Vous êtes parti en 2002 en Afghanistan. Qu`est-ce qui a motivé votre départ ?
J`avais terminé mes études un an plus tôt et m`étais lancé dans un long voyage. Mes économies étaient épuisées et, au lieu de rentrer en France, je voulais prolonger le sursis de l`aventure. J`ai trouvé sur internet l`annonce d`une ONG qui recherchait de la main d`œuvre pour ses projets humanitaires en Asie Centrale. Je postulais pour un emploi au Tadjikistan, et finalement on me proposa de travailler de l`autre côté de la frontière… en Afghanistan. Pour moi, c`était une chance unique de prendre part à l`effort de reconstruction d`un pays qui accédait à la paix après plus de deux décennies de guerre, et de découvrir des territoires trop longtemps fermés aux visiteurs. J`avais en tête les récits des voyageurs des siècles passés qui parlaient du plus beau pays du monde… J`acceptai et partis avec un contrat de six mois, sans me douter que cette aventure aller durer beaucoup plus longtemps.
Vous dites être fasciné par Les Cavaliers de Joseph Kessel. Au delà de ce qui est rapporté dans cet ouvrage de Joseph Kessel, que saviez-vous de ce pays avant d`y partir ? Et qu`est-ce qui vous a le plus surpris une fois sur place ?
Je ne savais pas grand chose de l`Afghanistan avant d`y mettre les pieds. J`avais lu Nicolas Bouvier, Ella Maillart, Lord Byron… tous ces récits d`aventure, mais rien de concret sur l`histoire et la politique du pays. En arrivant, j`ai été frappé par les ravages de la guerre, la dignité des Afghans, et la beauté de la nature. Je n`ai lu Les Cavaliers de Joseph Kessel qu`une fois sur place…
Après un premier séjour en Afghanistan, vous décidez d`y retourner deux années plus tard. Pour quelles raisons ? Pensiez-vous alors y rester définitivement ?
Je voulais reprendre l`aventure là où je l`avais laissée, retrouver mon cheval et traverser le pays en attendant l`arrivée de l`hiver et le début de la prochaine saison de buzkashi. Ce voyage était inspiré du trajet effectué par Ouroz, le héros de Joseph Kessel, qui, après sa défaite au buzkashi royal organisé à Kaboul, décide, pour regagner un peu d`honneur et la considération de son père, de rejoindre sa province natale en traversant les étendues montagneuses du centre du pays.
Une grande partie de votre ouvrage est consacré au fameux "bouzkashi" après une vraie demande de votre part. Comment présenter ce sport au public européen ? Quel aspect de ce sport vous a le plus fasciné ?
Buzkashi signifie littéralement « attrape-chèvre ». C`est une joute équestre dans laquelle les cavaliers se battent pour s`emparer d`une carcasse de chèvre ou de veau et venir la déposer dans un cercle dessiné sur le sol, le « hallal », le cercle de justice. Les chevaux sont dressés pour cabrer, ruser, mordre… tous les coups sont permis et chacun joue pour soi. Les cavaliers doivent faire preuve de beaucoup de force, d`audace, mais aussi d`intelligence, pour marquer un point. Les tournois sont d`une violence inouïe, ce sont des spectacles fascinants de beauté sauvage.
Comme de nombreux récits de voyage Les Cavaliers afghans peut se lire comme un formidable récit initiatique. Que retenez-vous de vos différents séjours en Afghanistan ? Vous rendez-vous encore dans ce pays ?
Quand j`ai débarqué en Afghanistan, on parlait de paix, de liberté, de démocratie… tous ces espoirs se sont malheureusement fanés. Aujourd`hui, il est dangereux de jouer à l`aventurier en Afghanistan, pour soi mais surtout pour les Afghans qui nous accompagnent. Je retiens que l`Afghanistan est l`un des plus beaux pays du monde, mais que l`aventure y est devenue un caprice d`étranger qui frise l`indécence.
Je travaille régulièrement en Afghanistan pour faire des films – j`y ai passé la moitié de mon temps ces dernières années.
Vous percevez le changement de comportement des Afghans envers les Américains, considérés comme des "libérateurs" avant d`être considérés comme des "occupants". Vous-même, quel regard portez-vous sur l`occupation américaine ? Quels contacts aviez-vous avec eux ?
