Lucie Chatel

En gros, je n’aime pas beaucoup de monde, mais elle m’énerve déjà avec ses manières, sa façon de parler et surtout son air prétentieux. Ouais, je suis nounou et alors, c’est un job comme un autre, non ? Et désolée ma belle, mais moi, je n’ai pas papa et maman qui paient tout ! Et si je suis ici, c’est justement pour comprendre pourquoi ma vie a littéralement changé le jour où j’ai perdu ma mère. Mon oncle, ma tante et moi avons bien le droit à la vérité. Ma famille ne roule pas sur l’or, néanmoins, j’ai appris à vivre avec le respect d’autrui et l’amour.

Quand je suis montée dans l’avion qui me ramenait droit en France, j’ai laissé une partie de moi à Los Angeles. J’y ai laissé mon cœur. Les jours qui ont suivi mon retour, je suis restée enfermée dans ma chambre, seule et meurtrie. C’était ce que je méritais, alors je me suis infligé cette solitude. Je ne mangeais plus, je ne dormais plus, je me lavais parce que c’était nécessaire sous les regards tristes de ma tante, de mon oncle et de Léa. J’ai vécu l’horreur pendant un moment.
La seule qui est parvenue à me sortir de cet enfer, c’est Anna. Elle est restée présente pour moi malgré le mal que j’ai engendré et malgré la distance qui nous séparait. Elle ne m’a pas jugée, comme les autres l’ont fait, non. Elle a été une oreille attentive, car elle seule pouvait comprendre ce que j’avais vécu avec Lui. Je sais que Léa est ma meilleure amie, elle est au courant que je suis tombée amoureuse de Kayden, le frère de ma patronne et belle-mère, mais elle ne sait rien de plus sur lui. Et j’ai envie de dire : heureusement.

Je ne suis pas jalouse de sa personne, c’est juste que je ne la sens pas. Elle me regarde de haut en bas sans un semblant de sourire. Elle aurait pu faire un effort, je l’ai bien fait moi. Ensuite, elle lève la main pour me faire un coucou. C’est bon, je n’arbore pas ma meilleure apparence, mais je suis propre. Un peu de respect ne devrait pas lui faire de mal.

J’angoisse à l’idée d’être si près de lui et tellement loin à la fois. J’ai terriblement peur, une boule d’angoisse se loge au creux de mon estomac. Est-ce que remuer le passé va réellement m’apporter la sérénité ? Je crois profondément que c’est nécessaire pour pouvoir tourner définitivement la page. Mais à quel prix ?

Cette petite chose finira par me tuer, mais c’est le seul truc que j’ai trouvé pour m’apaiser un peu, là, maintenant. Ça et les médicaments que j’ai repris au début du procès et qui tentent en vain de ne pas me faire sombrer encore plus. On ne peut pas dire que ça fonctionne franchement bien. Je croyais qu’un simple chagrin d’amour pouvait m’anéantir, je n’imaginais pas que ce qui me tuerait serait aussi atroce que ce que je ressens actuellement. La douleur est incessamment la même. Elle a pris l’avantage sur ma vie. Et au fond, j’y tiens un peu. C’est peut-être la seule chose qui me permet dorénavant de respirer. J’en ai besoin.

Certes, il a pris de l’âge, mais c’est toujours lui. Sa coupe est la même que dans mes souvenirs. Ses cheveux sont assez longs sur le haut et plus courts sur les côtés, quelques mèches poivrées lui tombent sur le front adoucissant la sévérité que ses traits dégagent. Son physique prouve qu’il continue à faire son jogging quotidien. Il porte ses éternelles chemises blanches et a gardé cette habitude de remonter les manches pour être plus à l’aise. Je me sens bizarre de me retrouver à quelques pas de sa personne. Comme si mon corps tout entier refusait d’y croire.

« Je ne les ai pas tués, Émilie. Je te jure que jamais, je n’aurais pu faire une chose pareille. » Je me suis alors tournée vers lui et quand j’ai croisé son regard, un frisson m’a parcourue de la tête aux pieds. Pendant un court instant, j’aurais pu jurer qu’il était sincère. Ses yeux parlaient pour lui. Pourtant, ce soir-là, l’individu qui tenait l’arme bien en main, c’était lui. Personne d’autre. Je le vois encore avec son sweat à capuche noir. Je revois le sourire machiavélique qu’il arborait et ça me donne toujours autant envie de vomir.

Il fallait que je reste sage et c’est ce que j’ai fait, péniblement. Jusqu’au moment où la défense a émis l’hypothèse que je puisse avoir tué mes parents pour ensuite faire porter le chapeau à mon frère. Je me suis levée et j’ai insulté tous ces hypocrites de tous les noms d’oiseaux inimaginables. Le juge y compris. Résultat des courses, j’ai été placée en garde à vue pour outrage. Elle est belle la justice. J’ai crié à pleins poumons derrière les barreaux. Je n’ai pas supporté d’avoir été enfermée comme une vulgaire criminelle.

Nous avions toujours entretenu de bonnes relations au sein de notre famille. Mes parents étaient présents pour Jules, pour moi. Nous ne manquions de rien. Nous pouvions parler de nos soucis sans aucun jugement de leur part et ils étaient là pour nous. Même si Jules était une personne réservée et ne supportait pas de demander un service, il avait avec ma mère une complicité sans égal. Aussi fier et orgueilleux qu’il pouvait l’être, Jules se mettait en quatre pour aider.

Les yeux de mon avocat débordent de pitié pour moi. Il a dû en voir des vertes et des pas mûres durant sa longue carrière, mais je crois que cette affaire le touche plus particulièrement. Je ne sais pas pourquoi, il se montre très protecteur envers moi. Et pour être honnête, ce n’est pas à cause de l’histoire que j’ai eue avec son fils. Il ne m’appréciait pas franchement à l’époque. J’étais trop frivole, pas assez bien pour Alex et bla-bla-bla.