A une demi-lieue de Villevieille, chef lieu d'arrondissement , se trouve une jolie propriété qu'on appelle les Basses-Tournelles.
La maison d'habitation est gaie, le parc assez grand. Les terres qui en dépendent, très fertiles, produisent un revenu d'environ quinze mille francs.
Cette maison gaie, entourée de gazons et de jeunes bois, a renfermé une famille dont les troubles intérieurs et les catastrophes ont beaucoup préoccupé le pays, d'autant plus qu'elle avait d'abord parue fort unie, et que, sous des apparences presque patriarcales, la malignité provinciale eut quelque peine à démêmer les plaies et les désordres.
Le père, M. Pierre Gérard, s'était placé à la tête de l'agriculture de l'endroit, et les gens qui considéraient le propriétaire important, l'éleveur de beaux boeufs, ne s'inquiétaient pas de la largeur de son sens moral, et n'analysaient point sa physionomie rusée, matérielle et un peu basse.
La mère, femme de quarante-eux ans à peu près, dure et froide de visage, représentait, pour la société de province, un type de distinction parisienne. On accordait à Madame Gérard la réputation de la femme la plus spirituelle du département. Elle avait pris l'initiative de la charité, de la philanthropie, dans le pays, où quelques établissements de bienfaisance se fondèrent par ses soins.
Quoi qu’il en soit, elle ne se doutait pas, ce jour-là, que ce bal, où elle ne voulait point se laisser conduire, allait avoir une grande influence sur sa destinée.
En effet, ce fut là qu’Henriette fit la rencontre d’un jeune homme nommé Émile Germain, dont la physionomie laide, mais pleine de bonté et d’esprit, sortait des types auxquels elle était habituée. (...)
Henriette plut aussi au jeune homme, et ils se regardèrent assez souvent pour comprendre qu’il fallait finir par se parler. Émile vint inviter la jeune fille à danser, et, sans se rendre bien compte de ce qui se passait entre eux, le sourire dont on l’accueillit lui sembla un soleil auprès des sourires des autres jeunes filles. Henriette ne pouvait croire qu’un bal fût si lumineux et si gai.
Chapitre I
Lorsque les vieillards deviennent amoureux d’une jeune fille, ils sont comme les enfants qui tiennent des oiseaux dans leurs mains. Ils les serrent si fort, de peur de les lâcher, qu’ils les étouffent.
Chapitre XV
Les amoureux n'aimaient guère à ne pas parler; le mot le plus insignifiant leur paraît préférable au silence. Entendre la voix ! cela vous touche par tout le corps comme une impression électrique, tandis que, dans le silence,on a toujours à craindre qu'il ne commence à se creuser quelque fossé sur lequel, plus tard, on ne pourra plus jeter un pont.En amour, tout devrait se passer par chants et par musique, comme à l'Opéra. (p.46)
Le 14, la maison fut remplie par les marchands qui apportaient les dernières étoffes et lingeries du trousseau. Henriette les entendait entrer et sortir. On mettait tout dans la chambre de madame Gérard, où la cuisinière et deux ou trois paysannes eurent la permission de monter pour admirer. Madame Baudouin arrangeait sur des tables linge, robes, dentelles ; madame Gérard disposait de son côté les magnificences de la corbeille, riche en bijoux, en fourrures et en autres dentelles, ainsi qu’en châles de l’Inde et de la Chine. Le blanc de la soie, le blanc du linge, le blanc des dentelles, s’étalaient en grands plis et en grandes masses, drapés avec une sorte de négligence qu’on aurait pu dire inspirée par la quantité ; le rouge, le bleu, le noir, le lilas, le vert, des châles et des robes, les chamarrages fous des Chinois, ressortaient luisants, vigoureux, et égratignaient la vue. Le fauve sombre ou clair des fourrures ressemblait à des bordures de cadre en bois doré ou en bois noir auprès des peintures vigoureuses simulées par les étoffes. Du milieu de ces draperies jaillissaient comme des fusées les colliers, les bracelets, les boucles d’oreilles, les flacons.
Chapitre XVI
Les soins hygiéniques que Mathéus était obligé de prendre de sa personne combattaient tous ses goûts et le tenaient dans un ennui profond. La lecture l'endormait, l'agriculture ne l'intéressait pas, les idées d'ordre n'arrivaient jamais jusqu'à lui : il n'aimait que les jeux de hasard, le monde, les veilles, et tout cela lui était interdit.
Chaque jour le raisonnement, le sentiment de son intelligence, les violences de la lutte, rendaient plus irréparable la séparation qui s’agrandissait entre elle et sa famille. L’affection et la soumission étaient des sentiments déracinés dans son cœur. Sa volonté se formait peu à peu au milieu du trouble et de l’incertitude, car elle se disait qu’elle était seule, et que seule elle devait trouver dans sa poitrine le courage, la décision et la justice. Mais elle souffrait, dans cette espèce de croissance qui s’accomplissait à travers des difficultés, des contacts douloureux. Comme une plante qui perce la terre en écartant les pierres, les broussailles, en contournant les obstacles insurmontables, sa volonté avait à écarter les hasards, les volontés adverses, les embûches, les scrupules, les terreurs.
Chapitre XI
(...) Mathéus avait été élégant, joli garçon, mondain, et sinon débauché, du moins dissipé. Il en portait la peine dans ses vieilles années. C'était un grand "vieillard" que des soins extraordinaires, une sorte d'embaumement persévérant, maintenaient dans un aspect à première vue satisfaisant, mais qui ensuite devenait insupportable. Mathéus s'ennuyait de la solitude. Vainement il avait déployé beaucoup d'amabilité et de galanterie auprès des femmes, dont il aimait au moins toujours le souvenir. Personne ne pouvait résister à la contemplation prolongée de cette "chose", qui semblait prête à craquer et à s'écrouler à tous moments. Vivre avec cet homme et le voir souvent donnait le vertige : on s'attendait à ce qu'il tombât tout à coup en ruine.
Le père, M.Pierre Gérard, s'était placé à la tête de l'agriculture de l'endroit ,et les gens qui considéraient le propriétaire important,l'éleveur de beaux bœufs,ne s'inquiétaient pas de la largeur de son sens moral,et n'analysaient point sa physionomie rusée, matérielle et un peu basse.
La mère, femme de quarante-deux ans à peu près, dure et froide de visage,représentait, pour la société de province,un type de distinction parisienne. On accordait à Madame Gérard la réputation de la femme la plus spirituelle du département. Elle avait pris l'initiative de la charité, de la philanthropie dans le pays,où quelques établissements de bienfaisance se fondèrent pas ses soins.
Partant de ce principe, fatalement, forcément enraciné dans son esprit, que sa famille ne pouvait juger avec une autorité légitime le bon ou le mauvais, l’honnête ou l’inconvenant, Henriette se défiait de toutes les idées et de toutes les actions de ses parents et de leurs amis, et croyait préférable de s’appuyer sur ses propres instincts, sans savoir qu’elle s’exposait ainsi à des erreurs et à de cruels mécomptes.
La jeune fille était le plus souvent triste, et eût vivement désiré connaître quelqu’un qui lui fût sympathique, en qui elle eût confiance et qui rafraîchît un peu son esprit par des conseils salutaires, des idées plus larges.
Chapitre I