Louis Lecoin

Mon existence a été assez bien remplie . Mais n'étaient les nombreux procès qui me furent intentés et les années d'emprisonnement qui s'ensuivirent , elle ne vaudrait pas la peine d'être contée .

Après Blanqui , qui passa 37 années dans les geôles de la Royauté , de l'Empire et de la République , je suis de ceux qui demeurèrent le plus longtemps enfermés pour délit d'opinion .

C'est surtout pour avoir haÏ la guerre avec vigueur , avec passion , que je fus si souvent condamné .

ce sera donc ma vie d'emprisonnement qui se déroulera devant vous , ainsi que les actions les plus marquantes auxquelles je me consacrai entre deux incarcérations .

Si ces mémoires ne vous déçoivent pas , si la plupart d'entre vous en tirent quelque profit , je m'en réjouirai . Je m'en réjouirais davantage si après cette lecture , vous étiez convaincus que la guerre , ce crime contre les peuples , n'est jamais excusable . Je n'aurai pas perdu mon temps , en ce cas , ni souffert pour rien , moi , qui , depuis toujours place la cause de la paix si haut : hors les manigances d'un capitalisme insatiable , loin des " croisades " idéologiques , et bien au-dessus des patries .

Avoir le cœur bien placé et posséder un fond généreux, voilà ce qu’il faudrait, d’abord, à chacun de nous.
Il me semble - du fait de la guerre, certainement, et parce que les bipèdes que nous sommes ont plus besoin maintenant surtout, de soins apaisants que de scalpels ; parce que trop de sang à coulé, trop de violences ont été exercées - que toute l’humanité devrait ressentir l’immense désir de vivre en contact toujours avec une humaine gentillesse.

Les actes de fraternité, d’où qu’ils viennent, n’ont jamais été aussi nécessaires aux hommes.

Et je reconnais que j’éprouverais bien de la peine à considérer comme un adversaire, l’individu, serait-il aux antipodes de mes idées, qui se montrerait généreux, généreux malgré tout.

Car le monde crève, aujourd’hui, du manque de générosité.

Je n’ai pas l’intention d’écrire la petite histoire du mouvement anarchiste, ni la grande. Je n’en finirais plus s’il fallait m’appesantir sur les multiples aspects d’une propagande représentant tout le labeur des libertaires entre les deux guerres - et ce serait autre chose si je remontais dans le passé, au delà du début du siècle.
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Si la logique d’une doctrine et la sincérité de ceux qui s’en réclamèrent, si la pureté d’un idéal et le dévouement de ceux qu’il attira avaient eu pour conséquence un aboutissement normal, il y a longtemps que l’égoïsme des présentes sociétés ferait place à la fraternité entre les hommes.

Je crains que les anarchistes ne soient nés trop tôt parmi d’autres êtres trop arriérés, et qu’apparemment ils ne défrichent sans récolter à proportion de leurs peines. Ce n’ est point leur faute, c’est celle d’un monde corrupteur au possible, sur la carapace duquel glissent les meilleurs arguments et s’épuisent des actions qu’il faudra renouveler sans fin.

Mais les anarchistes sont dans la logique de la vie et celle-ci leur donnera forcément raison un jour, eux qui veulent instaurer un milieu social assurant à chaque individu le maximum de bien-être et de liberté adéquat à chaque époque.

C’ est la nuit du 11 août que les gouvernants américains avaient fixée pour anéantir deux vies, deux vies de simples ouvriers bien sûr, mais d’ouvriers dont ces dirigeants au cœur sec, à l’esprit étroit et à la vue courte avaient fait deux grands bonhommes parvenus au sublime.

Ce serait à six heures du matin, heure française, que, dans la prison de Charleston, le courant électrique traverserait le corps de Sacco et celui de Vanzetti.

Six heures du matin, la sonnerie du téléphone retentit....
Sacco et Vanzetti ont obtenu, à la dernière seconde, un sursis de douze jours.
Non ! Ce ne peut pas être qu’un sursis !
Le gouvernement américain a gracié. Certainement, mais il ne sait pas être juste, humain, à la face du monde avec une certaine spontanéité. Il prend un biais pour ne pas paraître capituler, et il cherche une échappatoire qu’il trouvera.

Sacco et Vanzetti vivront !

Car de quelle monstrueuse insensibilité faudrait-il être pétri pour oser asseoir à nouveau sur la chaise électrique, dans douze jours, les deux mêmes hommes !

-- Après Blanqui ( Le créateur de la devise " Ni dieu , ni maître " ) , lequel passa 37 ans dans les geôles de la république , je suis sans conteste celui qui , en France , resta le plus longtemps enfermé pour délit d'opinion ( 12 ans ) . C'est surtout pour avoir haï la guerre avec fermeté , avec une persévérance jamais démentie , que je fus si souvent incarcéré .

