate avec surprise que Mattotti a à nouveau réussi à raconter une histoire, sur le désir d'un ailleurs, au travers d'une forme des plus singulières.



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- Lettres d'un temps éloigné (scénario de Mattotti, textes d'Ambrosi et Mattotti, 21 pages) - À bord d'un train futuriste, Ambra, une descendante d'un artiste fictif (Lucio Mazzotti), lui écrit une lettre pour lui décrire son présent, ce futur dans lequel il est mort.



Avec cette histoire, le lecteur retrouve un format plus traditionnel : un personnage central, un récit linéaire reposant sur le voyage, les déplacements en train. Ambra s'adresse à son aïeul en voyageant à bord d'un train, en apportant les bandes dessinées qu'il a réalisées à sa tante. Mattotti et Ambrosi s'amusent à anticiper quelques avancées technologiques, essentiellement liées à des modes de reproduction de sensation, élargissant les possibilités pédagogiques et de stimulation des sens. Il s'agit plus d'une épure d'anticipation que d'un exercice de prédiction à court terme.



Guidé par les images et le monologue intérieur de la narratrice, le lecteur effectue lui aussi ce voyage découvrant les paysages par les images, ainsi qu'une partie de ces lectures générées par ces nouvelles technologies. Les images peuvent être descriptives (le port où accoste le bateau d'Ambra), ou abstraites. Ainsi page 49, le lecteur contemple une composition géométrique, dans la dernière case en bas à droite. Il s'agit d'un trapèze orangé en milieu de case, bordé d'une bande rouge, puis de bandes entre gris et violet. Cette composition abstraite ne prend son sens que dans le cadre de la narration, par rapport aux images précédentes. Il s'agit de la trace du train vu de dessus, à grande vitesse, l'impression qu'il laisse sur la rétine.



Ce petit décalage dans un futur proche mais étranger produit un effet de distanciation chez le lecteur qui ressent le voyage plus comme un concept ou une abstraction, les réflexions d'Ambra comme une remise en question de modes de communication qui n'ont rien d'immuable. En l'observant, le lecteur s'interroge sur ses motivations, ce qui éveille sa curiosité, ce qui fait l'intérêt de ce mode de vie nomade, sur la nature des relations qu'elle peut entretenir avec d'autres êtres humains.



Ambra ne semble pas avoir de préoccupations d'ordre matériel (souci financier ou logistique). Le lecteur se laisse alors porter par les images, retrouvant les sensations ou l'état d'esprit que génère un voyage en train, le paysage à la fois différent, bien présent, mais aussi évanescent, disparaissant au rythme de la progression du train, la rencontre avec un parent proche le temps de quelques heures, entre 2 trains.



Mattotti et Ambrosi s'amusent le temps d'une page à réaliser un facsimilé d'une bande dessinée de Lucio Mazzotti, très inspirée par Flash Gordon, semblant vouloir établir à quel point la bande dessinée a évolué, celles de Mattotti se situant plusieurs barreaux au dessus dans l'échelle de l'évolution de ce média. Ils génèrent ainsi un parallèle avec ce monde futuriste où les êtres humains ont des préoccupations plus élevées que celles de notre époque, tout en conservant les caractéristiques intangibles de la condition humaine.
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