Olivier BARROT présente le roman de Louise LAMBRICHS "Le journal d'HANNAH" publié aux éditions La Découverte (Un livre, un jour - 1993)
Chacun porte sa mère en soi. Qu’elle soit morte ou qu’elle ait fui, elle pèse toujours, fût-ce de son absence.
Je singe mon enthousiasme et ma joie d'autrefois, la vie sociale l'exige, et je passe aux yeux des autres pour quelqu'un d'heureux. Rien de plus facile, d'ailleurs : les yeux des autres ne voient que ce qui les arrange.
Les livres nous apprennent ce que l'on ignore encore un peu, mais que l'on sait assez pour être capable de l'entendre. La vie achève l'apprentissage. Ceux qui lisent ont ce privilège de vivre deux fois : d'abord par la lecture, puis par l'expérience directe. Qui ne lit pas ignore ce qui l'attend, et quand ça lui arrive, il n'a pas le temps de le comprendre.
Au cours du repas une douce euphorie s'empare de notre assemblée, à intervalles réguliers mon regard rencontre celui de Marie, assise en face de moi, chaque échange m'apparaît comme un point de tricot tissant entre nous une complicité nouvelle et bientôt plus rien ne compte pour moi que ce regard qui aspire le mien, très vite je comprends qu'il en va de même pour elle et si nous écoutons les conversations qui roulent bon train, si nos corps vont jusqu'à mimer l'attention voire l'intérêt pour les propos échangés, j'ai la certitude qu'il s'agit là d'un jeu destiné à masquer notre désir, à l'attiser peut-être, en attendant de le mettre à l'épreuve.
Comment va-t-on mourir?
Je ne parle pas bien sûr de cette question abstraite qui vous traverse parfois, comme un vain questionnement du destin, mais de cette question terriblement concrète, à laquelle à un moment ou à un autre il faut bien faire face si l'on veut rester humain : va-t-on décider du moment ou bien laisser faire? va-t-on prendre les devants ou la laisser venir? admettre que son heure sera la tienne?
Je sais qu'il n'existe pas de réponse absolue, que chacun a soi-même à inventer la sienne, et que chaque réponse est à respecter.
Quel amour impossible, quel deuil brutal, quelle fatale désillusion a brisé cet être que j'aimais et que je ne connais plus? Car je l'avais aimée, oui, à ma façon, comme on aime à vingt ans, de cet amour qui se confond avec la joie de vivre et l'enthousiasme de la découverte. J'avais aimé son rire, son pas léger, son franc parler et ses fausses coquetteries, j'avais aimé l'éclat de ses yeux avides quand elle évoquait ses projets d'avenir, sa façon gourmande de se lécher les lèvres, en bateau, murmurant dans un sourire "hmm, c'est salé !" tout en s'essuyant d'un revers de main les embruns qui éclaboussaient son visage, j'avais aimé aussi qu'elle m'échappe, avec cette assurance qu'ont parfois les filles de cet âge, me taquinant d'un : "Mais non voyons, tu es trop jeune !" qui rassurait mon indécision. Pourquoi, ensuite, nous étions-nous perdus de vue? Ma lâcheté sans doute. Mon incorruptible lâcheté.
On ne cherche pas le bonheur : on le trouve.
Pour tout dire et sans me l’avouer encore, j’erre déjà dans cette sorte de flou mental qui ne me quittera plus, dont j’ai depuis tout tenté (mais en vain) pour m’extraire, et dont j’espère alors, à tort sans doute, que Madeleine pourra me tirer ; un flou mental qui pourrait se définir comme l’incapacité croissante et semble-t-il définitive, d’instaurer dans ma vie quelque équilibre que ce soit, de mettre de l’ordre non seulement dans ce qu’elle fut et par conséquent dans ce qu’elle pourrait être, mais aussi dans ce qui y a présidé
Eh bien, pour la plupart des gens de ma génération, Handke est un écrivain de talent. ils ont aimé ce qu'il écrivait il y a vingt ans ou trente ans et quand il s'est engagé, ils sont considéré qu'il avait... disjoncté, comme on dit aujourd'hui. Or, moi, je prétends qu'au fondement son œuvre comme de son engament, c'est la même logique qui fonctionne. Il s'agit bien de la même personne, non ? Donc, ce qui parle, ce qui écrit et ce qui agit chez lui procède de la même question, comme chez n'importe qui. Je pars de deux postulats : primo, qu'il est comme tout un chacun déterminé par son histoire; secundo, que ce qu'il écrit, sous la forme où il l'écrit, est absolument nécessaire, même si l'origine de cette nécessité lui échappe en partie.
Jamais l’idée d’un avenir possible, quel qu’il soit, ne m’a paru plus dérisoire