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Citation de missmolko1


L’étiquette exigeait d’un gentleman qu’il ne prolonge pas sa visite au-delà des quinze minutes prescrites ; voilà pourquoi Mlle Minerva Dodger savait que ce moment passé en compagnie de lord Sheridan prendrait fin dans exactement cent quatre-vingts interminables secondes. Un peu avant, si la chance lui souriait, mais elle n’y croyait guère : le monsieur assis à sa gauche sur le canapé du grand salon semblait bien décidé à profiter de tout le temps qui lui était imparti. Depuis qu’elle lui avait offert une tasse de thé peu après son arrivée, il semblait avoir oublié la raison de sa venue. La tasse en porcelaine ornée de roses rouges n’avait pas une seule fois quitté sa soucoupe qu’il tenait en équilibre sur sa cuisse.
Cette visite était la troisième en sept jours, et de ces quarante-trois minutes passées en sa compagnie, elle avait simplement appris qu’il abusait de l’eau de Cologne à la bergamote, avait toujours des ongles impeccables et émettait fréquemment des soupirs que rien ne semblait susciter. Ah, et qu’il s’éclaircissait la voix pour signaler son départ imminent !
Elle accueillit avec soulagement ce raclement de gorge avant qu’il ne pose sa tasse sur la petite table et se lève. Elle l’imita en essayant de ne pas avoir l’air trop ravi de voir cette épreuve s’achever.
— Je vous remercie d’être passé me voir, lord Sheridan.
— J’espère pouvoir revenir demain.
La gravité de son regard l’alerta : il ne lui demandait pas la permission, il se contentait d’annoncer son intention.
— Si vous me permettez cette audace, milord, puis-je savoir si c’est ainsi que vous comptez passer le reste de votre vie… assis là dans un profond silence avec seulement le tic-tac de la pendule pour nous rappeler le passage du temps ?
Il cilla.
— Je vous demande pardon ?
Cette fois, ce fut elle qui soupira. Elle détestait être obligée de se montrer franche parce qu’il refusait de reconnaître la réalité de la situation.
— Nous ne sommes pas faits l’un pour l’autre, milord.
— Puis-je savoir comment vous êtes parvenue à cette conclusion ?
— Nous ne parlons pas. J’ai tenté de vous proposer plusieurs sujets de conversation…
— Sur la sagesse de l’expansion de l’Empire en Afrique. Ce n’est pas un sujet dont une dame devrait se préoccuper.
— Si la guerre éclate, cela concernera beaucoup de dames qui risquent de se retrouver veuves. Sans parler du coût financier pour le pays…
Elle leva la main. Il semblait littéralement horrifié.
— Je vous prie de m’excuser. Vous ne vouliez pas en débattre tout à l’heure et j’imagine que vous ne le désirez pas plus maintenant que vous êtes sur le point de partir. Il se trouve simplement que j’ai des opinions et que je pense avoir le droit de les exprimer. En ce qui nous concerne, il semble que seul mon avis sur le temps qu’il fait vous intéresse.
— Vous serez comtesse.
Là, ce fut elle qui cilla.
— Quel rapport avec ce que nous venons de dire ?
— Vous serez lady Sheridan. En tant que telle, vous serez trop occupée par vos devoirs et vos œuvres de charité pour rester assise au salon en ma compagnie durant tout l’après-midi.
— Et le soir ?
— Je possède une bibliothèque fort bien fournie qui sera à votre disposition. Et vous aurez vos travaux de couture.
— Je n’aime pas la couture. Cela m’ennuie. Je préfère de loin un débat animé sur la réforme sociale.
— Je ne désire nullement une épouse qui s’engagerait dans des « débats animés ».
— Voilà pourquoi, monsieur, nous ne sommes pas bien assortis.
Elle avait dit cela gentiment alors qu’elle mourait d’envie de lui demander pourquoi diable une femme, n’importe laquelle, voudrait être son épouse.
— Je possède un très vaste domaine, mademoiselle Dodger. Certaines améliorations seraient nécessaires, je vous l’accorde, mais votre dot y serait bien employée.
La voilà donc enfin, la vraie raison de sa présence dans son salon.
— Voyez-vous, Sheridan, ma dot ne vient pas sans moi. Et je suis ce que je suis. J’ai mes propres idées qui, si vous me permettez ce jeu de mots, n’épouseront pas nécessairement celles de mon éventuel mari ; mes propres centres d’intérêt qui, eux non plus, ne seront pas forcément ceux dudit mari. Mais je désire qu’il respecte les unes comme les autres. Je veux pouvoir en discuter avec lui et qu’il m’écoute.
— Je vous donnerai des enfants.
Qu’est-ce que cela avait à voir avec le fait d’écouter, ce dont manifestement il était incapable. Elle avait l’impression d’être une mule à qui on montrait une carotte dans l’espoir de la faire avancer. Et quand bien même elle voulait désespérément des enfants, elle n’était pas prête à payer ce prix-là pour les obtenir. Si elle n’était pas heureuse, comment le seraient-ils ?
— Me donnerez-vous de l’amour ?
Il émit un bruit bizarre.
— Il est possible qu’avec le temps, je développe une certaine affection.
Elle sourit.
— Vous risqueriez plutôt de trouver la vie avec moi difficile.
— J’ai deux domaines. Une fois mon héritier né, je ne vois aucune raison pour que nous vivions ensemble.
C’était à mourir de rire, songea-t-elle. Le bonhomme refusait vraiment de l’entendre…
— Quant à moi, je ne vois aucune raison pour vous épouser.
— Personne ne vous fera une meilleure offre.
— C’est fort possible, mais je doute sérieusement qu’on m’en fasse une pire.
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