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Citation de Nastasia-B


À l'envers du couvercle était collée une photo d'une petite fille. Rien que la tête, une petite figure bien douce d'ailleurs avec des longues boucles, comme on les portait dans ce temps-là. Je pris le papier, la plume et je refermai vivement la boîte. J'étais bien gêné par mon indiscrétion, mais je me demandais pourquoi aussi ça l'avait tant bouleversé.
J'imaginais tout de suite qu'il s'agissait d'un enfant, à lui, dont il avait évité de me parler jusque-là. Je n'en demandais pas davantage, mais je l'entendais derrière mon dos qui essayait de me raconter quelque chose au sujet de cette photo, avec une drôle de voix que je ne lui connaissais pas encore. Il bafouillait. Je ne savais plus où me mettre moi. Il fallait bien que je l'aide à me faire sa confidence. Pour passer ce moment je ne savais plus comment m'y prendre. Ça serait une confidence tout à fait pénible à écouter, j'en étais sûr. Je n'y tenais vraiment pas.
— C'est rien ! l'entendis-je enfin. C'est la fille de mon frère… Ils sont morts tous les deux…
— Ses parents ?…
— Oui, ses parents…
— Qui l'élève alors maintenant ? Ta mère ? que je demandai moi, comme ça, pour manifester de l'intérêt.
— Ma mère, je ne l'ai plus non plus…
— Qui alors ?
— Eh bien moi !
Il ricanait, cramoisi Alcide, comme s'il venait de faire quelque chose de pas convenable du tout. Il se reprit hâtif :
— C'est-à-dire je vais t'expliquer… Je la fais élever à Bordeaux chez les Sœurs… Mais pas des Sœurs pour les pauvres, tu me comprends hein !… Chez des Sœurs " bien "… Puisque c'est moi qui m'en occupe, alors tu peux être tranquille. Je veux que rien lui manque ! Ginette qu'elle s'appelle… C'est une gentille petite fille… Comme sa mère d'ailleurs… Elle m'écrit, elle fait des progrès, seulement, tu sais, les pensions comme ça, c'est cher… Surtout que maintenant elle a dix ans… Je voudrais qu'elle apprenne le piano en même temps… Qu'est-ce que t'en dis toi du piano ?… C'est bien, le piano, hein, pour les filles ?… Tu crois pas ?… Et l'anglais ? C'est utile l'anglais aussi ?… Tu sais l'anglais toi ?…
Je me mis à le regarder de bien plus près Alcide, à mesure qu'il s'avouait la faute de pas être assez généreux, avec sa petite moustache cosmétique, ses sourcils d'excentrique, sa peau calcinée. Pudique Alcide ! Comme il avait dû en faire des économies sur sa solde étriquée… sur ses primes faméliques et sur son minuscule commerce clandestin… pendant des mois, des années, dans cet infernal Topo !… Je ne savais pas quoi lui répondre moi, je n'étais pas très compétent, mais il me dépassait tellement par le cœur que j'en devins tout rouge… À côté d'Alcide, rien qu'un mufle impuissant moi, épais et vains, j'étais… Y avait pas à chiquer. C'était net.
Je n'osais plus lui parler, je m'en sentais soudain énormément indigne de lui parler. Moi qui hier encore le négligeais et même le méprisais un peu, Alcide.
— Je n'ai pas eu de veine, poursuivit-il, sans se rendre compte qu'il m'embarrassait avec ses confidences. Imagine-toi qu'il y a deux ans, elle a eu la paralysie infantile… Figure-toi… Tu sais ce que c'est toi la paralysie infantile ?
Il m'expliqua alors que la jambe gauche de l'enfant demeurait atrophiée et qu'elle suivait un traitement d'électricité à Bordeaux, chez un spécialiste.
— Est-ce que ça revient, tu crois ?… qu'il s'inquiétait.
Je l'assurai que ça se rétablissait très bien, très complètement avec le temps et l'électricité. Il parlait de sa mère qui était morte et de son infirmité à la petite avec beaucoup de précautions. Il avait peur, même de loin, de lui faire du mal.
— As-tu été la voir depuis sa maladie ?
— Non… j'étais ici.
— Iras-tu bientôt ?
— Je crois que je ne pourrai pas avant trois ans… Tu comprends ici, je fais un peu de commerce… Alors ça lui aide bien… SI je partais en congé à présent, au retour la place serait prise… surtout avec l'autre vache…
Ainsi, Alcide demandait-il à redoubler son séjour, à faire six ans de suite à Topo, au lieu de trois, pour la petite nièce dont il ne possédait que quelques lettres et ce petit portrait. « Ce qui m'ennuie, reprit-il, quand nous nous couchâmes, c'est qu'elle n'a là-bas personne pour les vacances… C'est dur pour une petite enfant… »
Évidemment Alcide évoluait dans le sublime à son aise et pour ainsi dire familièrement, il tutoyait les anges, ce garçon, et il n'avait l'air de rien. Il avait offert sans presque s'en douter à une petite fille vaguement parente des années de torture, l'annihilement de sa pauvre vie dans cette monotonie torride, sans conditions, sans marchandage, sans intérêt que celui de son bon cœur. Il offrait à cette petite fille lointaine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se voyait pas.
Il s'endormit d'un coup, à la lueur de la bougie. Je finis par me relever pour bien regarder ses traits à la lumière. Il dormait comme tout le monde. Il avait l'air bien ordinaire. Ça serait pourtant pas si mal s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants.
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