Aujourd`hui les Afghans ont perdu tout espoir dans la capacité des étrangers à gérer le problème des talibans et à instaurer la paix, la démocratie, le développement… Les Américains ont perdu la guerre des cœurs. Pourtant, je ne note pas de changement de comportement des Afghans envers les Américains - mais plutôt un changement de perception. L`hospitalité reste la base du système de valeurs des Afghans et, pour l`écrasante majorité, ils sont se toujours comportés avec déférence et bienveillance avec les étrangers. C`est d`ailleurs cette hospitalité qui crée tant de problèmes : les villageois se doivent d`accueillir et d`offrir l`asile à quiconque le demande, que ce soit un « Américain » ou un combattant taliban. Les Occidentaux ont du mal à saisir cette notion d`hospitalité sans limite.
En tant qu`étranger, je suis moi-même souvent considéré comme un Américain en Afghanistan ! Effectivement, plus que l`OTAN, ce sont les Américains qui dirigent les opérations étrangères sur le sol afghan.
L`OTAN devrait quitter l`Afghanistan fin 2014. Etes-vous optimiste quant à l`avenir du pays ?
On ne peut pas être optimiste lorsque l`on voit à quel point il est difficile d`organiser des élections en Afghanistan. le deuxième tour du scrutin présidentiel a eu lieu en juin et le décompte officiel des votes n`a toujours pas commencé. Chacun des deux clans en lice se déclare vainqueur et l`Afghanistan menace de sombrer dans la guerre civile.
Si un gouvernement parvient légitimement à la tête du pays, alors il devra faire un compromis entre la paix et la liberté : pour satisfaire les franges radicales du pouvoir, il devra rogner les libertés individuelles afin de garantir la paix. Les premières victimes de cette situation sont les femmes, dont la condition est terrible et alarmante.
Je n`aime pas la politique, et plus je passe de temps en Afghanistan, moins je comprends la situation ! Je préfère décrire en observateur discret ce que je vois et ce que je vis, sans tirer de conclusion pour la suite. C`est ce à quoi je me suis attaché dans mon livre.
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?
Joseph Kessel.
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Joseph Kessel, aussi !
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Tout a commencé avec Boris Vian, que j`ai découvert à l`âge de douze ans. J`ai lu tout ce qu`il a écrit et puis je suis passé à d`autres auteurs…
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Siddharta, de Hermann Hesse. Je l`ai lu une demie douzaine de fois lorsque j`étais adolescent.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
Guerre et Paix, de Léon Tolstoï.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Orénoque Amazone, de Alain Gheerbrant. L`auteur y relate sa traversée du massif de la Sierra Pamira, entre 1948 et 1950. Au-delà des remarquables qualités littéraires et poétiques de l`ouvrage, il raconte avec une simplicité et une humilité désarmantes ce qui constitue l`une des explorations les plus audacieuses et les plus difficiles de tous les temps.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Joker, je sèche sur cette question !
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Je n`ai pas de citation fétiche, mais j`aime beaucoup cette phrase de Joseph Kessel – puisqu`il en est question ici !
« Il n`est pas nécessaire de courir le monde, de traverser océan et jungle pour sentir le charme des nuées, la sève des arbres, le langage des rivières et des nuits. » (Des Hommes)
Et en ce moment que lisez-vous ?
J`ai commencé hier soir Conscience contre Violence, de Stefan Zweig. L`auteur y raconte l`attaque menée par Sébastien Castellion, un petit savant méconnu, contre Jean Calvin et le totalitarisme de la réforme protestante. le livre a été rédigé en pleine montée du fascisme en Europe et reste d`une forte actualité. Je ne suis pas encore au bout de l`ouvrage, mais je recommande déjà sa lecture !
Découvrez "
Les Cavaliers afghans" de
Louis Meunier aux éditions
Kero :

Kabul Cinéma est le troisième film de Louis Meunier consacré à l'Afghanistan, making-off de la fiction « Kabullywood » à sortir prochainement sur les écrans. Un superbe témoignage sur la situation difficile que vit actuellement lAfghanistan, qui vient de remporter le Grand Prix du Festival de Val d'Isère. L'interview de son réalisateur, Louis Meunier, par le directeur de la rédaction de Grands Reportages, Pierre Bigorgne