L'atelier de Barbe-bleue est une énorme pièce claire, ordinaire, peu meublée. (...)
Pas de cris de douleur et d'effroi, pas de taches rouge carmin ou rouille, pas de femmes suspendues par les pieds à un gros crochet de métal brillant, le longs cheveux balayant le sol, la gorge béante. Pas d'horreurs qui font trembler l'épouse indiscrète et choir la clé. Les cadavres s'empilent contre le mur : mortes en deux dimensions, sauvées de la décomposition, protégées contre le temps. Mortes propres, sang essuyé au fur et à mesure. Contre toute apparence, on se trouve entre gens civilisés. Pourtant, il a déjà tué. À moins que ce ne soit moi.
Vieillir, c’est un durcissement – le miel devient ambre –, un goulot d’étranglement, un goût de rouille et de vase dans la bouche. Un paysage plein de promesses rapetisse et s’éloigne comme un parapluie qu’on referme.
Le temps a coulé sur nous paisiblement, sans trop d’accidents, du moins en apparence. Mais c’est peut-être ça la vraie réussite d’un couple : colmater les fissures, sourire de toutes ses dents, un doigt dans la digue. Ramasser les éclats de verre sans y laisser la main.
Une femme fulmine dans sa grande cuisine blanche, pose devant les siens de généreuses portions de rage et de rancune, garnies d'un brin de persil. Nous sommes beaucoup à avoir avalé la colère de nos mères, trois fois par jour (...) Quelle coïncidence - mais ce n'en ai pas une, bien sûr - qu'on ait trouvé pour la colère des femmes un exutoire si pratique et si nourrissant!
Il voudrait lui monter la mer, les vagues. Lorsqu’elle pose les yeux sur lui, c’en est presque trop. On met des gants avant de se remplir les mains de neige. Il est vieux maintenant, il lui faut des intermédiaires.
Des réveils abrupts ponctuent ses nuits, le sommeil se retire telle une vague d’eau douce et la laisse encalminée, les yeux grands ouverts dans le noir. Les nuits de son mari sont coupées d’un seul tenant dans une belle étoffe sans rêves.
Il faut boire le poison autant de fois qu’il vous est servi, puisqu’il ne vous a pas tuée la première fois.
Un vieux mariage, c’est ainsi, une série de gestes définitifs qu’on n’accomplit pas. Un couloir de portes fermées.
La langue est une mer,on baigne dedans.Moi j'ai refusé.J'ai refusé ma langue maternelle,refusé la voix que j'avais en la parlant,les phrases que j'avais prononcées et les pensées que j'aurais eues.La langue première est une immersion,grand bain tiède de sons et de sens .Je voulais jeter l'eau du bain,jeter la baignoire,jeter jusqu'au bébé que j'avais .
Il se met à pleurer et je sors, fermant la porte très doucement, pour ne pas le déranger dans sa douleur. (p. 49)
Le mensonge est une nouvelle langue. Je la parle couramment. ( p. 36)
La passion est forcément épisodique., elle balaie le quotidien, ses compromis, ses douceurs un peu fades. (p. 32)
Tu n,as pas encore compris qu'il y a des gens pour qui les raisons ne comptent pas. Le malheur va de soi. (p.26)
Paris était pour moi un livre – ma bible d’athée – dont je tournais les pages en m’étonnant sans fin.