Louise Bernard

C'est à ce moment que Dankhara reprend la parole, en se penchant vers moi.
-Tout le jeu réside dans la culpabilité. Les gens qui se sentent coupables nous donnent des points alors que ceux qui sont en paix avec eux-mêmes donnent des points aux Anges Noirs.
-Ben, vu tout ce que j'ai personnellement dans la tête... m'amusé-je. Moi morte, vous gagneriez facile dix mille points.
Silence dans la salle. En espérant qu'ils ne me prennent pas au mot.

Mon père passe son temps à râler. Et quand il ne râle pas, il fait de l’introspection, d’où les psys. Il prétend rechercher une sorte de Vérité, de lucidité sur le monde. Mais au fond, toute cette psychologie de bas étage cache son envie d’avoir une vie normale avec un travail normal, une femme normale qui cuisine des plats mijotés, ce qui n’est pas gagné ; le truc de ma mère c’est plutôt l’autoapitoiement et la dépression. Et ça, ça ne se mange pas. Pour la fille normale, c’est-à-dire mariée à trente ans et qui commence à pondre, on est loin du compte. Et pour le fils normal, c’est carrément râpé, mon frère s’est jeté d’un pont quand il avait quinze ans. Depuis, je suis bonne pour les psys. Pas que j’en aie besoin, mais parce que mon père veut comprendre d’où viennent mes hallucinations et s’assurer ainsi qu’il n’en est pas lui-même la cause.

Cela fait des années que mon père écume les psychologues de la région pour trouver celui qui pourra me soigner. En vain. Les psys m’énervent. Je n’aime pas leur façon de me regarder sans rien dire, attendant que je vide mon cerveau dans leurs mains pour qu’ils puissent le manipuler à leur gré.

Tous les psys sont pareils. Ils n’écoutent pas les mots, mais les connexions entre les mots, celles qui vont leur permettre de blâmer mon enfance, et par conséquent, mes parents. Et pour reprocher des trucs à mes vieux, je n’ai pas besoin de son aide. Je décide de couper court.

― Quand vous dites exterminer, que voulez-vous dire au juste ? 
― Euh… massacrer ? Anéantir ? Liquider ? 
― Je ne vous demande pas des synonymes. Juste, comment ? Comment avez-vous fait pour exterminer presque… trois millions d’individus… c’est bien cela ?

À quoi je pense ? Je pense à la dernière ligne de mes pensées et je me dis que mêler orgasme et grogner dans une phrase destinée à ma bigote de collègue pourrait lui faire disjoncter le sourire. Je prends la tangente.

J’ai vu plus de psychologues, psychanalystes et psychiatres que je n’ai eu de boutons d’acné durant mon adolescence. Et pour tout vous dire, quitte à choisir, je préfère les pustules.