Citations de Louis Calaferte (693)
Haïssez celui qui n’est pas de votre race
Haïssez celui qui n’a pas votre foi
Haïssez celui qui n’est pas de votre rang social
Haïssez, haïssez, vous serez haï.
De la haine, on passera à la croisade,
Vous tuerez ou vous serez tué
Quoi qu’il en soit, vous serez les victimes de votre haine
La loi est ainsi :
Vous ne pouvez être heureux seul
Si l’autre n’est pas heureux, vous ne le serez pas non plus,
Si l’autre n’a pas d’avenir, vous n’en aurez pas non plus,
Si l’autre vit d’amertume, vous en vivrez aussi,
Si l’autre est sans amour, vous le serez aussi.
Le monde est nous tous, ou rien.
L’abri de votre égoïsme est sans effet dans l’éternité.
Si l’autre n’existe pas, vous n’existez pas non plus.
La littérature doit, soit enrichir l'esprit, soit le bouleverser.
Bien entendu, je ne suis ni celui-ci, ni celui-là, ni un autre, ni comme ça, ni autrement, ni tout à fait différent, ni ce que vous croyez, ni ce que je pense, ni ce mensonge, ni ce qu’on suppose, ni ce que je laisse voir, ni ce que je prétends, ni ce que j’invente, ni ce qu’on dit, ni ce que j’approuve, ni ce qui m’est défendu, ni ce que je rêve, ni rien de tout cela.
Je suis tel que je suis.
(relevé sur le site de la bibliothèque municipale de Lyon)
Pour écrire, il faut être hanté, malheureux, persécuté, ou alors heureux au point de croire sérieusement qu'on a Dieu pour coéquipier.
N’OUBLIEZ PAS DE LIRE
Dès que j’avais un livre, mon premier soin était de m’enfermer avec dans ma chambre d’hôtel comme pour une séance d’initiation, et je ne décrochais pas avant d’en avoir terminé, qu’il eût deux cents ou mille pages. Lire les paroles qu’un homme, dont on ne connaît généralement ni le visage ni la vie, a écrites tout spécialement à votre intention sans oser espérer que vous les liriez un jour, vous qui êtes si loin, si loin sur d’autres continents, d’une autre langue. Peut-être habite-t-il une grande maison de campagne au bord du Tibre ou un quarante-septième étage dans New York illuminé, peut-être est-il en train de pêcher l’écrevisse, de piler la glace pour le whisky de cinq heures, de caresser sa femme sur le divan, de jouer avec ses enfants ou de se réveiller d’une sieste en songeant à tout ce qu’il voulait mettre de vérité dans ses livres, sincèrement persuadé de n’avoir pas réussi bien que tout y soit quand même, presque malgré lui. Il a écrit pour vous. Pour vous tous. Parce qu’il est venu au monde avec ce besoin de vider son sac qui le reprend périodiquement. Parce qu’il a vécu ce que nous vivons tous, qu’il a fait dans ses langes et bu au sein, il y a de cela trente ou cinquante ans, a épousé et trompé sa femme, a eu son compte d’emmerdements, a peiné et rigolé de bons coups dans sa vie, parce qu’il a eu faim de corps jeunes et de plats savoureux, et aussi de Dieu de temps à autre et qu’il n’a pas su concilier le tout de manière à être en règle avec lui-même. Il s’est mis à sa machine à écrire le jour où il était malheureux comme les pierres à cause d’un incident ridicule ou d’une vraie tragédie qu’il ne révèlera jamais sous son aspect authentique parce que cela lui est impossible. Mais il ne tient qu’à vous de reconstituer le drame à la lumière de votre propre expérience et tant pis si vous vous trompez du tout au tout sur cet homme qui n’est peut-être qu’un joyeux luron mythomane ou un saligaud de la pire espèce toujours prêt à baiser en douce la femme de son voisin. Qu’il ait pu écrire les deux cents pages que vous avez sous les yeux doit vous suffire. Qu’il soit l’auteur d’une seule petite phrase du genre : «A quoi vous tracasser pour si peu, allez donc faire un somme en attendant», le désigne déjà à nous comme un miracle vivant. Même si vous deviez oublier cette phrase aussitôt lue et n’y repenser que le jour où tout va de travers, à commencer par le réchaud à gaz ou la matrice de votre femme. Et si par hasard vous avez la prétention de devenir écrivain à votre tour, ce que je ne vous souhaite pas, lisez attentivement et sans relâche. Le Littré, les articles de dernière heure, les insertions nécrologiques, le bulletin des menstrues de Queen Lisbeth, lisez, lisez, lisez tout ce qui passe à votre portée. A moins que, comme ce fut souvent mon cas, vous n’ayez même pas de quoi vous achetez le journal du matin. Alors descendez dans le métro, asseyez-vous au chaud sur un banc poisseux --- et lisez ! Lisez les avis, les affiches, lisez les pancartes émaillées ou les papiers froissés dans la corbeille, lisez par-dessus l’épaule du voisin, mais lisez !...
