Lorenzo Mediano : du givre sur les épaules
Un mensonge s'il est partagé par tous les membres d'une communauté, devient d'abord crédible, puis possible et enfin vérité.
Chapitre 1
Tout cela nous a montré une partie très sombre de notre vie : la haine des riches contre les pauvres et celle des pauvres contre les riches ; la haine du voisin contre le voisin ; la haine du frère contre le frère. La haine.
La majorité d’entre nous les hommes, nous travaillons pour continuer à vivre, sans très bien savoir pourquoi nous existons et nous réalisons notre tâche honnêtement mais sans trop de zèle. D’autres travaillent par ambition bien qu’ils aient suffisamment pour survivre, ils souhaitent avoir plus pour surpasser leur voisins, pour ajouter des terres à leur patrimoine, […] ils agissent comme s’ils ne devaient jamais devenir poussière. Ces hommes et ces femmes sont ceux qui construisent des usines, ceux qui bâtissent les villes, ceux qui gouvernent les États.
Cependant il existe une catégorie particulière d’hommes qui sentent au plus profond de leur coeur un irrépressible désir. Une ivresse brouille et en même temps aiguise leur entendement; une force plus puissante que les conventions sociales et que la sage prudence les entraîne à commettre des folies. Ces hommes sont ceux qui perturbent le monde ou bien le sauvent; ceux qui provoquent les révolutions ou les étouffent dans le sang; ceux qui produisent les oeuvres d’art ou ceux qui les détruisent.
Dans la ville les sentiments sont comme le blé qui pousse dans un champ mal entretenu,qui doit rivaliser avec une multitude de mauvaises herbes et ne donne alors que quelques boisseaux;par contre,dans ces villages,les sentiments sont comme un arbre fruitier que l'on fertilise,que l'on taille,que l'on soigne afin qu'aucun chardon ne lui vole sa nourriture.
Comme hypnotisés,ils exorcisaient ainsi les démons qui les avaient tourmentés durant les derniers mois;car un mensonge,s'il est partagé par tous les membres d'une communauté,devient d'abord crédible,puis possible et enfin vérité.
Ici, dans les montagnes, les sentiments atteignent une force et une pureté incompréhensibles pour ceux qui sont nés dans une ville.
Mais moi je sais qu'il est très difficile de réussir pour un paysan à moitié analphabète et je crois que,malgré leurs illusions,ils le savent eus aussi.C'est pour cela qu'ils se résignent à vivre leurs jours de dur labeur.
Le langage montagnard est un mélange de regards et de silences, d’expressions signifiant tout et rien, d’infimes gestes, menaçants ou amicaux, de soupirs qui selon leur profondeur signifient telle ou telle chose. C’est ainsi que se connaissant depuis l’enfance, ils parlent d’amour et de haine, d’amitié et ou de pouvoir, tissent des alliances ou jettent des injures mortelles; travaillent ou laissent reposer les personnes comme si c’étaient des champs en jachère.
Tous s’accordèrent sur le fait que s’occuper du bétail et des terres est plus important que la tâche peu productive d’enseigner aux enfants à lire et à écrire : si les gens peuvent avancer dans la vie sans rien connaître des lettres, ils ne peuvent le faire sans manger.
Comment faire comprendre à un enfant qui commence à être un homme que pour gagner de l'argent il ne suffit pas de savoir lire,écrire et multiplier même s'il ne se trompait pas?