Je suis rentrée à pied, j'ai traversé la Seine, suis repassée comme toujours devant le Louvre, les "L" sculptés de la façade m'ont rappelé Louis- les rois et le mien. Je divaguais, bifurquais, me perdais. je suis arrivée à Saint-Germain. J'avais mal, c'était comme ça.
Boris Vian m'avait servi de tuteur pour plante en décroissance. Dans mon panthéon d'idoles, il était en pole position côtoyant joyeusement Romantiques et autres philosophes. Je pensais à lui souvent, comme on se rappelle les douces soirées d'été pendant les tristes après-midi d'hiver.
On s'appelait Louis et Elsa, comme Aragon et Triolet, et tout aurait dû aller comme dans le plus beau roman des mondes. Je suis née le jour où il m'a embrassée pour la première fois. Il avait un peu d'avance. Je ne l'ai jamais rattrapé.
En mon for intérieur, je savais qu'ils ne pouvaient plus se voir en peinture mais qu'ils ne pouvaient pas non plus vivre l'un sans l'autre. Et je songeais que les vieux couples finissent toujours par communiquer par porosité, comme les jeans les jours de pluie, quand l'eau monte jusqu'au genou.
Je rends à ma vie sa poésie, que tu lui avais ôtée.
Je pars pour moi, retrouver mon possessif.
C'est Louis qui m'avait collé dans les mains J'irai cracher sur vos tombes. Le livre m'avait bouleversée, de la façon dont on se laisse bouleverser à seize ans : à la renverse.
Par ses silences, Louis me permettait ces évasions-là. Il avait cette puissance. Les mots ont toujours raison des rêves, ses silences me créaient un nuage douillet.