Louis Chardigny

Aristocrate et chef militaire, Napoléon se méfiait des Parisiens qu’il avait connus dans leurs débordements. Il n’était pas dupe de la « Volonté populaire » exprimée par des hordes qu’il s’était fait fort, le 20 juin 1792, de disperser par quelques volées de mitraille. L’époque des troubles était encore bien proche lorsqu’il émettait devant le Conseil d’État de sévères jugements sur les habitants de la capitale. Pour la cérémonie du couronnement, il avait lui-même proposé le Champ-de-Mars. Il changea bientôt d’avis : « Ce serait une cérémonie populacière. » Et il amena le Conseil à se prononcer pour un lieu fermé. « Il est bien important que le peuple de Paris ne se croie pas la Nation. » Volontiers, il eût choisi pour cette solennité « une autre ville que Paris où il y a tant de canaille, quand ce ne serait que pour montrer aux Parisiens qu’on peut gouverner sans eux ». Il regrette d’avoir fait de mauvais choix pour le conseil municipal : « Ce sont des gens à pisser dessus. » On est assez loin de « ce peuple que j’ai tant aimé ». (pp. 38-39)

Le cri de foi des hommes de 1789, le cri de guerre des hommes de 93 : "La liberté ou la mort !" n'avait plus guère de sens sous l'Empire. La soumission exigée par Napoléon était enthousiaste chez presque tous les militaires, sincère ou feinte, intéressée ou résignée chez les grands, avec de rares ruades, tacite et souvent satisfaite dans les parties du peuple qui n'étaient pas trop atteintes par la conscription ou les entraves au commerce. Elle était en tout cas incompatible avec le principe révolutionnaire et intangible de liberté, dont l'Empereur rangeait l'application parmi les marottes des idéologues.