J'aurais renié mon nom pour un bout de pain. À certains moments, j'aurais vendu ma peau pour un bol de soupe. La faim il faut en parler: ça a son importance dans une psychologie. J'ai eu tout le temps d'apprendre. Quand on a interminablement faim, que la faim exaspérante s'accroche à vous, ça vous conduit à tout accepter de tout le monde. Qu'on ne vienne pas me dire que la faim incite à la révolte: ce n'est pas vrai. Ça vous ramollit, au contraire. On a le sourire obséquieux pendu à la bouche. Toute l'existence se centre d'un coup sur un repas complet. Ça tourne à l'obsession. On y perd dignité, honneur et orgueil.
"Ce matin, alors que j'étirais le bras pour bloquer cette saloperie de réveil, il m'est brusquement venu l'idée que je pourrais dormir deux heures de plus sans que ma vie en soit brisée, que je pourrais boire mon café au lit, choisir un bon livre, le déguster mot à mot et même prendre quelques notes dans l'éventualité où je serais tenté de commencer prochainement à écrire."
Pfuit, des bombes… Oui, je suis capable d’en poser, même à mon âge, je ne plaisante pas. Ces sociétés sont extrêmement monstrueuses : les uns crèvent de faim au nez des autres. Ce sont des pourrissoirs, menés par des maniaques du pouvoir que je ne supporte pas. Je ne sais pas pourquoi je me mets en colère, ça ne sert à rien. Je vais publier un livre sur ce que j’ai à dire de la politique. Ce n’est même pas de la politique, c’est un état de fonction où tout est organisé en castes, des castes qui ne se touchent pas entre elles. À l’intérieur d’une caste, on ne se touche pas. Moi, je suis hors caste depuis toujours. Et je tiens à le rester jusqu’à ma mort. Grâce à Dieu, j’ai pu faire un petit bout de chemin, il est ce qu’il est mais je l’ai fait comme je le voulais, seul, sans demander ni rien devoir. Ce qui me permet de juger comme je l’entends, avec en général assez de raison. Nous en sommes arrivés à une société complètement aplatie. Tout le monde s’en contente… Aplatissons-nous. »
(Extrait de l'entretien paru dans les Inrockuptibles N°58 du 28 mai 1996, cité sur le site revue-ballast.fr)
“Les livres me donnaient confiance. Sentiment assez indéfinissable. Ils représentaient une force sûre, un secours permanent. Toujours réceptif, un livre ! À la première lecture on a laissé une marque à telle ou telle page, le coin plié c'est le passage qui répondait à une préoccupation, un doute. Le dialogue est ininterrompu . D'autant plus vaste qu'on y ajoute tout ce qu'on veut l'auteur n'a fait que poser les jalons indispensables. À vous de faire la tournée d’inspection.”
Moi, dont la nature est éloignée autant qu'il se peut de l'avarice, de la cupidité, de l'intéressement, de la possession enfin : je deviens avide lorsqu'il s'agit de livres. Je les accumule sur les rayons, je les case, je les entasse ; incapable que je suis de me débarrasser de l'un deux, fût-il de la dernière valeur.
Les reliures brillantes sous la lumière, la chaleur fauve des cuirs, cela m'a ravi. Plaisir intime que de tirer de sa niche un livre, de caresser sa reliure, de le feuilleter, de s'attarder, admiratif, à la finesse des gravures, de respirer l'odeur grise du papier ; entre le pouce et l'index d'en apprécier le grain, l'épaisseur, le velouté, la douceur lisse. Chaque fois une satisfaction de presque concupiscence.
Seul, la tête appuyée dans la souple mollesse du fauteuil, j'ai joui durant tout le crépuscule, de la clarté dorée, limpide, qui pénètrait par la fenêtre ouverte ; enrichissant la pièce de sa fluidité qui me rappelait celle de certaines toiles hollandaises.
