Parfois je mets la tête dans la cuvette. Ça a commencé un jour d’été, il y a un début à tout. C’est ce qu’on dit en tout cas, un début à tout. En fait c’était la nuit, une nuit chaotique, une nuit agitée. Il y a, il faut, on dit l’un ou l’autre indifféremment, ce n’est pas la même chose, pourtant, pas exactement, pas la même chose, non, j’y reviendrai. Donc la nuit. Une nuit d’été, d’automne, je ne sais plus, les saisons se chevauchent et les dates changent tout le temps. Une nuit chaotique, une nuit agitée, tout qui tourne et l’envie de vomir mais ça ne vient pas, rien à faire ça ne vient pas. Le tournis s’éternise, et la position. À genoux, les avant-bras sur la lunette, les mains crispées, des mains qui agrippent l’abattant, la tête enfouie dans la cuvette je vois le visage et dans le visage l’œil, l’œil dans le reflet qui fixe mon œil.
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… et puis les souvenirs, ils sont à la réalité ce que le beurre est à la vache, les souvenirs, ce mot Mme Cassiot le sert et le ressert, comprend qui veut elle ajoute et s’affaire, Mme Cassiot c’est la crémière, en beurre elle s’y connaît, que dire de plus, je ne sais pas grand chose des crémières.
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Aux toilettes j’ai toujours passé trop de temps, beaucoup trop pour ma grand-mère, hier en-core elle en parlait avec Mme Cassiot qui ne s’est pas montrée surprise, pas surprise du tout, elle-même est confrontée à une situation du même tonneau, ce sont ses mots, son neveu c’est pareil, il passerait sa journée sous la douche si on le laissait faire, à croire que c’est une épidémie, aussitôt elle tempère, cela dit il faut bien le passer quelque part, son temps, moi par exemple je suis dans la boutique dix heures par jour alors vous voyez, tss tss tss vous n’allez tout de même pas comparer, objecte ma grand-mère et n’en démord pas, c’est décidé elle s’en ouvrira pas plus tard que demain au médecin, de ma marotte, elle a pris rendez-vous nous y sommes, je me retrouve assis à ses côtés. Tu es constipé ? le docteur me demande, il tripote le clavier et peste entre ses dents, je ne réponds pas.
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… parce qu’ici, pas d’histoires, non, surtout pas, il y en a déjà trop partout, vulgaires, sans intérêt, plus débris que fragments, la nécrose fringante…
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… ce n’est pas vrai qu’on colle à la réalité en disant ça raconte des histoires, ça se saurait si les mots collaient à la réalité, les mots collent à la langue et des lèvres au réel la distance n’est pas grande, elle est infranchissable…
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récit blague ou roman
histoire dans tous les cas pour
un début une fin entre les deux l’incertitude
plus ou moins bien rendue et puis...
histoire pour
la part dérobée au hasard au temps
la mise en situation
l’insertion dans un contexte
– semblant d’ancrage à la réalité
histoire pour l’invention d’un lien
entre récit fictif/réel imaginé
de l’illusoire comme cadre de vie