On ne parle pas de la folie sur le ton dont on parlerait d'une vie en quête de bonheur. Car c'est bien ce dont je veux parler ici, une forme de folie. Il n'y aura ni complaisance ni facilité. Quand un être malade remorque sa famille dans son pitoyable voyage au bout de lui-même, volontairement ou non, il ne peut y avoir de compromis.
Dans quelques heures, ma route va s'arrêter. Nous avons cheminé ensemble longtemps. Maintenant, tu dois continuer sur le chemin qui est le tien. Tu as été un bon mari, un merveilleux compagnon. Je sais que tu seras toujours un bon père pour nos enfants. Mais tu dois aussi penser à toi. Je veux que l'homme que j'aime continue à être heureux. Tu dois donc regarder devant toi et ne puiser dans le passé que l'énergie pour avancer.
- Tu trouves pas que les mots ont été inventés juste pour faire des images ?
- Des images ?
- Oui, prends le mot "locomotive", par exemple. Si tu le dis très vite et souvent, on entend un train qui passe.
À ces mots, Blanche éclata de rire...
...Raymond, lui, ne trouvait pas qu'il y avait matière à moquerie. Il plia le journal devant lui.
- Moi aussi, Charlot, je trouve parfois que les mots font de très jolies images.
- Je le sais-tu, moé, c'est quoi sa job ? Y' veut jamais en parler. Sauf que ça a tout l'air d'être une job d'Église, parce qu'y' arrête pas de parler de sa mission. C'est bien dans l'Église qu'a des missionnaires, non ?
Jamais, non jamais, il ne pourrait faire abstraction de ses sentiments quand il penserait à elle désormais. Elle vivrait en lui. Elle serait toujours une parcelle de sa vie, comme la guerre en était un fragment, même si elle était terminée dpuis longtemps. Il y a parfois, dans une vie, certaines personnes, certains évènements qui vous marquent à jamais. [Elle] serait de ces gens-là.
"Jusqu'à maintenant , il avait toujours considéré qu'il ne vivait que par les autres, sans avoir quoi que ce soit à lui, et il venait de découvrir pourquoi il était sur cette terre. Pour aimer une toute petite fille qui s'appelait Michelle." p.66
Savoir que l’amour est mort entre deux êtres est une chose, savoir que son mari a une autre femme dans sa vie est une tout autre chose.
Même quand l’amour est mort, se savoir si facilement remplacée fait mal.

Texas, dimanche 8 avril 1962
Adrien repoussa le drap tout doucement. Maureen dormait encore a poings fermes, et comme le medecin avait dit qu'elle devait prendre le plus de repos possible, Adrien ne voulait surtout pas la deranger. Elle grogna dans son sommeil, se tourna sur le cote sans ouvrir les yeux, et Adrien en profita pour quitter la chambre sans faire de bruit.
Le dimanche etait la seule journee de la semaine ou il ne travaillait pas. Ce matin, il pouvait donc prendre tout son temps. Adrien se dirigea vers la cuisine et referma la porte sur lui. Sans hesiter, il ouvrit une armoire sous le comptoir, sortit le percolateur et le remplit d'eau avant d'ajouter une bonne mesure de cafe moulu dans le panier, puis, il deposa le tout sur le rond du poele electrique qu'il avait offert a sa femme en guise de cadeau quand ils avaient enfin emmenage dans leur nouvelle maison. Certes, ils habitaient toujours sur le domaine des Prescott, a quel - ques pas en fait de la demeure principale, mais au moins ils etaient chez eux, tout comme Brandon et Mark, les freres de Maureen.
Il esquissa un sourire quand la bonne odeur du cafe prit possession de la piece. Il n'y avait que chez sa mere qu'il acceptait de boire du cafe instantane. Et c'etait bien pour faire plaisir a Bernadette qui etait si fiere de lui en offrir, voyant cela comme une preuve indiscutable de leur reussite financiere. Mais pour lui, un vrai cafe, gouteux, reconfortant, c'etait comme celui qu'il avait bu en France au moment de la Liberation et il en allait de meme pour Maureen...
Apres avoir verse un nuage de lait dans sa tasse, Adrien regagna l'arriere de la maison ou une longue galerie couverte, parsemee de chaises bercantes en bois et en osier, invitait a la detente. Il se laissa tomber sur le premier siege venu.
D'ici, la vue etait moins spectaculaire que celle que l'on avait de la maison de ses beaux-parents, juchee plus haut sur la butte qui dominait les terres familiales, mais peu lui importait. Quand Adrien prenait le temps de s'asseoir sur la galerie, c'etait dorenavant chez lui qu'il le faisait, et cela avait autant d'importance a ses yeux que le paysage qu'il pouvait contempler. Le petit boise d'arbres centenaires, chenes et pacaniers, et le lopin de terre en friche, herisse de cactus, juste a cote, avaient tout de meme un certain charme malgre l'horizon un peu limite. S'il voulait de grands espaces, Adrien n'avait qu'a seller son cheval et partir au bout des champs de son beau-pere. La, la vue n'avait aucune limite. Le ciel se confondait avec les terres rougeatres dans la brume de chaleur qui ondulait a partir du sol.
Adrien degusta une longue gorgee de cafe, les yeux mi-clos, se permettant une pensee pour Bernadette. Depuis son dernier voyage au Canada, il y avait maintenant plus d'un an, c'etait le dimanche matin qu'il pensait a elle. Le temps d'un soupir, de quelques souvenirs, d'un instant de nostalgie. Puis, tout comme Bernadette le faisait probablement de son cote, il finissait toujours par rouvrir les yeux sur sa realite a lui. Un quotidien qu'il avait deliberement choisi et qu'il aimait. A ce moment de sa reflexion, il se disait toujours qu'il avait plus de chance que Bernadette, car lui, finalement, meme s'il savait qu'une partie de son coeur resterait toujours a Montreal, il avait choisi sa vie en epousant celle qui dormait a ses cotes. Il s'etait prononce en toute connaissance de cause, alors que Bernadette, elle, subissait son existence. Elle la subissait depuis toujours, peut-etre, avant meme de comprendre qu'elle s'etait trompee en mariant Marcel. Heureusement, comme elle le disait elle-meme, il y avait Evangeline et les enfants.
- Les enfants sont l'essentiel de ma vie, disait-elle regulierement quand ils avaient l'occasion de parler en tete-a-tete. Ils devraient etre l'essentiel de la vie de tous les parents qui ont un peu de coeur.
...
Dire merci à la vie d'être si belle, si généreuse. Oui, pendant un instant, François se laisse porter par ce qui aurait pu être, le visage levé vers le ciel. Il laisse cette émotion de père qui bat instinctivement en lui prendre la place qui est sienne. Se sentir fort, protecteur, invincible... Puis, lentement, ses épaules s'affaissent. Les images heureuses s'effacent peu à peu dans son esprit, la réalité remplace l'espoir.
Et tandis qu'elle suivait Marion des yeux, Éléonore Légaré écrasa une larme au coin de sa paupière. Puis, une seconde. La vie pouvait être si belle, par moments, et les larmes si douces!