interview de Luc Doyelle par Valérie Bettencourt, au salon Facebouquins
C’est un monde nouveau qui s’ouvre à toi, petit scarabée. Une terre où l’inconnu est à toutes les portes. Tu es valeureux, intrépide, véloce. Tu puniras les profanateurs de ta main juste et noble. Je suis derrière toi, je suis devant toi. Je te vois. Je t’accompagne.
[…]
Ils sont fourbes, petit scarabée ! Ils s’éparpillent, te sèment, te baladent, mais subiront la sentence divine quand l’heure sera venue. Une proie après l’autre ! Ne faiblis pas.
[…]
Frotte, petit scarabée, purifie ce corps putride, mais n’oublie pas ta quête. Tu as bien œuvré, et il reste tant de chemin à parcourir. Bientôt, tu connaitras le repos.
[…]
Je sens le doute s’instiller en toi, petit scarabée. Tu courbes l’échine sous le poids de ta tâche. Il reste tant à accomplir. Rappelle-toi : tous ceux qui se dresseront devant toi subiront ta justice. Relève la tête et termine ce que tu as initié.
[…]
Tu t’es assoupi, petit scarabée ? Tu as accompli un pas décisif, mais il reste tant à faire. Tu tiens la relique bien serrée contre toi. Tu es sage. Je te délivre maintenant de ce fardeau bien trop lourd pour tes épaules frêles. Ta mission n’est pas terminée pour autant. Prends des forces et termine ce que tu dois.
Mes pensées s’effilochent doucement, se cotonnent, sombrent et se fixent sur un petit bourdonnement aigu, léger, qui s’amplifie dans la chambre, se rapproche… Putain, il ne manquait plus que ça…
Un moustique en plein mois de février ! Le seul de tout le pays à avoir survécu à l’hiver, ou alors né trop tôt, et il est justement chez moi !
Mais pourquoi tant de haine ?
Les yeux fermés, je trace sa trajectoire mentalement, prêt à l’action au moment que je jugerai opportun. L’animal est fourbe et n’attaquera pas de front, il zigue, il zague, fait semblant d’hésiter, se place en vol stationnaire, repart, revient, s’approche. Son hurlement devient alors insoutenable. Il prend un malin plaisir maintenant à me vriller l’oreille droite.
Paf ! Ouille !
Ça m’a coûté une oreille, mais je vais pouvoir dormir tranquille. Je l’ai eu, ce salopard !
Mon esprit s’embrume à nouveau…
Aujourd’hui. Le temps s’étire comme Véronique et Davina avant une séance d’aérobic. Ma cellule accueille tous les matins quelques rayons de soleil, lorsque celui-ci daigne me faire l’honneur de sa présence. Je saute alors de ma couche et enchaîne quelques centaines de pompes et autant d’abdominaux. Bon, je vous l’accorde : quelques dizaines de pompes. Allez, quelques pompes, et c’est mon dernier mot. Je pense à l’Amie. Souvent. Je sais qu’elle m’attend, qu’elle sera là lorsque je sortirai. J’espère qu’elle sera là. Je me demande si elle sera là ! Alors je m’octroie à nouveau quelques centaines… quelques pompes. Les non sportifs doivent comprendre que la pompe est une merveilleuse invention consistant à puiser le sang du cerveau pour le pulser dans les triceps et pectoraux, mettant de ce fait quelques neurones au repos. Cela fonctionne aussi avec le vélo, ce qui explique que l’on puisse doper certains coureurs à l’insu de leur plein gré. Le phénomène est heureusement réversible. Ainsi, Arnold Schwarzenegger, lorsqu’il a cessé de pomper tous azimuts, est devenu gouverneur de Californie. Ce qui m’inquiète le plus est que l’Amie est frileuse à l’excès.
Ni une, ni deux, Jief redevient professionnel et envoie ses hommes dans toutes les directions, puis appelle le central pour réclamer des renforts. Objectif : boucler le quartier et interroger la population. À une heure aussi matinale, il ne faut pas espérer de miracle, mais sait-on jamais ? Un cadavre faisant de la trottinette sur un chariot médical ne devrait pas passer inaperçu, que diable !
