Le Tombeau d'une amitié. André Gide et Pierre Louÿs - Luc Dellisse .
Présentation de Luc Dellisse à propos de son essai littéraire "Le Tombeau d'une amitié. André Gide et Pierre Louÿs", publié aux Impressions Nouvelles en octobre 2013 http://www.lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/le-tombeau-dune-amitie-andre-gide-et-pierre-louys/ réalisée le 6 novembre 2013 aux Impressions Nouvelles
La littérature existe pour transformer l'échec en lumière, mais cette lumière, à son tour, ne peut éclairer que l'échec. Ainsi la littérature est l'histoire de la destruction des hommes par leurs rêves.
La transparence n'est pas la vérité. L'ombre n'est pas le mensonge. Le secret n'est pas le masque d'une réalité honteuse. C'est un laboratoire où s'élabore, peu à peu, goutte à goutte, ce que nous avons de plus vrai.
La fille joue à la dame, l'habituée, experte. Nue. Assise sur la tapis, mains croisées au niveau des chevilles, menton entre les genoux. Mais son silence est trop celui de la comédie. Reprendre son souffle n'est pas une excuse. Mains en coquille sur le sexe, je ne parviens pas à me faire une idée de ce qu'est ma nudité. Je suis debout et les paroles que je devrais dire me sont inconnues, inscrites ailleurs, bien trop loin, sur une surface glacée de magazine.
(La dernière ligne droite - Pierre Boffard).
Tempo
B /
La certitude d’exister me devient étrangère. Je rêve ma vie mais sans conscience précise d’être quelqu’un. Il me semble que je suis devenu l’âme des autres, leur captation minérale. Il faudrait toute la transparence du néant pour se sentir en vie.
Il me manque la saveur âcre d’un jour de doute, ses surprises, ses raids dans l’inconnu, ses interdits transgressés.
…
Mais le vrai déclic de mon retour aux livres-papier est survenu au moment où je me suis rendu compte que la censure avait redémarré. L'interdiction de certains films, le vandalisme de certains cinémas, la non-publication de certains livres, l'effacement de certains noms, se produisant non dans des dictatures théocratiques, mais dans nos bonnes vieilles démocraties occidentales, n'ont pas encore eu pour effet la disparition effective des objets interdits (Kubrick, Morand, Alexis Carrel), mais le message est clair : ce qui faisait partie du patrimoine collectif, fût-ce pour s'en distinguer, est à présent sous surveillance.
Je sais déjà que les livres et les films qui sont dans ma bibliothèque ont plus de chances de survivre que les objets en libre accès sur internet.
Cet état d'attente où rien ne se passe, où rien ne peut se passer. Inconcevable que l'on puisse s'en sortir ! Qu'il y ait eu autre chose par le passé, qu'il puisse y avoir autre chose dans l'avenir. L'attente n'attend rien - rien d'autre qu'elle-même.
(Une cure d'inefficacité - Dominique Labarrière)
Ce qui est demandé au citoyen est précisément de ne pas être trop instruit, trop civil, trop autonome, trop maître de sa langue. Il y a désormais un extérieur radical au domaine de l'esprit : la société.
Au loin
Il n’est pas nécessaire d’être moderne. Ou plutôt la modernité est universelle. Certaines époques du passé sont des anticipations qui happent l’avenir.
J’ai eu une enfance stellaire. Je me projetais dans la conquête spatiale. Les instruments se réglaient, les appareils s’apprêtaient à partir. On allait gambader sur la lune, en attendant l’expansion infinie, la traversée des trous noirs.
Mon humble destin d’enfant et la grande aventure qui s’amorçait avaient partie liée. Du succès de la fusée dépendait mon salut personnel.
Je revois toutes les images d’une fusée s’arrachant au ralenti à son derrick de Floride, pour viser la cible transparente sertie dans le ciel. Je comprenais à présent que l’avenir avait une face cachée, comme la lune, qu’on s’apprêtait à visiter.
Je prenais goût à ce vivant espace. Il était tout entier inscrit dans la ligne temporelle que je suivais.
Vivre dans le présent comme dans un futur. Comme dans un des futurs. L’avenir est un style de vie. Non parce qu’on est moderne. Plutôt parce qu’on ne l’est pas. Vivre à temps plein en état d’avenir.
Face à lui, Gide, empêtré dans les lubies, ses spéciosités et ses arabesques comme dans la cape dont il aimait s'envelopper, retrouve sa vraie dimension : un écrivain de troisième ordre - presque plus rien.
Le moins qu'on puisse dire est que cette supériorité de Louÿs est loin d'être admise communément. C'est le contraire qui a lieu.
Gide est une institution, Louÿs est outsider. A Gide, la reconnaissance de la Pléïade et l'Académie suédoise, à Louÿs l'enfer des bibliothèques. A Gide, les études savantes et l'examen attentif des méandres de sa pensée et de son parcours ; à Louÿs les rééditions bâclées, l'oubli de sa dimension poétique, les à-peu-près biographiques(...).
(extrait non pas du livre de Luc Dellisse qui n'est pas encore paru à l'heure où je le cite, mais de son commentaire sur la genèse de son étude à paraître).
Le passé est l'intelligence du présent.