Poème à mon père
Extrait 4
Tu as coulé ta vie entre les humbles comme une rivière coule entre les
roseaux
humble toi-même mon père avec tes souliers qui faisaient eau,
bafoué, bafoué et croyant à la justice
sous ton chapeau moisi et tes pauvres chemises.
– Tu es mort.
Je me trompe quand je dis que tu dors : tu as les yeux grands ouverts
Ma mère est une forme blanche qui va à tâtons sur la terre
Vous vivez avec nous. La nuit ta tombe arbore une voile carrée, très pâle
sous la lune du tropique, et roule entre les caveaux chaulés
La grille grince comme une écluse, tu as des feux de position verts et bleus
à tes doigts
Jésus-Christ est ce phare tranquille sur les grands bois.
Tu croises à fleur de racines partout où le traqué lutte et prie
Tu dérades jusqu’à la maison à l’heure de la soupe et du pain gris
qu’on partage avec toi en pleurant.
Tu viens jusqu’à moi aux jours de grand vent, tu accroches une ancre aux
maïs
Ta main frôle ma main lorsque je touche l’écorce fraternelle d’un bouleau
et je fais tressauter ta tête de lumière aux cahots des chars de liberté.