-- Ma première communion eut lieu en 1900 . En ces temps-là , les servants de Rome étaient les commissionnaires des bourgeois dans les petites villes , et des hobereaux dans les campagnes . On eut cherché en vain , parmi ces missionnaires de dieu , des signataires pour appuyer la défense des objecteurs de conscience .

-- On ne m'avait pas appris , sur les bancs de l'école , que l'armée avait charge de mettre les civils au pas et d’empêcher les revendications ouvrières d'aboutir
.
-- En réclamant pour les objecteurs de conscience un statut qui " légalise " leur situation , nous n'avons jamais cru qu'ainsi nous accomplissions la seule propagande anti- guerrière qui vaille . Nous savons que pour en finir avec les armées et les guerres il faudra que d'autres actes interviennent .

Il me fallut mener conjointement et pendant une année La défense de ces cinq hommes. Deux causes différentes. Si je paraissais délaisser le Comité du droit d’asile que j’avais créé pour Ascaso, Durutti et Jover, mes camarades espagnols me le reprochaient ; si je mettais en veilleuse le Comité Sacco-Vanzetti, les compagnons italiens s’en affectaient.
Et je devais affronter les « purs », ceux qui n’admettaient point qu’on « tirât les sonnettes », même pour sauver des amis du calibre de ces cinq-là. L’un de ces « purs » commit une poésie ridicule, sinon odieuse, dans laquelle la vie de Sacco et Vanzetti ne pesait guère : « Qu’importe la mort ! Vive la mort ! » ou quelque ânerie semblable y était dite. Dame, il ne s’agissait point de la mort de ce « poète », qui n’était pas le premier et ne serait pas le dernier à faire de la littérature avec la peau des autres.

Durant son service militaire dans un régiment qui fut requis pour mater une grève de cheminots , le jeune Lecoin refusa d'y aller car cela était contraire à sa conscience . Il écopera de 6 mois de prison pour insubordination .

" Je m'étais juré que l'armée n’annihilerait pas mon individualité . Qu'il y aurait des actes que je ne lui consentirais jamais . Serais-je animé jusqu'au bout de cette même volonté ? "

C'est cette expérience et les 8 ans de prison dont il écopa pour refus de participer à la guerre de 14-18 qui motivera Lecoin à se battre pour que soit reconnu le statut d'objecteur de conscience , dispensant les objecteurs d'une peine d’emprisonnement .

" On peut être heureux quand on a évité du malheur " , " Ce qu'il faut c'est avoir une individualité et imprimer à la vie son cachet personnel . C'est agir , agir sans cesse . Car , si l'inaction est parfois de la sagesse , elle est souvent de la lâcheté , et presque toujours une faute . "

Il se démènera pour mettre sur pied des manifestations en faveur de Sacco et Vanzetti .

En 1939 son tract " Non à la guerre " le conduira de nouveau en prison . " S'il m'étai prouvé , absurde hypothèse , qu'en faisant la guerre , mon idéal avait des chances de prendre corps , je dirai quand même non à la guerre . Car on n'élabore pas une société de rêve sur des monceaux de cadavres ; On ne crée pas du beau et du durable avec des peuples malades , diminués physiquement ou moralement . "

Albert Camus , l'abbé Pierre , Jean Cocteau , Jean Giono , Bernard Buffet , etc soutinrent son combat pacifiste .

Pour avoir été courageux à vingt ans et épris de justice, il endura cinq années d’un pénible emprisonnement et lorsqu’il sortit de geôle à vingt-cinq ans, il reprit difficilement goût à la vie.

Je ne suis pas certain qu’il ne soit pas allé, un peu volontairement, mourir en Espagne.

À propos de Louis Émile Cottin (1896 - 1936)

PROPOSITION D'UN STATUT POUR LES OBJECTEURS ( 1958 )
" Les OC ( objecteur de conscience ) ne peuvent accepter qu'on les mette dans le cas de détruire leurs semblables ni qu'on leur impose le port de l'uniforme ou le maniement d'aucune arme . Leur refus est absolu et ne s'autorise jamais de la conjoncture politique . Toute guerre , de quelque façon qu'elle se présente , quel que soit le jeu des alliances qu'elle met en cause , ne saurait recevoir d'approbation de leur part . Il n'est rien dans l'attitude des OC qui ne puisse être rattaché aux aspirations les plus généreuses du pays . Il est évident que les OC appelés dans le service civil international ou dans la protection civile ne pourraient , en aucun cas , être employés à des tâches militaires ou paramilitaires . Leur mission essentielle consisterait dans la prévention de certains fléaux et dans le secours à apporter aux populations victimes de catastrophes . "

Au début des années 60 , un comité se forme pour déposer une proposition visant a décerner à Lecoin le Nobel de la Paix pour l'an 1964 . Albert Camus , Claude Autant-Lara , René Dumont et 12 autres personnes en font parti . C'est le pasteur noir Martin Luther King qui fut nommé , Lecoin s'étant désisté en sa faveur .