Est-ce là le bonheur ? (c'est un élément d'un possible bonheur)
Au loin
le chant menu d'un oiseau
Chaleur
Simple, mais vrai contentement, que d'entrer au moment du coucher, dans la chambre agréablement aménagée et décorée. L'odeur de lessive des draps propres. Tiédeur de la pièce chauffée par le soleil de la journée, où flottent comme en traces légères les saveurs de la campagne.
Ce sont des sensations de cette nature, des minutes aussi fugaces, mais profondément ressenties, qui sont le bonheur; qu'il faut s'appliquer à savourer.
Ce sont ces instants, ces détails infimes que, plus tard, l'on regrette, qui vous bouleversent aux larmes lorsqu'ils sont à jamais disparus.
C'est toujours dans des circonstances impraticables que l'envie d'écrire vous tombe dessus sans prévenir. Je crois que c'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles on n'écrit jamais exactement le livre qu'on avait initialement projeté.
Ce n'est pas faute d'en parler
Mais nous ne sommes pas allés
en ces dimanches du mois d'août
avec sa plage de galets
à Brighton où il fait si doux
Dans les brumes du lit tes sables sont soyeux
je me laisse endormir au flot de tes écumes
dans tes fonds aux varechs que le plaisir consume
ici la mer est dans tes yeux
Nous n'avons jamais su partir
(" Rag-time")
Le sexe est le plus étrange apanage de la création. Hallucinant parce qu'il découle directement de la pensée.
On ne connait rien de ceux qui nous entourent, de ceux qui nous sont chers. On les regarde sans les voir, on les entend sans les comprendre, on les aime sans les pénétrer: ils disparaissent, étrangers à nous comme à eux nous le sommes; et, après nous, ce désert se prolonge.
C'est toujours dans des circonstances impraticables que l'envie d'écrire vous tombe dessus sans prévenir. Je crois que c'est l'une des nombreuses raisons pour lesquelles on n'écrit jamais exactement le livre qu'on avait initialement projeté. Mettons qu'une idée somptueuse vous assaille dans la rue ou dans l'autobus ou encore pendant que vous faites le tour du marché aux légumes. Idée incendiaire en général. De quoi tirer un développement de plusieurs pages. Tout à fait la piste d'envol qui vous manquait pour faire ronfler les moteurs pleins gaz. Sur le moment, c'est comme si l'on avait déjà décollé et pris de l'altitude, mais le temps de rentrer chez soi, de tourner la clef dans la serrure et de se jeter à sa table, l'idée s'est modifiée au point de n'être plus qu'une vague écorce sèche. On aura beau ensuite claquer de la langue le reste de la journée, on ne retrouvera plus le parfum insolite qui annonce le seuil de la caverne aux trésors.
Les suivre pour le seul plaisir de les voir marcher, tout le corps engainé, mouvant, balancé, tout le corps vivant dans la mince pelure de la robe. Le long muscle du mollet, à chaque pas tendu. Le fin équilibre sur le peu d'assise des hauts talons, et la cambrure qu'ils imposent.
Cette gracilité élégante qui n'appartient qu'à la femme. Qui est source d'émoi lorsqu'on la voit se manifester.
Dans le noir, un corps en remplace un autre. je fais l'amour à mes propres désirs. Je fais l'amour à l'homme que je suis dans ma solitude et qui n'a que les mots pour s'exprimer. Quelle est la voix qui me demande d'un ton suppliant si je vous aime ? La vieille litanie qui recommence. Avez-vous donc tellement besoin de cette imposture les unes des autres ? Oui, Nora mon doux cœur, je vous aime. Au change. Au pair. Pour mille. Dix mille. Pour vingt. Pour cent. Une fortune. Un pactole. Ou moins que ça. Une note d’hôtel en retard. Des cigarettes. Un lit. Un toit. Deux jours tranquilles et pouvoir penser à ce que je vais mettre dans cette saloperie de bouquin qui me chatouille l'âme. Arrondissez la somme et mon cœur se dilatera d'amour.
- Tu sais qui je suis?
Ironique.
- Une débauchée.
Son mouvement lascif.
- Débauchée, luxurieuse, corrompue, déréglée, voluptueuse, immorale, libertine, dissolue, sensuelle, polissonne, baiseuse, dépravée, impudique, vicieuse.
Me baisant la main avec une feinte dévotion.
- Et malgré tout ça, je veux qu'on m'aime. p.21