Angelo Bison interprète un extrait du spectacle "L'avenir dure longtemps" .
Angelo Bison est comédien. Il interprète le rôle du philosophe Louis Althusser dans "L'avenir dure longtemps", un spectacle à voir au théâtre des Doms jusqu'au 26 juillet.
Il n'y a pas de philosophie neutre. Toute philosophie est tendancieuse, en ce qu'elle représente une tendance dominante.
Derrida me racontait sa dépression, survenue après son mariage, avec un tact infini, Nikos me parlait de ses histoires de filles (celui-là !) et des disputes entre le Parti de l'intérieur et le Parti de l'extérieur, Macherey de philosophie et de ses problèmes de logement. Moi, j'essayais de faire passer le temps, ce qui est bien la chose la plus difficile du monde, quand on est torturé par l'angoisse au creux du ventre.
Une fois en Bretagne, pendant un long mois, je me mis à pratiquer systématiquement un sport particulier : celui du vol dans les boutiques, que je pratiquais naturellement sans difficulté, et chaque fois je lui montrais avec fierté le produit varié et grandissant de mes larcins et lui détaillais mes méthodes imprenables. De fait, elles l'étaient. En même temps je courais les filles sur les plages et de temps en temps, les ayant rapidement circonvenues, je les lui amenais pour quêter son admiration et son approbation. C'est l'époque où je me mis en tête de cambrioler une banque sans aucun risque et même de voler (toujours sans aucun risque) un sous-marin atomique. On comprend qu'elle en fut terrifiée, car elle savait que je pouvais aller fort loin dans l'exécution, mais jamais jusqu'où.
Je la faisais vivre ainsi dans l'insécurité et la terreur la plus totale.
Un jour je m'aperçus que, faute d'avoir l'audace de la caresser (il y avait aux aguets la petite sœur - et même en son absence je n'eusse sans doute rien osé de tel), je pouvais du moins faire couler entre ses seins des poignées de sable lent. Le sable descendait sur son ventre, rejoignait la courbure de son pubis. Alors Simone se levait, écartait les cuisses et l'entrejambe de son maillot, le sable coulait à terre et je pouvais, l'instant d'un éclair, apercevoir sur le haut de ses splendides cuisses nues le foisonnement de sa toison noire et surtout la fente rose d'un sexe : rose cyclamen.
Ma mère s'avisa très vite de mon innocente mais violente passion. Elle me prit à part et eut l'audace de me déclarer : tu as dix-huit ans, Simone dix-neuf, il est impensable car immoral, vu la différence d'âge, que quoi que ce soit se passe entre vous. Ce n'était pas "convenable" ! Et de toute façon tu es beaucoup trop jeune pour aimer !
Les pommes de terre et l'oseille jouaient le rôle principal dans notre alimentation, avec les châtaignes l'hiver (le Morvan vivait alors de trois élevages : les cochons, les bovins, et les enfants de l'Assistance publique).

De surcroît, je ne cessais de vivre la nuit d'atroces cauchemars, qui se prolongeaient très longuement à l'état de veille, et je "vivais" mes rêves à l'état de veille, c'est-à-dire agissais selon les thèmes et la logique de mes rêves, prenant l'illusion de mes rêves pour la réalité, et me trouvais alors incapable de distinguer en état de veille mes hallucinations oniriques de la simple réalité. C'est dans ces conditions que je développais sans cesse à qui venait me visiter des thèmes de persécution suicidaire. Je pensais intensément que des hommes voulaient ma mort et s'apprêtaient à me tuer : un barbu en particulier, que j'avais dû apercevoir quelque part dans le service ; mieux, un tribunal qui siégeait dans la pièce à côté pour me condamner à mort ; mieux, des hommes armés de fusils à lunette qui allaient m'abattre en me visant des fenêtres des demeures d'en face ; enfin les Brigades rouges qui m'avaient condamné à mort et allaient faire irruption dans ma chambre de jour ou de nuit. Je n'ai pas gardé en mémoire tous ces détails hallucinants, ils sont pour moi couverts, sauf par éclairs, par une lourde amnésie, mais je les tiens des nombreux amis qui vinrent me visiter, des médecins qui me soignaient, et de l'exact et concordant recoupement de leurs observations et témoignages que j'ai ensuite recueillis.

