Louis de Bernières

Et John leur dit : « Je ne veux être personne d'autre. Je veux seulement qu'il se passe quelque chose. Je ne veux plus être un arbre.» Devant leur air perplexe, il explique : « Prenez un jeune arbre. C'est son premier automne et l'arbre dit : "Mince, c'est bizarre, toutes mes feuilles sont tombées. Et puis arrive le printemps, et l'arbre dit : "Ça alors, toutes mes feuilles qui reviennent." Et alors il reçoit son premier nid d'oiseaux et dit : "Ça n'est pas un plaisir d'être aussi utile?"
Mais ensuite c'est cinquante ans plus tard, et toujours pareil. Il perd ses feuilles et il pense : "Oh, encore”, puis les feuilles reviennent : "Surprise, surprise, mais non", et il a maintenant une douzaine de fichus nids d'oiseaux et il dit : "Les petits crétins." Eh bien... je suis devenu comme ça. Encore et encore et encore, tous les jours la même chose que l'année dernière à la même date. Tous les jeudis, quand je rentre à la maison, ma femme a préparé une tarte au fromage et elle demande : “La tarte est bonne, mon chéri?" et je réponds: "Très bonne", tous les mardis il y a des macaronis, et tous les dimanches notre fille téléphone et dit : "Bonjour, papa, comment ça va?" et je réponds : “Pas si mal et toi?" en n'ayant qu'une envie, c'est de sauter de très haut dans un lac et de sentir l'eau
froide laver la poussière. J'ai de la poussière à la place du cerveau. J'ai de la poussière dans mes yeux. Dans ma bouche. De la poussière partout, et je deviens vieux, je le sais, je regarde en arrière et je me demande : "Quoi? Quoi? Qu'est-ce qui s'est passé ? Et pourquoi tu ne regardais pas ? Tu marches vers ta tombe, John, et tu pourrais aussi bien n'avoir jamais vécu." Vous savez quoi? Je crois que j'ai mâché la vie, et que je n'en ai jamais senti le goût. »