Pour ma part, je considère que je n’ai plus rien à foutre sur la scène du crime. Je me promets juste une chose : la prochaine fois que je découvre le corps de Kryptonite (c’est à dire avant la fin de la journée, tel que c’est parti), je le découpe en tranches, le pulvérise, l’atomise, le consume, bref, il disparaitra pour de bon.
- Tu le connais, ce petit gars ?
- Ouais, c'est Rico, le fils de Thierry Rey.
- Le judoka ?
- Exact
- Je ne savais pas que Rico Rey était l'ami du petit des Jeunet.
- Tu t'es fait embaucher à Paris Match ? Ou alors tu es devenu paparazzo ?
- Ni l'un ni l'autre.
- Alors on s'en fout, non ?
Tout autour de moi, un troupeau d’excités tente de réduire ma bagnole en compression césaristique. Les motards et scootards essaient d’arracher mes rétroviseurs d’un mouvement sec du coude, en toute discrétion. Les automobilistes, quant à eux, visent différents points de ma carrosserie. Fort heureusement, je suis détenteur d’un permis obtenu en plein centre-ville de Kinshasa, un vendredi soir à dix-huit heures, avec mention « survivor » délivrée par un ex-instructeur du huitième RPIMA. Pour parler simplement, je suis capable de piloter un trente-huit tonnes d’une seule main au milieu d’un champ de Panzers tirant à feu nourri, tout en pointant un lance-roquette par la vitre côté conducteur, sur un air de la Traviata à cent cinq décibels dans les enceintes. Autant dire, donc, que ces guerriers de pacotille périphériques me font doucement marrer, d’autant plus que ma Renault 10 a vu le jour sous Pompidou 1er, et que je n’ose même pas envisager une séparation, l’Argus m’ayant bien précisé que je devrais verser une fortune à l’acheteur dans ce cas précis.
Ma vie me paraissait fragmentée, et ce n’était rien en comparaison de ce que l’Amie devait ressentir. Ces allers-retours n’arrangeaient pas mes affaires, d’autant plus que je n’avais aucune idée de la façon d’y mettre un peu d’ordre. Jusqu’ici, mon instinct d’auteur avait pallié mon manque de méthode, mais à présent, je naviguais en plein brouillard. J’espérais que mes pérégrinations m’ouvriraient la voie de l’inspiration. Je commençais toutefois à regretter de m’être engagé dans la voie du roman policier, si éloigné de mon univers. La rigueur n’était pas mon fort, et je voyais mal, si tant est que je parvinsse à aligner trois lignes de ce roman, proposer une structure suffisamment cohérente pour m’aligner face aux pointures du genre.
Je sens le doute s’instiller en toi, petit scarabée. Tu courbes l’échine sous le poids de ta tâche. Il reste tant à accomplir.
Rappelle-toi : tous ceux qui se dresseront devant toi subiront ta justice.
Relève la tête et termine ce que tu as initié.
— C’est un nouveau feuilleton ? demanda-t-il en se retournant, et en déchargeant son haleine morgonnée dans l’habitacle.
— Nouveau ? Oh non, pas vraiment. Ce soir, c’est le 2465e épisode. Et chaque jour, il y a un coup de théâtre.
— On ne va rien comprendre, alors, si on prend ça en route.
— Mais si, assura Eko, c’est facile, nous allons te faire un petit résumé. N’est-ce pas, Web ?
— Oui, en fait, c’est simple : ça se passe dans un quartier de Marseille. Mélanie est serveuse, elle est amoureuse de Helmut, qui est en réalité un terroriste d’Al Qaida impliqué dans l’éruption du volcan islandais…
— Eyjafjöll ?
Un moustique en plein mois de février ! Le seul de tout le pays à avoir survécu à l’hiver, ou alors né trop tôt, et il est justement chez moi !
Mais pourquoi tant de haine ?