Camille Bui, maîtresse de conférence en cinéma, nous parle de la manière dont les villes sont filmées dans les documentaires canadiens. du cinéma direct aux films les plus récents, cinéastes francophones et anglophones montrent les villes canadiennes, et notamment de Montréal, comme des milieux habités, multiculturels et en mutation.
Le podcast Pour une poignée de docs explore des sujets qui traversent les documentaires programmés par la Cinémathèque du documentaire à la Bpi. Il est produit par Balises, le magazine de la Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou.
Cet épisode a été préparé et réalisé par Marion Carrot, avec l'aide de Marion Bonneau.
Musique du générique de début : Danijel Zambo
Musique du générique de fin : Raymond Lévesque (extrait)
Extraits entendus :
Village mosaïque Côte-des-Neiges, de Lucie Lachapelle (1996) © Office national du film du Canada
À Saint Henri le 5 septembre, de Hubert Aquin (1962) © Office national du film du Canada
Les Voleurs de job, de Tahani Rached (1980) © ACPAV
Le Plan, d'Isabelle Longtin (2011) © Office national du film du Canada
Où êtes-vous donc ?, de Gilles Groulx (1969) © Office national du film du Canada
La P'tite Bourgogne, de Maurice Bulbulian (1968) © Office national du film du Canada
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« Pieds nus sur des rochers, Alice s’accroupit et plonge un seau dans l’eau noire dont l’odeur vaseuse emplit ses narines. Des libellules aux ailes irisées volent à la surface. Une chaloupe rouge est amarrée et tangue sous le souffle du vent. Alice réalise qu’elle est bel et bien rendue dans ce lieu mythique, source de toutes les douleurs et de tous les dangers. Elle devrait se sentir effrayée, mais, au contraire, elle a le sentiment d’être en sécurité. Comme si les arbres, la rivière, le ciel et le vent léger l’enveloppaient et la protégeaient. » (p. 44)
Alice se désole de la triste réalité : on a tout arraché, les enfants comme les arbres, et c'est la tristesse et l'amertume qui se sont enracinées à leur place. Puis, le grondement de l'eau résonne, encore plus profond et plus sourd, et le regard d'Alice est de nouveau attiré vers la rivière. Eblouie par la beauté, troublée par la puissance sauvage, Alice ne peut en détourner les yeux. "En pénétrant dans toutes les failles, les fentes et les crevasses de la terre, en imposant son débit, se dit-elle, la rivière réussira peut-être à faire jaillir la vie de nouveau, à régénérer le territoire, envers et contre tous. Tant mieux, ils ne gagneront pas sur tous les fronts." Elle respire à fond, écoute encore l'eau qui coule, libre. Elle a bon espoir que, dans une centaine d'années, la rivière ait pris sa revanche.
« Un troupeau de caribous a traversé la rivière et poursuivi sa marche millénaire. Le son des sabots a remplacé celui des bottes et les bramements, les voix des soldats. Les bêtes passent tout près de lui, le frôlent. Il sent leur chaleur, hume leur haleine. Elles sont là, pour lui, avec lui. Qumaluq respire. Les fantômes ont disparu. La peur aussi.
Qumaluq est resté éveillé, a bu beaucoup de thé noir. A la barre du jour, il prend son fusil, son sac, un bout de bannique. Il part à la recherche de ses chers aqiggiqs, ces petites proies qu’il aime tant. En passant près de l’aéroport, il aperçoit le géant blanc qui s’affaire. Un avion est attendu pour l’après-midi. L’homme lève les yeux vers Qumaluq, lui ait une signe de la main. Qumaluq ne le salue pas. » (p. 87)
Dans la rue principale, Rose sourit à l’un et à l’autre. Elle n’a plus envie de se cacher, de détourner le regard, de baisser la tête. Il lui semble qu’on a enlevé de ses yeux le voile qui l’empêchait de voir. Ces gens qu’elle croise ne sont plus des visages anonymes, des miroirs reflétant ses craintes, des figurants, des statistiques. Elle se demande d’où ils viennent et ce qu’ils ont traversé. Elle espère qu’ils n’ont pas faim, qu’ils n’ont pas peur.
Elle se demande si, au-moins dans sa jeunesse, elle a été heureuse. Elle en doute. La femme est trop lucide pour ça. Pour Alice, le bonheur est une invention et non un état réel. Ou plutôt une illusion après laquelle on court quand on ne veut pas voir la vie telle qu'elle est. Une sorte d'hallucinations épisodique qui empêche la planète entière de se jeter en bas d'un pont ou d'une falaise.
Sur les murs, les trophées de chasse sont alignés : une tête d'orignal avec un panache énorme, une tête de chevreuil, une peau d'ours noir, une de renard, une autre de loup, immense, un castor empaillé et quelques autres bêtes plus petites. Alice s'attarde un moment sur les yeux vitreux et les pelages poussiéreux.
’ai quitté la maison à dix-huit ans. J’étais jeune, mais je savais ce que je voulais : faire de l’argent pis sacrer mon camp au Mexique. C’est là où j’ai été conçue. Mes parents m’ont fait à quelques reprises le récit de leur voyage sac à dos. J’en ai gardé une image idyllique.
Pour Alice, avoir des racines autochtones signifie avoir honte et avoir peur. Et elle porte un fardeau : son propre père a incarné tout ce que les autres pensent des Autochtones. Isaac était un fainéant, un alcoolique fini.
La cabane semble abandonnée au milieu des talles de bouleaux blancs et des trembles, des épinettes noires, des sapins baumiers et des mélèzes. Le vent, qui fait bruisser les feuilles, transporte une odeur sucrée.
A ce moment, Alice a souffert intensément et son sentiment d'impuissance devant la vie a ressurgi. Son émotion était forte, dévastatrice. Alice la sentait faire des ornières dans sa poitrine.