En France, ce fut Duclos qui prit la direction du Parti clandestin (dont les députés avaient été arrêtés en 1939-1940). Il commença par appliquer la théorie de la guerre impérialiste, sans discerner qu'elle était en même temps une "guerre de libération" (thèse qui ne fut admise que plus tard). En conséquence, des ordres furent donnés après la défaite non seulement pour prendre contact avec les autorités allemandes d'occupation, pour la parution de l'Humanité par les soins de Marcel Cachin, mais, ce qui fut infiniment plus grave, la direction clandestine du Parti ordonna sans appel à ses militants responsables et surtout connus des masses ouvrières et populaires, responsables syndicaux et politiques, maires, etc., de se montrer au grand jour, de tenir des meetings. Incroyables décisions ! qui eut tout simplement le résultat suivant : les grands militants du Parti, comme Hénaff, Timbaud, Michels, et d'autres, furent repérés par les Allemands qui les arrêtèrent, et les embarquèrent à Châteaubriant où ils devaient les fusiller plus tard.
Lorsque je vins au monde, on me baptisa du nom de Louis. Je ne le sais que trop. Louis : un prénom que très longtemps j'eus littéralement en horreur. Je le trouvais trop court, d'une seule voyelle, et la dernière, le i, finissait en un aigu qui me blessait (cf. plus loin le fantasme du pal). Sans doute il disait aussi un peu trop, à ma place : oui, et je me révoltais contre ce "oui" qui était le "oui" au désir de ma mère, pas au mien. Et surtout il disait : lui, ce pronom de la troisième personne, qui, sonnant comme l'appel d'un tiers anonyme, me dépouillait de toute personnalité propre, et faisait allusion à cet homme derrière mon dos : Lui, c'était Louis, mon oncle que ma mère aimait, pas moi.
Ce prénom avait été voulu par mon père, en souvenir du frère Louis mort dans le ciel de Verdun, mais surtout par ma mère, en souvenir de ce Louis qu'elle avait aimé et ne cessa, toute sa vie, d'aimer.

Nous sommes un soir à table chez des amis, avec un couple jusque-là inconnu de nous. Je ne sais ce qui me prend (ou plutôt ne le sais que trop) mais je monte pendant le repas, à grand renfort de déclarations et d'invites provocantes, à l'assaut de la belle et jeune femme inconnue. Tout cela pour aboutir à la proposition péremptoire que nous pouvons et devons faire sur-le-champ l'amour sur la table devant tout le monde. L'assaut avait été conduit de telle sorte que la conclusion s'imposait comme évidente. Dieu merci, la jeune femme se défendit fort bien : elle sut trouver les mots propres à éluder la proposition.
Une autre fois, nous sommes à Saint-Tropez, hébergés chez des amis absents. J'avais invité un ami politique à nous y rendre visite. Il vient, accompagné d'une très belle jeune femme, sur qui je me jetai. Je lui donne à lire un manuscrit de ma plume. La même scène se reproduit, cette fois devant Hélène et l'homme seuls à table. Sur la table évidemment il ne se passa rien, mais j'attire la fille à côté et me mets carrément à lui caresser les seins, le ventre et le sexe. Elle se laisse faire, un peu interloquée, mais préparée par mes discours. Puis je propose d'aller sur la plage. Une petite plage habituellement déserte, cette fois totalement déserte, car il souffle un violent mistral et la mer est démontée. Pendant ce temps mon ami reste à la maison, le nez sur mon manuscrit. Sur la plage, toujours devant Hélène, qui ne savait pas nager, j'invite la jeune femme à se dévêtir, et nous entrons tout nus, tous les deux dans les vagues déchaînées. Hélène crie déjà de peur. Nous nageons un peu au large, et là faisons quasiment l'amour en pleine mer. Je vois Hélène, complètement affolée, courir de peur au loin sur la plage en criant.
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Hélène était-elle, en désespoir, partie pour chercher du secours ? Après d'interminables courses de recherche, je finis par la découvrir, sur le bord de mer, mais loin de la plage, méconnaissable, complètement recroquevillée sur elle-même, tremblant d'une crise quasi hystérique et le visage d'une très vieille femme ravagé de larmes. Je tente de la prendre dans mes bras pour la rassurer, lui dire que le cauchemar est fini, que je suis là. Rien à faire : elle ne m'entend ni ne me voit. Finalement, au bout de je ne sais combien de temps, elle ouvre la bouche mais pour me chasser violemment : " Tu es ignoble ! Tu es mort pour moi ! Je ne veux plus te voir ! Je ne peux plus tolérer de vivre avec toi ! Tu es un lâche et un salaud, un salaud, fous le camp !"
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Jamais il ne fut question entre nous de cet horrible incident, qu'elle ne m'a sûrement jamais pardonné en son âme.
D'un côté, comme tout enfant nourri au sein, et vivant du contact physique, physiologique et érotique du corps de la mère, qui donne le sein, la chaleur du ventre, de la peau, des mains, du visage, de la voix, j'ai été viscéralement et érotiquement attaché à ma mère, l'aimant comme un bel enfant plein de santé et de vie peut aimer sa mère.